Le nouvel épisode de la saga « Uncharted » voit son héros mâle habituel céder la vedette à une chasseuse de trésors qui n’a rien à lui envier et qui fait pour l’occasion équipe avec une mercenaire. Si, sur le plan ludique, « The Lost Legacy » radote un brin, il décolle grâce à son duo féminin.
« Pourquoi The Lost Legacy n’est pas digne de la saga Uncharted. » Tel aurait pu être le titre de cet article. On y a pensé, d’ailleurs, au cours de l’aventure relativement courte – sept heures au compteur, en ce qui nous concerne – que propose cet épisode hybride, pensé à l’origine comme une extension téléchargeable du superbe Uncharted 4 et transformé en cours de route en jeu à part entière. Et puis les derniers chapitres de l’aventure ont tout changé. Parce que certaines séquences tardives sont parmi les plus incroyables qu’on ait rencontrées manette en main depuis le début de l’année – on tremble encore en repensant à la scène du train. Mais aussi, voire surtout, parce que, discrètement, quelque chose s’était passé et a fini par se révéler. Quelque chose qui avait besoin de temps pour s’installer, se sédimenter, grandir et nous conquérir.
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https://youtu.be/7ORG–uvYiE
Au début, donc, pour qui connaît bien la série Uncharted, The Lost Legacy a des allures de rendez-vous en terrain connu. On ne parle bien sûr pas des lieux visités, de cette Inde aux paysages et aux temples sublimes, puisque notre destination, cette fois, est la région montagneuse des Ghats occidentaux. Non, c’est ce que l’on y fait qui paraît d’abord exagérément familier, jusqu’à donner au jeu des allures de virée touristique assez vaine et au chemin si clairement indiqué qu’on ne risque vraiment pas d’oublier le guide. Lorsque notre personnage interrompt sa progression pour prendre des photos de ce qui l’entoure, on est même tenté d’y voir un aveu des développeurs. Elle aussi est peut-être d’abord là pour le paysage et ne se passionne que modérément pour les escalades à répétition, les quasi-chutes fatales avec rattrapage in extremis ou les glissades sur le sol détrempé qui ressemblent comme deux gouttes de boue à celles de Nathan Drake dans Uncharted 4. D’ailleurs, en plissant un peu les yeux, on pourrait presque croire que c’est encore lui, le sémillant Nate officiellement retraité du jeu vidéo, qui donne de sa personne dans The Lost Legacy, et non la brune chasseuse de trésors à la voix rauque Chloe Frazer, découverte dans Uncharted 2 et promue tête d’affiche de cet épisode en compagnie de la mercenaire Nadine Ross.
C’est sans doute ce qui dérange le plus dans The Lost Legacy : cette impression que, si la vedette appartient à une femme, cette dernière est ici à la place du vrai héros, lequel se trouve être un homme. Comme si elle n’était qu’une remplaçante en mission d’intérim. Comme si elle avait seulement droit à un petit tour de piste dans un jeu qui n’est pas vraiment le sien mais celui d’un autre – d’un homme, donc, Nathan Drake, la star des quatre premiers Uncharted. L’idée est peut-être que rien de ce qu’un héros masculin peut apporter en termes d’expériences de jeu ne doit être retiré quand le mâle cède la place à une femme – et que le vrai sexisme serait là. Admettons. On ne peut s’empêcher de penser que l’intrépide et volontiers sarcastique (et plus frontalement féministe que son auguste devancière Lara Croft) Chloe Frazer méritait mieux, elle qui, dans Uncharted 2, à l’heure de la séparation, pouvait lancer à Nathan un réjouissant « Avoue-le : mon cul va te manquer. » Vous avez dit badass ? Aucun doute : elle devrait avoir son propre jeu.
Cela, The Lost Legacy ne l’est jamais totalement, mais il est passionnant de voir comment, au fil du temps, il le devient quand même de plus en plus. Le secret, c’est l’écriture, et pas seulement de punchlines qui font sourire en sursautant. L’écriture – des dialogues, en particulier, et essentiellement des échanges façon buddy game (comme on dit movie) au féminin avec Nadine Ross – et aussi ce petit mystère que le jeu vidéo partage entre autres avec le cinéma et que l’on appellera, au choix, l’incarnation, la figuration ou simplement la présence. Plus le jeu avance et plus Chloe et sa presque copine Nadine sont incontestablement là, devant nos yeux. Plus elles se tiennent, et nous marquent, nous accrochent, nous retiennent. Et plus ça devient flagrant que, les filles, je vous aime – autant que Nate, peut-être même.
A son chef-d’œuvre The Last of Us (dont la suite est espérée pour 2018), le studio californien Naughty Dog avait offert un prolongement sous forme de DLC, Left Behind, qui, malgré une durée assez brève, contenait davantage d’idées belles et neuves que bien des jeux complets. Avec The Lost Legacy, c’est un peu le contraire : le DLC envisagé devient un jeu à part entière, mais il ne peut vraiment s’appuyer sur une seule véritable idée : celle que, même sans changer grand-chose autour d’elles, sur la durée, laisser la place aux femmes, surtout quand ces dernières échappent globalement aux clichés, sera nécessairement profitable. Que le résultat sera différent, intéressant et qu’au fond, ce ne sera que justice. Lorsque, sur une chanson de M.I.A., se lance le générique de fin, la partie est gagnée depuis un bon moment. Le vainqueur ? Appelons-le girl power. Note à Naughty Dog : vous pouvez laisser tranquille Nathan, qui a cessé de nous manquer. En revanche, ces prochaines années, n’hésitez pas à nous donner des nouvelles de Chloe.
Uncharted : The Lost Legacy (Naughty Dog / Sony), sur PS4, environ 35€
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