Juste quelqu’un de bien. Outragée par les uns, trahie par les autres, la variété française trouve en Julien Baer un talent bien décidé à la servir dignement : sans nostalgie excessive. Le seul sondage véritablement concluant auquel devrait être soumis le premier album de Julien Baer serait d’en proposer l’écoute à un panel de jeunes […]
Juste quelqu’un de bien. Outragée par les uns, trahie par les autres, la variété française trouve en Julien Baer un talent bien décidé à la servir dignement : sans nostalgie excessive.
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Le seul sondage véritablement concluant auquel devrait être soumis le premier album de Julien Baer serait d’en proposer l’écoute à un panel de jeunes filles à la sortie d’un lycée lambda de France puis de constater si, oui ou non, les émois qu’il concentre parviennent à troubler leurs petits cœurs au sortir de l’hiver. Savoir si, entre Treponem Pal et G Squad, il existe encore une place pour accueillir une chanson française de facture classique dont la vocation exclusive est de cristalliser le sentiment amoureux autour de quelques rimes, d’une mélodie toute simple. D’avoir trop longtemps abandonné ce terrain-là à d’autres, les Dany Brillant, Pascal Obispo, François Feldman, dont on sait qu’ils s’emmêlent régulièrement dans la conjugaison des verbes séduire et racoler, n’a pas dû rendre la tâche de J. B. des plus faciles. Comment croire que l’on puisse encore savourer la délicatesse d’une dentelle comme La Bataille la plus dure, dissimulant à peine l’origine gymnopédique de sa fibre (Erik Satie au secours de la variété !), après avoir eu les oreilles estropiées par divers attentats sonores alors que l’on remplissait gentiment son caddie à l’hypermarché du coin ? C’est ici qu’il faut reconnaître à Julien Baer un certain talent ; d’abord pour replacer dans un contexte intimiste ce que les confrères ont exhibé avec la plus obscène ostentation : le sentiment. La voix est caressante, sensuelle, humectée par une sécrétion plutôt raisonnable de la glande mélancolique. Elle coïncide parfaitement avec le point de vue du narrateur qui évolue toujours à la marge de ses propres histoires. Marie pense à moi, Une Femme seule, Le Monde s’écroule, Julien pratique la stratégie de la pénombre ; il parvient d’autant mieux à mettre son petit souci en évidence qu’il se place délibérément en retrait, dans un stand by amoureux qui a toutes les chances d’attirer l’attention. Des femmes et des auditeurs. Cette recherche d’équilibre, on la constate ailleurs. Dans l’économie des mots, dans une retenue qui vaut bien des lyrismes mal maîtrisés.
Le disque possède en outre un vocabulaire musical suffisamment riche pour ne jamais favoriser l’impatience ou la lassitude. Bossa-nova (Le Monde s’écroule), pop anglaise (Juillet 66), jazz du bout de la nuit (La Folie douce), voilà un éclectisme que l’on ne peut en aucun cas confondre avec une collection d’exercices de style et qui redonne au mot variété des lettres de noblesse depuis longtemps perdues. Bon, il n’y a pas de trip-hop ou de cold-wave. Sans doute parce que cette reprise en main s’accompagne d’une nécessaire remise en perspective. On reproche déjà au chanteur une conception plutôt datée de son art. Certes, il n’y a rien de nouveau sous le soleil de Julien. Les noms de Gainsbourg, Polnareff ou Yves Simon passent dans nos esprits, mais à la manière de jolis nuages blancs. Ils ne s’arrêtent jamais.
Car au-delà de ces références, dont l’inévitable sollicitation doit beaucoup à leur éternelle validité, c’est à un savoir-faire typiquement français que l’impétrant a eu la bonne idée de vouloir s’étalonner. Et l’hommage concerne peut-être moins les bons apôtres sus-cités que ceux qui surent en habiller les exploits : les Jean-Claude Vannier, Michel Colombier, Arthur Greenslade, tous ces arrangeurs à qui l’on doit l’identité sonore de l’une des meilleures périodes de la chanson française. Violons (Cette fille s’appelle demain), cloches, harpes, flûtes…, ici l’on a recours à une panoplie de timbres et de vibrations qui, en convoquant la mémoire, réveillent des zones endormies de la sensibilité auditive. On l’a déjà dit : il y a des nostalgies plus nobles que d’autres. Quoique Julien Baer n’est pas là pour rabâcher son deuil d’un paradis perdu qu’il n’a jamais foulé, car trop jeune. Il montre trop de respect envers ce qu’il aime pour s’abaisser à des expédients dont bien d’autres font encore pâture.
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