Affreux, sale et méchant, l’art de Paul McCarthy s’exhibe à Nice dans toute son horreur baroque et hilarante. Une uvre suprasexuée et saturée de couleurs pour mieux en enrober le pessimisme angoissé.
C’est un rendez-vous important, un couple de collectionneurs venant rendre visite à un artiste à domicile. Ils sonnent à la porte, une femme s’empresse de leur ouvrir et de leur présenter le maître de maison, affublé comme les autres personnages d’un nez grotesque. Frétillant d’impatience, celui-ci saute alors sur une table, rabaisse son pantalon et leur présente son postérieur, que les deux admirateurs reniflent longuement entre deux sourires entendus. Quelques minutes plus tôt, il récurait un gigantesque tube de merde, en guise de peinture du pauvre. Autoportrait de l’artiste en pot de chambre, post-ready-made, dans l’incomparable Painter (1995), film-manifeste à certains égards du Californien Paul McCarthy. A l’issue de la vidéo, il se tranche un doigt à coups de hachette pour le plus grand plaisir sadique du public, parodiant tout à la fois cinéma gore et mythologie de l’artiste maudit. Bienvenue dans le monde à double fond et prises multiples de Paul McCarthy.
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A Nice, la Villa Arson, centre d’art contemporain, présente la première rétrospective européenne digne de ce nom de cet artiste américain majeur et iconoclaste. Un dynamiteur de clichés et pourfendeur du bon goût qui cache, à 55 ans, derrière son allure de vieux sage buriné avant l’heure, un sens inégalé de l’autodérision âpre et de la mise en abyme spectaculaire. Un critique acerbe de l’infantilisation de la culture contemporaine (et, pour beaucoup, américaine) et de son puritanisme frileux qu’il tourna en ridicule lors de performances faussement orgiaques, abondamment arrosées de liquides en tout genre (ketchup, chocolat liquide, lait, saucisses écrasées, mayonnaise à la farine, peintures grumeleuses et autres jus de peluches) pour mieux les confondre en un pathétique spectacle. Fausse pisse, fausse merde, simulacres de pédophilie et véritable obscénité se croisent sans cesse au c’ur de cette uvre baroque et hilarante, habitée par un pessimisme angoissé, saturée de couleurs et suprasexuée.
Né à Salt Lake City d’un père épicier et d’une mère « qui voulait devenir artiste », il s’intéressa d’abord au cinéma avant de se frotter à l’expressionnisme torturé du body art, au seuil des années 70. C’est dire à quel point le corps, traité comme un champ d’expérimentations au regard de questions sociales et politiques, se trouve depuis toujours au c’ur de son travail. Peindre avec sa tête face contre sol, écraser son anus contre une vitre, s’auto-encastrer la tête et le bras dans un mur, peindre avec son sexe et étaler de la matière fécale en frottant son visage sur une toile…, le jeune McCarthy pousse donc loin l’implication physique, offrant par là même une relecture délibérément sale de l’histoire de l’art et de son usage des matériaux. Un point marqué contre le camp encore attaché à la notion des « Beaux-Arts ».
Très vite pourtant, il se distingue des Chris Burden, Vito Acconci, Bruce Nauman et Dan Graham en incluant dans ses performances (d’abord interprétées en public, puis filmées à huis clos et diffusées sous la forme de vidéo) la nourriture, dont il s’enduit le corps et le sexe, quitte à faire déborder son slip de saucisses bien rouges et de gâteaux écrasés. Geste sacrilège dans un pays obsédé par la bouffe et la bienséance alimentaire. Le ton est donné. En 1977, c’est la délirante performance Grand Pop (un homme en costume se frotte une poupée blonde contre la raie des fesses avant d’asperger de ketchup une grosse Barbie décapitée), puis McCarthy joue au docteur, marteau et burin en main, la face recouverte d’une sorte de ragoût pas net, accouche en public déguisé en extraterrestre, toujours arrosé de ketchup et de produits vaguement alimentaires.
L’exposition de la Villa Arson s’ouvre d’ailleurs sur l’inquiétante installation Bossy Burger (1991), décor abandonné après une immonde séance de cuisine, dont une vidéo relate l’éc’urante évolution orchestrée par un cuistot fou portant le masque de la mascotte du comics Mad. Car, après avoir incarné des personnages socialement identifiables (l’homme politique, le marin, la femme enceinte…),
McCarthy s’en prit aux héros enfantins, tels que façonnés par la foisonnante industrie du spectacle (Popeye, Olive, Pinocchio, Rocky en débile se frappant la tête) et surtout le père Noël, un must, ventripotent et sanguinolent dans Tokyo Santa (1996) et tout bonnement satanique dans Santa Chocolate Shop (1997), dont l’expo niçoise offre une magistrale présentation.
Une grande salle occupée en son centre par une complexe structure de bois, décor du film projeté sur les trois écrans alentour. Plusieurs personnages (un nounours, une Heidi vêtue de vert, une femme Pinocchio en chaussettes rouge et blanc) y assistent un gros Santa binoclard, se suspendent aux poutres et se tortillent en tous sens, se frottent les orifices de chocolat liquide, s’en versent dans la bouche pour une golden shower boulimique. Parfois un sexe sort par le trou d’une paroi, à d’autres moments un visage de femme se fige en un rictus sardonique, comme figé sous le liquide marron. Le corps comme mouvement de désir contre la rigidité du décor, symbole du contrôle social. Fragments de débauche pour rire, réappropriation de figures inoffensives pour mieux mettre à mal la croyance en l’enfance comme âge de l’innocence. Spectacle faussement live, entièrement reconstruit, le Santa Chocolate Shop parodie l’univers hollywoodien, la fantaisie Disneyland pour mieux en dénoncer les composantes idéologiques et pervertir la position du spectateur en voyeur.
A quelques mètres de là, pour la vidéo Familly Tyranny, McCarthy-père abreuve Mike Kelley-fils d’insultes, tente de l’étouffer et lui enfonce un entonnoir sur la tête, le tout accompagné de grognements et de borborygmes semblables à des plaintes de malades mentaux. Que reste-t-il de la peinture chez McCarthy ? Presque rien. Un simulacre. Que reste-t-il de la famille ? Un abominable lieu de violence et d’autoritarisme. Un point de non-retour. Paul McCarthy a pour l’instant abandonné la pratique de la performance au profit d’installations tout aussi spectaculaires. L’année dernière, l’exposition Au-delà du spectacle au Centre Pompidou faisait belle place à son Yaa Hoo Town, Bunkhouse (cf. Les Inrocks n° 269). Un loup à la langue pendante et vêtu en cowboy y pénétrait un homme par l’œil, sous le regard vide de deux mannequins couchés derrière eux. Une métaphore de son public ? Dans le magazine Flash Art, McCarthy expliquait il y a peu « Les gens me demandent souvent : « Ne vous préoccupez-vous donc pas du public ? Que voulez-vous qu’il pense de votre travail ? » Ce n’est pas que je ne m’intéresse pas au public. Je le prends juste pour ce qu’il est. Je n’y pense pas. »
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Villa Arson, 2, avenue Stephen Liégeard, Nice, jusqu’au 23 septembre, tél. 04.92.07.73.73., www.cnap-villa-arson.fr
Indispensable catalogue richement documenté publié par Hatje Cantz Publichers et le New Museum.
La Villa Arson prépare une édition de la performance du Pinocchio de McCarthy réalisée à Nice en 1994.
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