Première écoute et premières impressions du gargantuesque et magistral Drukqs, le nouvel album d’Aphex Twin. Un disque double, qui mêle mélancolie et frénésie, tensions et élévation.
A propos de Richard D James, alias Aphex Twin, il n’y avait guère plus que des rumeurs en circulation, et peu de nouvelles discographiques probantes. On le disait cloîtré devant une console de jeu, interdit d’utilisation du nom « Aphex », propriété d’une marque américaine d’instruments électroniques. On prétend aussi qu’il aurait demandé à sa copine de faire un peu de place dans leur appartement, histoire de pouvoir enfin terminer son nouvel album, le premier depuis 96 (sans compter ses deux mini excursions de la fin des années 90, Come to daddy et Windowlicker).
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Finalement, au début de l’été, Warp, le label officiel du bonhomme, annonçait la sortie d’un double album, sobrement intitulé Drukqs, et comptant 30 morceaux.
C’est armé de ces seules informations qu’on a donc découvert ce disque gargantuesque, à la fois intime et débordant d’énergie vitale, aux titres écrits en une langue qui zigzague et s’écorche.
A l’arrivée, on se rend compte qu’Aphex Twin, tout en faisant usage de ses vieilles armes, de ses manies avouées pour les beats fous et frénétiques et son amour des mélodies nocturnes enfantines, est parvenu à se réinventer un langage électronique, plein d’émotions, de sursauts, de chemins de traverse. Tout en tensions, en montées et en descentes (Drukqs, bien sûr), l’album défile comme un portrait chinois de son auteur, qui s’y livre par petites touches, derrière de nouveaux masques, au détour de petites phrases, de clins d’œil à ses parents, à ses amis, à sa copine aussi, sans doute. Folle, frénétique, insoumise et irrésolue, la musique électronique d’Aphex Twin n’en est pas moins la plus organique et la plus passionnante qui soit. A l’instar d’Autechre qui hante des plaines métalliques et enneigées, Aphex Twin dessine des continents ensoleillés, obstinément humains.
Impressions après une première écoute.
Jynweythek Ylow
Druqks débute avec ce morceau court, petite ritournelle mélancolique, que l’on dirait jouée sur un harpsichord, légèrement désaccordé. A croire qu’Aphex s’est mis à réécrire ses Ambient Works électroniques pour des claviers déglingués.
Vordhosbn
Vif, incisif : chez Aphex, on ne tourne jamais en rond, longtemps. Après une introduction aérienne, l’album se réveille avec ce morceau drum’n’bass, frénétique, légèrement mélancolique aussi. Derrière les beats à la folie millésimée, flotte une mélodie synthétique toute simple, quasi enfantine, qui part, puis revient. Le morceau s’arrête, repart, tourne sur ses orteils et laisse tout essoufflé, déjà. La belle berlue.
Kladfvgbung Micshk
Relâchement de tension : après les beats assassins, Aphex se laisse aller à une ritournelle qu’on jurerait sortie d’une BO de giallo signée Morricone. De (fausses) notes de piano synthétiques laissent planer une ambiance de mystère sombre. Le tout ressemble à un interlude, une mini scène, avant le drame, l’assassinat.
Omgyjya Switch 7
Le morceau démarre comme un classique de techno, puis prend des relents de hip-hop électronique, comme si Aphex donnait quelques leçons à la grande famille du R n’B américain. Une leçon de ténèbres, plus précisément : le morceau prend rapidement une tournure noire, pas très éloignée des champs industriels d’un Autechre de dessins animés, infesté des sonorités maladives et sursaturées d’un jeu vidéo frénétique. Çà et là, une voix calfeutrée semble surgir pour crier « à l’aide« . Personne ne l’entend : personne n’a le droit de bouger.
Strotha Tynhe
Nouvel arrêt de la frénésie : Aphex s’empare d’un piano et se réinvente en Erik Satie. Oui, mais un Satie qui a écouté les boucles mathématiques de Cluster et Eno.
Gwely Mernans
Sans doute le morceau le plus proche du passé ambient d’Aphex : avec une boucle d’infra-basses, soutenue par des notes éparses. Le tout fait penser à une sorte de rêve à moitié éveillé, un songe envahi par une sueur froide, qui se répand en échos vagues. Drukqs, à ce moment précis, envahit tout le corps.
Bbdhyonchord
Retour à la case « uptempo », avec des percussions afro-numériques, surmontées d’une mélodie toute simple, enfantine. Comme si Aphex essayait de se redonner une virginité musicale, ce morceau sonne comme une première tentative, à la fois naïve et perturbée.
Cock/Ver 10
Alors que l’album commençait à se donner des allures calmes, renouant presque avec les premières mosaïques ambiantes du bonhomme, ce morceau recentre le débat et fait état de la fascination actuelle d’Aphex pour les morceaux estampillés « rave » ou « hardcore », très prisés au début des années 90, dans une Angleterre folle de beats frénétiques, sauvagement coupés. Là, les machines partent à toute vitesse, dans toutes les directions, s’arrêtent, rebondissent en un mouvement toujours violent.
Avril 14th
Nouvelle excursion au piano, comme un rappel du morceau Strotha Tynhe.
Mt Saint Michel Mix + St Michaels Mount
Aphex a pris des vacances en Bretagne, et il a emporté ses vieilles boîtes à rythmes vintage avec lui. Résultat : un morceau de drum’n’bass à la structure mouvante, malléable et traître comme des sables mouvants : alors qu’on s’impatiente, le morceau s’ouvre sous nos pieds, et laisse la place à une voix de femme-enfant qui fredonne. Les beats reviennent l’accompagner dans une descente magistrale. On reste là, le souffle coupé.
Gwarek 2
A l’origine, Gwarek2 avait été écrit en partie pour une pièce de Chris Cunningham, exposée récemment à Londres. La composition contraste avec le reste du disque : elle fait d’abord songer aux pièces de musique concrète de Bernard Parmegiani, mêlant sons concrets, cris, bruissements, sons électro-synthétiques et infra-basses qui font chalouper les intestins fragiles. Dans l’espace, se dit-on, on ne nous entendrait pas crier : la bande-son idéale pour un Alien halluciné.
Orban Eq Trx 4
Une marche martiale, pleine de basses, que l’on jurerait exécutée par des éléphants de Walt Disney, un peu bourrés.
Aussois
Une voix rapide et gigotante, toute seule, pendant 10 secondes : rien de plus éphémère.
Hy a Scullyas Lyf A Dhagrow
Comme une ritournelle, ce morceau court rappelle l’ouverture de l’album, toute aérienne, en suspens.
Kesson Daslet
Retour, pour terminer la première partie du disque, au piano. On sent, finalement, chez Aphex, une ambition d’écriture simple mais classique et, surtout, apaisée.
Suite demain avec l’écoute du CD n°2
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