La France et l’Angleterre souhaite renforcer les dispositifs de sécurité dans le Nord-Pas-de-Calais pour empêcher des milliers de migrants de passer au Royaume-Uni. Pour François Gemenne, chercheur spécialiste des flux migratoire, cette réponse sécuritaire n’est pas efficace, et éclipse d’autres solutions qui pourraient être délimitées au niveau européen.
Après que des milliers de migrants ont essayé de traverser le tunnel sous la Manche à Coquelles (Calais) pour rejoindre l’Angleterre, les ministres de l’intérieur français et britanniques ont publié samedi 1er août une déclaration commune dans laquelle ils affirment vouloir « mettre fin à cette situation » et on même fait « une priorité absolue« . Le Royaume-Uni a annoncé allouer « 15 millions d’euros pour renforcer la sécurité dans le Nord-Pas-de-Calais« , tandis que des manifestations « pro » et « anti » ont eu lieu ce week-end devant l’entrée de l’Eurostar à Folkestone en Angleterre.
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La réponse sécuritaire est-elle la meilleure ? Les gouvernements peuvent-ils trouver une solution à long terme ? Nous avons interrogé le chercheur en science politique, spécialiste des flux migratoires François Gemenne.
Vit-on une crise migratoire ?
François Gemenne – Je n’aime pas ce terme, car on ne parle ici que des milliers de migrants. C’est une véritable crise politique, créée par des tensions diplomatiques et un vrai problème de mésentente entre les pays européens. Quand on voit les titres insolents de la presse d’extreme-droite anglaise, il y a de quoi être atterré. Le Premier ministre David Cameron, qui parle de « nuée de migrants », s’est même fait rappeler à l’ordre par le leader du parti d’extrême-droite anglaise… Cela dit beaucoup de la situation dans laquelle on est.
Que pensez-vous de l’accord annoncé par la France et l’Angleterre ce week-end, qui vise à renforcer les contrôles et les mesures de sécurité aux abords du tunnel en France ?
Tant en France qu’en Angleterre, les gouvernements sont sous la pression de leurs partis d’extrême-droite qui dominent le débat politique et qui les poussent à la surenchère. On se rend compte que cette surenchère est purement électoraliste, pour rassurer une électorat tenté par l’extreme droite. Pourtant en France, on ne parle que de quelques milliers de personnes (3 000 migrants à Calais, il y a 10 jours). En Allemagne, ils ont reçu 300 000 demandes d’asile.
Rajouter des barrières et des membres des forces de l’ordre, est-ce la solution ?
Le problème aujourd’hui c’est que les gouvernements concernés veulent une réponse sécuritaire à ce problème. Pourtant, mettre des barrières supplémentaires dans le tunnel ne va rien changer, à part rendre la traversée encore plus dangereuse. Les migrants sont prêts à prendre tous les risques, ils sont très au fait du risque encouru, mais considèrent que le jeu en vaut la chandelle. Je suis effaré de voir que les gouvernements ne coopèrent que pour décider renforcer les moyens de sécurité. On ne pense pas du tout à une politique d’immigration, comme s’il n’y avait pas de politique globale derrière.
Xavier Bertrand, candidat aux élections régionales de décembre 2015 pour la région Nord-Pas-de-Calais-Picardie (région convoitée par Marine Le Pen), dit qu’il faudrait laisser « partir les migrants » en Angleterre pour laisser le gouvernement de David Cameron gérer cet afflux…
Xavier Bertrand n’a pas tort en disant que ce n’est pas à la France de prendre en charge la politique migratoire de l’Angleterre. La forme est, certes, provocatrice surtout quand on est en pleine crise franco-britannique, mais il a fondamentalement raison. Il amène le sujet sur un autre terrain que la question sécuritaire, en parlant de politique. Il préconise que l’Angleterre réforme son droit du travail pour autoriser le travail des migrants. En plus c’est un jeu de dupe, car l’Angleterre sait qu’elle a besoin de cette main d’oeuvre, mais chaque gouvernement cherche à rassurer son électorat.
Faut-il réformer les accords du Touquet de 2003 – qui ont notamment permis de renforcer les contrôles au départ de la France, et fixé la frontière franco-anglaise à Calais ?
Ces accords sont évidemment inéquitables et inégaux, notamment du fait que l’Angleterre ne fasse pas partie des accords de Schengen. Il y a plus de migrants qui veulent quitter l’espace Schengen pour aller en Angleterre que de migrants qui veulent quitter l’Angleterre pour aller dans l’espace Schengen. Cet accord est déséquilibré. La France se retrouve à devoir gérer la politique migratoire de l’Angleterre et faire respecter la fermeture des frontières. Elle est dans la même situation aujourd’hui que l’Italie par rapport aux migrants qui viennent par la Méditerranée. La France fait le sale boulot de l’Angleterre, et en plus elle se fait insulter par la presse britannique.
Existe-t-il une solution qui ne soit pas sécuritaire ?
La solution la plus simple serait que l’Angleterre ratifie tout simplement les accords de Schengen et accepte d’ouvrir ses frontières. Mais il n’y a évidemment aucune chance que ça arrive. Aussi, une solution plus réaliste serait de créer un « couloir humanitaire » d’urgence entre la France et l’Angleterre, que les migrants puissent rejoindre la Grande-Bretagne et trouver une vraie protection et demander l’asile.
Et une solution à plus long terme?
Il faudrait faire une politique d’immigration qui soit harmonisée entre tous les pays de l’Union européenne, pour que les migrants arrêtent de vouloir passer d’un pays à l’autre. Pour l’instant, la charge pèse sur l’Italie et la Grèce car ce sont des pays « porte d’entrée », mais les migrants souhaitent les quitter pour rejoindre leur famille ou aller dans un pays dont ils parlent la langue.
S’il y avait une politique d’asile fondée sur des critères harmonisés, on pourrait imaginer qu’il déposent, par exemple, une demande d’asile dans un bureau central. Il n’y aurait pas de critères différenciés en fonction des pays, mais une véritable politique européenne d’asile.
Dans la nuit de samedi à dimanche 2 août, 200 migrants ont bloqué l’accès au tunnel sous la Manche. Ils se sont concertés pour faire un sit-in : est-ce nouveau? Est-ce une meilleure stratégie?
C’est intéressant qu’ils coordonnent leurs actions, et qu’ils réclament une vraie mobilisation. C’est en effet relativement nouveau. Avant, les migrants étaient isolés les uns aux autres. C’est très louable, qu’il commence à y avoir une solidarité et une conscience collective. Malheureusement, ça n’a aucun impact sur leur situation.
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