Les journalistes persifleurs anti-Tsípras, Arnaud Leparmentier et Jean Quatremer, sont moqués sur les réseaux sociaux. Le procès d’une frange du journalisme en phase avec les préceptes libéraux.
Le procès en malhonnêteté idéologique et sensibilité ultralibérale dont font l’objet une majorité d’éditorialistes de la presse française depuis le milieu des années 80 trouve toujours sa plus forte expression dans les débats sur l’Europe. Si le référendum sur la Constitution en mai 2005 donna déjà lieu à quelques sévères coups de griffes à l’égard des plumes et des voix en faveur du oui (Serge July, Bernard Guetta…), le feuilleton interminable sur la réduction de la dette grecque réactive cette vieille querelle politique en forme de rituel médiatique.
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Quelques figures du journalisme dominant – Arnaud Leparmentier, Jean Quatremer, Jean-Michel Aphatie, Jean-Marie Colombani, Eric Brunet… – sont devenues les nouvelles “têtes de Turcs” de la sphère antilibérale et pro-Tsípras, très active sur les réseaux sociaux : une scène de théâtre sur laquelle les discussions ont pris l’allure d’une guerre de tranchées, où chaque tweet est comme un missile lancé à la gueule de l’adversaire écrasé mais tenace.
Statut de pestiférés du journalisme
A ce jeu, aussi infantile qu’infâme, Arnaud Leparmentier, du Monde, et Jean Quatremer, de Libération, ont particulièrement hystérisé la conversation grecque. Spécialistes des cuisines internes de Bruxelles, tous deux défendent depuis des années les vertus d’une approche libérale de l’économie, pour le dire vite. Cibles privilégiées de la gauche antilibérale, les deux journalistes semblent aujourd’hui s’accommoder (et s’amuser) de leur statut de pestiférés du journalisme.
En postant le jeudi 2 juillet, le jour de manifestation de solidarité avec le peuple grec, un selfie d’eux deux, avec une pauvre légende – “Ça va Bastille ? Nous on est rive gauche” –, mettant en scène, fût-ce de manière ironique, leur mépris (de classe) pour tous ceux qui soutiennent le peuple grec et Syriza dans son bras de fer avec l’Eurogroupe, les deux provocateurs ont attisé le feu sur les réseaux sociaux.
“Crépuscule d’une époque”
On rit d’eux, on se moque de leur suffisance, on s’énerve de leur posture, on brocarde leur aveuglement libéral. L’économiste Frédéric Lordon en fit même une longue chronique sur son blog du Monde diplo le 7 juillet, interprétant ce selfie comme le symptôme éclairant du “crépuscule d’une époque”. “Même au milieu des ruines fumantes de l’Europe effondrée”, les élites politico-médiatiques et les twittos à selfie “ne lâcheront rien” : “ce sera toujours la faute à autre chose, les Grecs feignants, les rouges-bruns, la bêtise des peuples, l’erreur, quand même il faut le dire, de trop de démocratie.”
“Têtes politiques en gélatine, experts de service, journalisme dominant décérébré, voilà le cortège des importants qui aura fait une époque. Et dont les réalisations historiques, spécialement celle de l’Europe, seront offertes à l’appréciation des temps futurs. (…) Maintenant il faut pousser, pousser c’est-à-dire refaire de la politique intensément puisque c’est la chose dont ils ignorent tout et que c’est par elle qu’on les renversera”, écrit Lordon, dont la plume acide trempe dans la plaie gestionnaire de courte vue.
La violence des échanges en milieu surchauffé, perceptible depuis une dizaine de jours, illustre, quoi qu’on pense de la polémique, le rejet de plus en plus vif des journalistes, dont l’éloquence masque une pure suffisance. De 2005 à 2015, la détestation du journalisme à la botte de Bruxelles s’est sensiblement radicalisée : après July, Leparmentier et Quatremer en sont les nouveaux messagers autant que les victimes.
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