Le monde de la finance, les théories du complot, la justice sociale… Le hacker de la nouvelle série “Mr. Robot” a de quoi occuper ses nuits. Et les vôtres.
Personne, ou presque, ne l’avait vue venir. Apparue aux premiers jours de l’été sur une chaîne sans qualités particulières, USA Network, Mr. Robot ne titillait pas vraiment nos peaux de sériephiles harassés par les innombrables nouveautés. Et puis, quelque chose s’est formé dans l’air, une masse de rumeurs et de chuchotements amoureux.
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Nous avons finalement trouvé ce qui ressemble à un attrape-cœur. Mais un attrape-cœur rêche, brûlant, peu sympathique. Dangereux même. Une masse fictionnelle instable qui a pour ambition de pénétrer les pores de l’époque, ses fuites virtuelles, ses blessures réelles. Rien de moins.
Au départ, il y a une voix. Celle d’un jeune homme agité, peu sociable, employé dans une entreprise de sécurité informatique, rabattant en toutes circonstances sur sa tête la capuche de son sweat noir. Un garçon ultradoué qui se parle à lui-même, pour éviter de communiquer trop souvent avec les autres. Nous l’entendons jour et nuit babiller tout seul, ce baratineur pulsionnel.
Mr. Robot veut mettre à bas le système libéral
A son propos, on n’ose même plus utiliser le mot “geek”, tant il en explose les stéréotypes. Perdu dans un train de pensées infusées par la paranoïa et la drogue, Elliot Alderson (Rami Malek) habite un monde où rien n’est secret. Dans cet univers qui est évidemment le nôtre, les ordinateurs s’ouvrent trop facilement et chacun s’expose au regard malveillant d’un tiers. Photos, mails… Elliot le sait.
Il en fait même la base de son second métier, non officiel celui-là, celui de “justicier virtuel”, réparateur de torts capable de pirater n’importe quel mot de passe et de franchir les limites. Très vite, il fait la connaissance d’un certain Mr. Robot (Christian Slater), à l’ambition simple et radicale : mettre à bas le système libéral en effaçant toute forme de dette.
Robin des bois ? Edward Snowden ?
L’un dans l’autre, l’équation s’avère complexe. Sommes-nous face à un hacker éclairé, un potentiel Robin des bois version web, un Edward Snowden de fiction ? Elliot est-il juste un type dérangé qui fouille la vie des autres pour mieux les mépriser ? Plus ambigu, plus contemporain, tu meurs.
Mr. Robot est sortie de l’imagination habitée d’un quasi-inconnu de nos radars, l’Américain Sam Esmail, qui ne se gêne pas pour citer Taxi Driver afin de situer la généalogie de la voix off, que beaucoup attribuaient à Fight Club.
“J’ai grandi comme un nerd”
Ce quasi-débutant est né l’année suivant la sortie du film de Scorsese, en 1977… Au départ, Esmail avait développé ce projet sous la forme d’un long métrage de cinéma, avant de se tourner vers la télé. Bien lui en a pris, puisque USA Network a déjà renouvelé la série pour une deuxième saison. Sur la radio publique NPR, Sam Esmail se confie :
“J’ai grandi comme un nerd. J’étais passionné d’ordinateurs et je me suis infligé tous ces films et toutes ces séries horribles, qui se donnaient tant de mal pour être sexy en ajoutant une tonne d’effets spéciaux et de gimmicks dramatiques inutiles. L’une de nos règles sur Mr. Robot est de ne pas tourner sur fond vert. Je veux que les acteurs réagissent vraiment à ce qui se passe devant eux.”
Le résultat ? Impressionnant. Mr. Robot s’immerge dans une réalité à la fois palpable pour n’importe quel utilisateur d’appareils électroniques au quotidien, et insaisissable dans ses détails – qui connaît les vraies méthodes des hackers et la réalité effective de la surveillance dont nous sommes l’objet ?
Mr. Robot, série politique
Mr. Robot saisit les effluves des Anonymous et autres groupes aux frontières de la légalité avec une virtuosité assez déconcertante. Après en avoir vu ne serait-ce que quelques minutes, n’importe quel être sensé regarde ses profils de réseaux sociaux d’un autre œil, plus concerné, moins volage.
Nous sommes devant une série politique, au sens où elle identifie un ennemi et un système – en l’occurrence les grandes corporations sans scrupules, dont l’une s’appelle ici Evil Corp “l’Entreprise du mal”). “Democracy has been hacked”, dit l’un de ses slogans, comme un écho lucide à la crise grecque.
Par son esprit pirate, Mr. Robot évoque une autre perle noire de l’histoire des séries, très éphémère celle-là : Profit, dont seulement quelques épisodes ont été diffusés en 1996. La création de John McNamara mettait en scène un héros post-American Psycho, lancé dans une entreprise d’adoration perverse et meurtrière du libéralisme le plus glauque.
“Fuck society”
Le personnage central de Mr. Robot reste pour l’instant du bon côté de la barrière, bien qu’il soit fort peu sympathique et potentiellement fou – sa psy peut en témoigner. Dans l’une des premières scènes, son chantage auprès d’un gérant de restaurant pédophile montre ce dont il est capable.
Rien à foutre de rien ? Ses motivations restent encore floues, à part un tonitruant “fuck society” asséné lors d’un puissant monologue intérieur. Mais la réalité qu’affronte Elliot est bien celle de la folie financière, boostée par les zones sombres d’internet.
Le premier plan saisissant de la série – une assemblée d’hommes en costume-cravate filmée au ralenti – affiche son ambition : Mr. Robot veut scruter de près les formes contemporaines de la domination. Un monde où les patrons paradent, tout sourire, derrière des vitres à la transparence suspecte. Ils sont à la fois très visibles et impalpables, ils glissent sans faire de bruit, comme l’argent qui les occupe. A sa manière, Mr. Robot s’attarde sur les gestes du pouvoir et du capitalisme triomphant, faisant œuvre ethnologique.
Références majeures : Taxi Driver, Profit, Fight Club et Dexter
Comment ne pas laisser le cynisme de ceux qu’elle filme irradier sa propre matière ? Comment conserver la distance morale vitale de son héros par rapport à la pourriture du réel ? Tel est le défi de la série, pas si simple à relever. Après un départ en fanfare – son pilote est probablement l’un des deux ou trois meilleurs vus depuis cinq ans –, Mr. Robot a d’ailleurs atteint une vitesse de croisière légèrement moins exaltante.
Mais avec une telle certitude dans le regard porté sur ce qu’elle a décidé de montrer, une telle souplesse dans le maniement des références majeures – de Taxi Driver, Profit et Fight Club en passant par Dexter et William Gibson –, il serait étonnant que la baudruche se dégonfle. Nous resterons sans doute collés longtemps à la tête d’Elliot, ce mercenaire défoncé de nos catastrophes online.
Mr. Robot chaque mercredi sur USA Network. Prochainement en France
Site interactif pour découvrir M. Robot
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