Il y a quatre ans il quittait définitivement les ondes. Bernard Lenoir redonne de ses nouvelles à l’occasion de la parution de « Bernard Lenoir, L’inrockuptible 3 », une compilation qu’il a consacrée à la pop française. L’occasion pour celui qui fut longtemps vu comme un passeur des musiques anglo-saxonnes de revenir sur son attachement à la pop d’ici, et d’évoquer sa nouvelle vie à Biarritz.
Vous sortez une troisième compilation Bernard Lenoir, L’inrockuptible consacrée cette fois à la pop française. Qu’est-ce-qui a motivé ce choix ?
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Bernard Lenoir – Mon esprit tordu probablement (rires)… C’est assez paradoxal d’avoir programmé essentiellement de la musique anglo-saxonne pendant des années et puis tout à coup de vouloir sortir une compilation consacrée aux artistes français. Mais il faut se souvenir que dans ces programmes de France Inter se glissaient toujours des Français parmi les artistes anglo-saxons. Et j’ai toujours porté beaucoup d’attention à des artistes qui en France avaient une démarche un peu décalée par rapport à ce qu’on appelait la variété.
Vous avez donc toujours aimé la musique française ?
Je m’y suis toujours intéressé. Avant même de faire de la radio, à la maison, ma famille écoutait les grands classiques comme Brel, Ferré et Barbara… Puis avec la radio il y a eu très vite la vague yéyé qui a été insupportable avec tous ces groupes français qui faisaient des adaptations de groupes anglais. Heureusement il y a eu Dutronc qui faisait des choses intéressantes avec des textes originaux. Autrement la musique française de l’époque, c’était vraiment de la variété insoutenable.
Quel fut votre premier coup de cœur musical français ?
Le premier de tous, ça a été Manset dès 1968 avec son Animal on est mal. C’est toujours mon coup de cœur quarante ans plus tard. Quand j’ai entendu ça, je me suis dit que parmi tous ces gens qui racontaient des fadaises, il y avait quand même un mec qui arrivait avec des textes et quelque chose qui tirait l’ensemble vers le haut.
Quand avez-vous commencé à programmer des artistes français ?
Dès le départ, quand j’ai commencé à faire de la radio, et avant même d’avoir ma propre émission, j’ai été amené à programmer des artistes français dans des émissions où il aurait été inconcevable de ne programmer que des artistes anglais. C’était le début des années 70 et ça correspondait à l’émergence de ce qu’on appelait déjà la nouvelle chanson française, qui se distinguait de ce qu’on considérait comme la variété mainstream. Puis j’ai continué sur cette lancée là. Je me suis intéressé à des gens comme Murat ou Bashung, bien avant leur succès.
Comment avez-vous procédé pour agencer le déroulé de cette compile ?
J’ai essayé de réunir les gens qu’on retrouvait le plus souvent dans mes programmes à l’époque. Puis j’ai fonctionné au coup de cœur. J’ai cherché des morceaux qui avaient laissé une trace chez moi. Ca a été très spontané : je ne suis pas un garçon qui calcule beaucoup… J’ai pris Gainsbourg parce que c’était le pionnier, c’est lui qui a tout fait basculer. Je l’avais invité une fois parce que j’avais programmé une émission consacrée au reggae. Autrement, ce n’est pas quelqu’un que je programmais régulièrement. Mais si aujourd’hui je consacre une compile à la pop française, je ne peux pas ne pas mettre Gainsbourg… Et alors je pense à Melody Nelson et donc je pense à L’Hôtel Particulier. Parallèlement, j’ai pu mettre des artistes moins évidents, moins connus, que j’avais toujours défendus, comme Mendelson.
Pourquoi aviez-vous intitulé votre émission à l’époque, et ces compilations aujourd’hui, L’Inrockuptible ? Qu’est-ce-qui vous liait au journal ?
Au milieu des années 80, je me suis rapproché du noyau dur à l’origine des Inrockuptibles : je trouvais très intéressant ce que ses journalistes véhiculaient à travers leur fanzine. On avait sympathisé et il y avait une connexion entre nous. Eux écoutaient mon émission Feedback, moi je lisais leur travail. Il y avait une vraie communion d’esprit par rapport à l’idée qu’ils avaient de la musique, du cinéma, de la littérature. Quand j’ai arrêté la radio pendant quelques années et que j’ai repris en 91, ça m’a paru naturel d’appeler mon émission L’Inrockuptible. Bien qu’il n’y ait jamais eu rien d’autre comme lien que ce lien affectif
Dans vos émissions vous disiez évoquer et programmer « de la musique pas comme les autres ». De quoi s’agissait-il au juste ?
Je voulais jouer de la musique qu’on n’entendait pas ailleurs. Une musique qui était le contraire du mainstream, de la musique facile, de la variété ou de la soupe… Je voulais mettre la lumière sur une musique qui tirait vers le haut. Programmer Dominique A et La Fossette, à l’époque, ce n’était pas aussi évident qu’aujourd’hui. Même François Hollande le cite maintenant (rires). Mais à l’époque, c’était donner la possibilité aux gens qui écoutaient cette émission d’aller découvrir autre chose. Dominique A avait donné sa cassette à Arnaud Viviant qui pigeait régulièrement chez moi et qui me l’avait donné.
Avez-vous l’impression qu’il était plus difficile à l’époque de promouvoir ces artistes français ?
La donné a changé en effet. Mais il a fallu se battre pour imposer ces gens-là. Aujourd’hui ça parait normal d’avoir dans un programme des artistes un peu décalés. A l’époque c’était différent. Les labels des majors s’intéressaient peu à ce genre de musique et d’artistes. Plus les artistes étaient intéressants, et moins il y avait de possibilités pour eux ce trouver un abri dans une maison de disques, qui cherchaient surtout des choses qui pouvaient fonctionner assez vite. Or ces musiques souvent demandaient un effort, du temps. Un boys band avec une bonne chanson pouvait faire un succès en 24 heures, Dominique A il lui a fallu vingt ans pour s’installer.
Qui étaient les héros français de C’est Lenoir ?
On a vite fait le tour. C’était Manset, Murat, Bashung bien avant Fantaisie Militaire, Dominique A, Miossec…
Justement vous avez soutenu Bashung ou Miossec avant leur consécration…
Aviez-vous deviné le potentiel populaire de ces artistes ? Je n’ai jamais fonctionné comme ça. Je me suis jamais dit qu’un artiste allait devenir énorme ou qu’il allait vendre des millions de disques. Ce n’était pas ma façon de procéder. Je fonctionnais au coup de cœur et à l’émotion déclenchée. Si, ensuite, l’adhésion devenait de plus en plus importante et que l’artiste devenait monumental, tant mieux… Mais ce n’était jamais le but recherché. L’objectif, c’était de faire partager une émotion qui avait été violente, forte, dans un programme. La réussite, le commerce, les ventes de disques, le star system, tout ça m’a toujours laissé de marbre.
Y a-t-il une Black Session d’un artiste français qui vous a marqué en particulier?
Celle de Camille, après son album Le Fil. Cette fille est absolument incontrôlable, imprévisible sur scène. J’avais été frappé de repérer des tas de gens connus dans les premiers rangs de cette black session. Je ne donnerai pas de nom (rires). Dans le texte promotionnel qui accompagne la sortie de cette compilation, vous écrivez qu’il s’agissait, à travers vos émissions, « de partager cette mélancolie qui nous habite ». Qu’est-ce que cette mélancolie ? Aie aie aie… La mélancolie, c’est ce qui me touche souvent chez les artistes que je défends. Ce sont des gens qui sont dans le doute, pour qui rien n’est gagné d’avance. On se pose toujours des questions, on est toujours un peu anxieux : c’est une approche de la vie un peu torturée, qu’on peut retrouver chez tous les gens sur la compile. Mais cette mélancolie n’est pas spécifiquement française. Si vous prenez Joy Division, les Cocteau Twins ou Nirvana, elle sera bien là.
A l’inverse de Miossec ou Bashung qui ont connu le succès, quels artistes restés dans l’ombre auraient mérité selon vous la lumière ?
Je pense que je pourrais parler de Pascal Bouaziz de Mendelson. Pascal est un très très grand, qui mériterait une autre place. Mais il véhicule quelque chose de tellement sombre et noir dans ses textes que c’est difficile à faire avaler. Je comprends que des gens veuillent écouter de la musique pour se distraire, pour oublier. D’autres au contraire veulent se retrouver dans des chansons qui leur parlent, qui peuvent évoquer les difficultés qu’ils éprouvent dans leur existence. Dans les chansons de Mendelson, il y a, malgré le recul et l’humour, quelque chose d’assez noir difficile à imposer. Je pense aussi à Florent Marchet pour qui ça n’a pas été évident pendant pas mal de temps et qui véhicule pourtant lui aussi quelque chose de très fort. Et puis parfois ça peut ramer pendant des années et d’un coup ça s’installe…
On fait souvent à la pop française le procès suivant : elle serait plus riche textuellement que sa voisine anglaise mais plus pauvre mélodiquement. Quels contre-exemples citeriez-vous pour faire taire les mauvaises langues ?
Dutronc. Toutes les chansons qu’il a pu balancer à l’époque fonctionnaient aussi bien musicalement que via les textes, qui tenaient aussi la route. Gainsbourg également car on ne peut pas faire mieux. Mais il est vrai que c’est assez difficile d’inscrire la langue française dans une chanson rock par exemple. Ceci étant, quand on prend un groupe comme les Rita Mitsouko, mélodiquement c’est parfait.
Avez-vous l’impression d’être passé à côté d’un artiste français ?
Si je n’ai pas eu le coup de foudre c’est ainsi. Ca fonctionne ou bien ça ne fonctionnera pas à l’arrivée non plus. J’ai calé sur certains groupes dès le départ et je n’en suis jamais revenu. Je ne les citerai pas non !
Restez-vous attentif à la scène contemporaine ?
Je reste de moins en moins à l’affut des découvertes. Pendant la période où j’étais opérationnel avec une émission quotidienne, j’arrivais le matin et j’avais cinquante disques à écouter. J’étais informé à 98% de ce qui se faisait. Aujourd’hui je m’informe un peu par les réseaux que j’ai gardés ou la presse et le net, mais je n’ai plus du tout accès à la même quantité d’informations. L’autre jour je lisais un article sur Emilie Nicolas. J’ai écouté et je me suis dit « C’est con que je n’ai plus d’émission pour véhiculer ce genre de truc. »
Justement, les ondes vous manquent-elles ?
Je serais malhonnête de dire le contraire. C’est un métier assez génial que j’ai exercé. Et encore ce n’est même pas un métier, c’est la chance de pouvoir vivre d’une passion. Mais il faut savoir aussi tourner la page. Tout a une fin et il faut l’accepter. Et se dire qu’il y a d’autres façons de vivre et profiter de la vie que de rester dans la même dynamique. J’ai la chance de vivre dans un pays ou il y a une qualité de vie formidable, au bord de la mer, à Biarritz. J’ai toujours été fan de la vie au grand air, je peux voyager, j’ai une bande d’amis très proches. Je suis un fan de moto, je fais beaucoup de sport. Je joue au tennis, je vais nager dans la mer tous les jours.
Avez-vous des projets professionnels ?
Non. Ma chronique dans le magazine TGV s’arrête hélas. Je suis sollicité par des gens qui veulent faire des festivals. Mais il y en a partout aujourd’hui et je n’ai pas forcément envie de me plonger là dedans. Je ferai peut-être une autre compile. Je me souviens que pendant des années je faisais « le programme cool » le vendredi avec une musique pour se reposer, des jolis enchainements de morceaux calmes. Ca marchait du feu de dieu. Peut-être qu’un jour je vais faire une compilation de deux heures de musique cool comme ça.
Question bonus pour la fin : sur votre page wikipedia, il est écrit que vous avez commencé comme DJ dans la boite le Tamtam à Bandol. Quel souvenir en gardez-vous?
Celui de mes premiers tracs ! J’avais peur de louper un enchaînement. Ceci dit, lorsque j’étais DJ à Bandol, c’était une époque absolument géniale. Je me souviens de l’insouciance. Ce trac, je l’ai gardé jusqu’au bout. Même lors de la dernière émission de France Inter j’avais peur de rater, de faillir, de faire une connerie…
Propos recueillis par Johanna Seban
Compilation Bernard Lenoir L’inrockuptible 3, disponible (Warner Music France).
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