Ceux qui pensent que les Texans de Lift To Experience cassent les oreilles (ou les burnes) ont tort : l’inquiétant trio casse des briques. Et aussi les genoux.
Jeudi en fin d’après-midi, je retrouve avec joie mes potes texans de Lift To Experience à Brighton. Avec leurs allures de seconds rôles sadiques dans un film de Peckinpah, ils paraissent encore plus inquiétants et exotiques dans ce bout d’Angleterre. Eux qui m avaient fait visiter le Texas profond dans des pick-ups à têtes de vache ont le droit à une courte balade en Sussex à l’arrière de mon vieux Land Rover, à l’arrière duquel groupe, roadies et copains s’entassent hilares. Ça sent le fauve : normal, c’est la voiture de Daktari.
Ils sont ici dans le cadre d’une tournée à l’itinéraire mystérieux, sans doute tracé par un des ces Américains à la géographie douteuse : ils doivent passer par la Belgique pour aller de Brighton à Reading, trois heures de route sinon. Le concert de ce soir est prévu au club The Lift. Mais stupeur du patron à l’arrivée du groupe : lui qui pensait accueillir, comme souvent, un de ces groupes de country éplorée au songwriting aussi léger que le matériel arrête le déchargement de la camionnette après quatre amplis Marshall, invoquant un voisinage de retraités. Et encore : le pauvre homme n’a vu là que le matériel du BASSISTE. Car dans cette course aussi effrénée qu’absurde au bruit, Lift To Exeprience joue loin devant Mogwai ? mais, au moins, avec de bonnes raisons, qui ont plus à voir avec My Bloody Valentine qu’avec Spinal Tap.
C’est au minuscule Free Butt que les Texans trouvent refuge, emportant dans leurs encombrants bagages leur première partie parisienne, Ben’s Symphonic Orchestra, en passe de séduire l’Angleterre en douceur. Par une température atroce et humide, sans doute une hommage au Texas, le Free Butt accueille les Texans avec fièvre. On comprend alors le patron du Lift, homme d’expérience : les Texans jouent tellement fort, abusent avec une telle jouissance des grands écarts que la dynamique de leurs chansons autorisent déjà sur disque, que les organismes gémissent. On connaissait déjà par c’ur la mystique débraillée des textes ahurissants de Josh, on découvre que cette guerre sournoise entre le paradis et l’enfer se traduit en musique : le premier incarné par la voix divine de Josh, le second représenté par des hordes de décibels en cavalcade, bave aux lèvres.
Le lendemain de cette expérience rare, comme par hasard, je suis admis aux urgences, un genou en miettes. Consigné sur un lit d’hôpital pendant une semaine, avec interdiction de concert pendant trois semaines. Grrrrrrrrrrr. J’aurais aimé pouvoir faire porter le chapeau (Stetson) à Lift To Experience, vous ordonner de venir, le 10 novembre à La Cigale, prudemment armés de genouillères. Mais la réalité est autrement plus absurde : j’ai rangé mes plus récents vinyles à quatre pattes sur le plancher de mon bureau et ai écrasé un ménisque. Payer au prix fort le pêché de m être ainsi agenouillé devant ma discothèque : voici un signe divin que pourraient longtemps disserter ces bigots défroqués de Lift To Experience. Même Nick Hornby, dans Haute Fidélité, n’aurait pas trouvé fin plus flamboyante pour un de ses anti-héros. En tout cas, soyez prévenus : le premier qui m appelle Dugenou se prend l’autre dans les roupettes, vu ?
PS ? Depuis qu’un infirmier m a refilé en douce une chaise roulante formellement interdite par son chef de clinique, je me sens aussi libre que le Capitaine Haddock quand Tintin lui en commande une dans Les Bijoux de la Castafiore. Puisse la Castafjörd me rendre visite, chambre 8, Lit 2.