Découvert dans la série “Girls”, Adam Driver a ensuite tourné avec Eastwood, Spielberg, Scorsese, les frères Coen et Noah Baumbach. Cinéphile de longue date, il évoque les films et rencontres qui l’ont marqué.
Après avoir explosé dans la série Girls, Adam Driver est le it-boy du cinéma américain : petits rôles chez Eastwood et Spielberg, apparition mémorable du côté des Coen, puis présence importante dans les nouveaux films de Jeff Nichols, Martin Scorsese et donc, Noah Baumbach. Naturel, cash, dénué de grosse tête, Driver conduit sa carrière avec doigté et sûreté.
Adam Driver – Noah Baumbach fait partie des gens avec qui j’aimerais travailler aussi longtemps que possible. Il est intelligent, cohérent, les pieds sur terre, et en plus très sympa. C’est vraiment agréable de le côtoyer.
Que pensez-vous de Jamie, votre personnage ? Ingénu ou cynique ?
On ne sait pas trop, il est ambigu et on a volontairement laissé ça ouvert. On pourrait penser superficiellement qu’il est manipulateur, mais quand on examine bien son comportement, difficile de pointer une quelconque volonté malveillante de sa part. Le plus difficile dans mon travail, c’était de faire en sorte que le spectateur ne porte pas de jugement tranché sur lui.
Dans votre métier, rencontrez-vous des gens qui ressemblent à Jamie ?
Oui, beaucoup de gens sont ambigus comme Jamie, avec ce mélange d’innocence et de calcul intéressé. Grâce à internet, beaucoup de gens de ma génération profitent du fait que la frontière entre le public et le privé se brouille, utilisent ça pour leur carrière. Aujourd’hui, la vie privée devient une monnaie d’échange, les gens se vendent eux-mêmes. Partager sa vie privée avec autrui sur Facebook, c’est comme investir dans une relation, au sens du business. On ne sait plus où est la frontière entre l’amitié et l’intérêt et cela entraîne beaucoup de relations biaisées, fausses. While We’re Young parle aussi de tout ça.
Vous êtes jeune, aimez-vous cette nouvelle donne sociale ?
Je la déteste ! Je crois que la vie privée est une chose essentielle, dans mon métier et en général. C’est bien de laisser les individus tranquilles dans leur espace privé, où ils peuvent délirer, avoir leur jardin secret. Et c’est important d’avoir des amis en qui on peut avoir confiance. Comme dans le film, il m’arrive de me désolidariser de ma génération et de préférer la fréquentation de gens plus âgés. Je ne prétends pas être plus fort que mon époque, au contraire, parfois je ne comprends pas tout ce qui se passe.
Vous avez eu un petit rôle dans J. Edgar. Travailler avec Eastwood, c’était comment ?
Clint ressemblait exactement à l’idée que je m’en faisais. Il est concis, direct, cash, il n’y a aucune préciosité dans son comportement, il va droit à l’essentiel. Il n’y a pas de sentimentalité dans ses films et dans sa façon d’être.
Vous avez aussi travaillé avec Spielberg, sur Lincoln…
Encore une icône. Gamin, je regardais Les Dents de la mer deux ou trois fois par an. Il est très doux, très malin comme réalisateur. Il fait ce métier depuis si longtemps qu’on a l’impression que tout roule fluidement. Mais chaque jour, sur le plateau, il a une attitude ouverte à la découverte, aux suggestions, il n’est pas du tout monsieur “je sais tout” bien qu’il sache presque tout. C’est ce que j’ai appris au contact des grands du cinéma, il n’y a jamais de réponses toutes faites.
On se souvient de votre performance d’acteur et de chanteur dans Inside Llewyn Davis des frères Coen…
Je les admire. Aujourd’hui encore, je ne réalise toujours pas que j’ai joué dans un de leurs films. Ils fonctionnent comme une seule personne à deux têtes, c’est très étonnant. On pose une question à Joel, et Ethan vous fera exactement la même réponse que son frère. Leur méthode est le contraire de celle de Spielberg, tout est préparé au millimètre, les dialogues, les mouvements de caméra, les déplacements des acteurs…
Et en même temps, ce cadre solide permet une certaine liberté, par exemple dans la façon de dire un dialogue. Toutes les chansons du film sont chantées live sur le plateau par les acteurs. Pour moi, c’était terrifiant de devoir chanter aux côtés de Justin Timberlake et Oscar Isaac, avec T-Bone Burnett qui supervisait.
Vous avez joué dans Hungry Hearts de Saverio Costanzo. Avez-vous apprécié travailler avec un cinéaste étranger ?
Beaucoup. J’ai grandi en regardant des films européens. Les films américains ont tendance à enchaîner A puis B puis C et à additionner le tout, ça avance comme une machine parfaite. Alors que les films européens ne sont pas dans cette idée de perfection. Il y a plus de jeu, d’ambiguïté chez Rohmer, Bertolucci, ils sont plus proches de la réalité des êtres humains.
Vous êtes dans le prochain Jeff Nichols, Midnight Special…
Je me souviens que je n’étais pas satisfait après ma première vision de Take Shelter, j’y ai repensé pendant plusieurs jours et j’ai fini par mettre ça au crédit du film. Avec les films de Jeff, on ne sait pas ce qui va se passer et souvent, ce qui se passe est différent de ce à quoi on s’attend. Dans la vie, Jeff est très gentil, très courtois, et quand on voit ses films, c’est beaucoup plus sombre, plus violent.
Vous avez tourné dans le prochain Scorsese, Silence…
Je joue l’un des deux rôles principaux, celui d’un prêtre jésuite qui va voir son maître pour une quête qui remonte loin dans le passé. Scorsese est au sommet de la pyramide dans mon panthéon personnel. J’étais assez anxieux d’être dirigé par lui. Il a fait des films qui ont l’air très différent en surface, mais plus on le connaît, plus on se rend compte qu’il y a des motifs permanents dans toute sa filmo, notamment le rapport à la spiritualité. Les acteurs ont parfois tendance à se rebeller contre le metteur en scène, à s’approprier le rôle. Scorsese incite à cette rébellion, il en fait son miel.
Gamin ou ado, aviez-vous des acteurs ou actrices favoris, des modèles qui vous auraienta inspiré ?
J’ai vu plein de films, plein de comédiens, mais c’est difficile de dire “oh, c’est ce film-là qui m’a donné envie de devenir acteur”, même si Die Hard ou L’Arme fatale m’ont marqué. Par ailleurs, j’ai été en partie élevé par mon grand-père, qui était très cinéphile. Il enregistrait les films à la télé et il avait plus de cinq cents cassettes avec quatre ou cinq films par cassette ! Sur chaque cassette, il imprimait le titre, l’année, le réalisateur, le synopsis… J’étais gamin et c’est comme si j’avais une cinémathèque à la maison. J’ai dévoré ainsi très jeune un paquet de classiques de tous genres.
Cela dit, ce n’est pas ça qui m’a amené directement au métier de comédien. Devenir acteur était juste irréaliste pour moi, je ne connaissais personne dans ce milieu, puis je me suis engagé dans les Marines à 18 ans. J’y suis resté deux ans, je me suis blessé… C’est après que j’ai réalisé que la vie était courte et qu’essayer de devenir acteur était du coton comparé à la dureté de la vie militaire. J’ai pris des cours de comédie à New York, puis j’ai eu la chance de vite trouver du boulot et tout s’est enchaîné.
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