Attaque de commissariat et bavures policières : la nuit du 13 au 14 juillet a été ponctuée d’affrontements violents. Une conséquence de la politique municipale qui vise à virer les pauvres pour faire des Ulis une ville de propriétaires.
Tarek Malki a l’air groggy. Assis devant la mairie des Ulis, il écoute distraitement son frère s’égosiller dans le mégaphone, face à la petite centaine de personnes venues lui manifester leur soutien, sous la chaleur éreintante de ce samedi après-midi. Les mains sur les genoux, la tête droite dans une minerve et le front serré par un bandage, Tarek les regarde en silence. Il est sorti de l’hôpital jeudi, mais à voir ses cernes et le cocard sous son œil gauche, on se demande comment il tient assis.
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Il y arrive pourtant, avec l’air calme d’un patriarche trônant sur sa chaise pliante. A peine une lueur de défi dans les pupilles quand son regard croise celui des deux policiers en civil qui n’essaient même pas de se planquer, tant aux Ulis tout le monde se connaît.
Tarek aurait reçu une grenade tirée par un agent
La large plaie qui coupe son front en deux, d’une tempe à l’autre, ce jeune homme de 26 ans la doit aux policiers, d’après les témoignages recueillis par son avocat, maître Maati. Pris dans les affrontements de la nuit du 13 au 14 juillet, Tarek aurait reçu une grenade tirée par un agent à quinze mètres de lui, alors qu’il sortait d’un café à deux pas de la mairie.
Une intervention des pompiers et vingt-quatre points de suture plus tard, un autre policier s’est présenté à l’hôpital. “Il a dit qu’il était de l’IGPN et il a proposé à Tarek de le suivre s’il voulait porter plainte”, raconte Anass, son grand frère. Tarek l’a donc suivi, sans attendre qu’un médecin examine le scanner qu’on venait de lui faire passer. Il pensait obtenir justice, mais c’est en garde à vue qu’il a terminé la nuit, tandis que son frère ulcéré l’attendait dans le hall du commissariat. Une dizaine d’heures plus tard, il était libéré, sans qu’aucune charge ne soit retenue contre lui.
Comme les deux autres victimes de cette nuit aux accents insurrectionnels (un ado de 14 ans quasiment émasculé par un tir de Flash-Ball à Argenteuil, un autre de 16 ans blessé au visage aux Mureaux), le jeune homme sortait de la mosquée quand il a été blessé. En cette fin de ramadan, les musulmans commémoraient le jour où le Coran fut révélé au Prophète. Rares sont ceux qui ne sont pas allés prier en cette nuit dite “du destin”.
La police se défend d’avoir commis une bavure
Tarek ne faisait donc pas partie de ceux qui ont attaqué le commissariat à coups de pétards et de pierres ce soir-là, quand la Nuit du destin et l’anniversaire de la prise de la Bastille se sont brutalement télescopés aux Ulis. D’ailleurs personne ne l’en accuse : la police se défend simplement d’avoir commis une bavure.
“Sa blessure ne peut pas avoir été provoquée par un Flash-Ball”, estime Claude Carillo, un responsable du syndicat Alliance. “Avec nos armes, il y a des bleus. Là, c’est trop propre. Soit il a pris une pierre, soit il est tombé dans les escaliers.” Mais il n’y a pas d’escalier devant le café Royal et sa plaie ne ressemble pas à la blessure en étoile provoquée par une pierre.
Tarek serait donc une “victime collatérale du tir au pigeon” pratiqué par des policiers sur les dents, d’après les militants venus le soutenir. Des policiers en sous-effectifs, trop exposés au cœur de la cité et victimes de représailles suite à leurs contrôles et leurs arrestations, martèle le syndicat Alliance.
“C’est la quatrième fois en quinze jours que le commissariat est attaqué”, s’insurge Claude Carillo. Un véritable assaut, mené par cinquante émeutiers, affirme le représentant syndical, déroulant un storytelling très 1789. Un remake d’Orange mécanique à trente-cinq minutes de Paris, titre même le site Atlantico.
La municipalité rêve de gentrification
Sauf que Les Ulis ne sont à trente-cinq minutes de Paris que pour l’heureux propriétaire d’une voiture. Le site de la RATP, lui, propose un trajet d’une heure et demie, dont trente-cinq minutes de marche à pied, pour rejoindre l’îlot des prolos de la vallée de Chevreuse, comme le décrivent ses habitants. Et justement : cet ilôt, la municipalité rêve de le voir se gentrifier. C’est de là que viendraient les tensions entre les ados et la police.
Depuis quelques années, la mairie rêve d’une ville de propriétaires. Les HLM sont donc rasés ou vendus à la découpe aux voisins mieux lotis de Bures-sur-Yvette et des communes alentour. Mais cette “réhabilitation du centre-ville” version Bouygues passe par un nécessaire nettoyage des rues.
Autour des appartements flambant neufs achetés entre 150 000 et 250 000 euros, les ados du quartier des Amonts font désordre. Ils ont l’habitude de traîner sur les bancs, tard le soir. Surtout l’été, où leur désœuvrement est sidéral depuis que les crédits à la culture sont passés à l’as. Surtout quand le ramadan décale les horaires et qu’on tape encore la discute à 2 heures du matin. Surtout avec la canicule, quand les pauvres sont de sortie pour ne pas crever de chaleur dans leurs appartements trop petits.
Mais les propriétaires, eux, pensaient acheter aussi leur tranquillité. Et les nouveaux arrivants ne savent pas dire “ta gueule” correctement aux Ulis. Alors ils passent un coup de fil, et c’est la police qui vient déloger des ados qui ne comprennent pas pourquoi on leur interdit le centre-ville.
“On fait ce qu’on peut pour calmer les jeunes”
“Entre eux c’est vraiment tendu”, reconnaît Choukri El Barnoussi, militant associatif et ex-candidat aux législatives sur la liste Emergence. “On fait ce qu’on peut pour calmer les jeunes, on leur explique que les nouveaux proprios ont des bébés qui voudraient dormir la nuit. Et quand ça se passe mal avec la police, on essaie de les canaliser dans les réseaux qu’on monte depuis dix ans, contre les violences policières, contre les contrôles aux faciès, etc. Mais on a l’air de quoi lorsqu’en face les flics gueulent ‘retourne sur ta montagne baiser ton âne’ au frère d’un type qu’ils ont blessé et qu’ils mettent en garde à vue ?”
Trois jours après l’attaque du commissariat, les policiers ont arrêté cinq ados, âgés de 14 à 19 ans. Aux Amonts, quelques autres ont pris des baffes, de la part de grands frères bien intentionnés s’échinant à faire entrer dans leurs têtes qu’il existe un moyen plus efficace de lutter contre les injustices, sans prendre autant de risques. Aucun policier n’a été blessé, mais Tarek Malki n’est pas passé loin de la fissure crânienne d’après les médecins de l’hôpital d’Orsay. Les murs du commissariat, eux, ne portent pas de séquelles.
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