Emissaires pop au sein de Warp, label rigoriste de la techno, les quatre de Broadcast ne pesaient pas bien lourd dans les enjeux musicaux contemporains. Grâce à leur premier véritable album, The Noise made by people, ils concilient leur érudition avec un goût affermi pour l’aventure. Un conseil : écoutez-les de près. Trois garçons, une […]
Emissaires pop au sein de Warp, label rigoriste de la techno, les quatre de Broadcast ne pesaient pas bien lourd dans les enjeux musicaux contemporains. Grâce à leur premier véritable album, The Noise made by people, ils concilient leur érudition avec un goût affermi pour l’aventure. Un conseil : écoutez-les de près.
Trois garçons, une fille, l’allure mal dégrossie d’étudiants sans diplôme. Une ville ordinaire, Birmingham. Un groupe de pop-music, avec des couplets trampolines et des refrains qui rebondissent dessus, des mélodies coquettes et des arrangements soignés. Vous avez envie de mourir ? Attendez un peu : Broadcast est tout ça mais Broadcast est aussi autre chose. De loin, un groupe à la prestance proche du zéro, une musique qui ferait passer le temps dans l’ascenseur ou dans le magasin de chaussures mais en ferait perdre à l’écouter chez soi. De près, une assez fascinante écriture pattes de mouche, fourmillant de détails invisibles à l’œil nu, que les oreilles distraites n’auraient pas la chance (ou la patience) de capter. Depuis Joe Meek et ses productions en trompe-l’œil, de Spector à Gainsbourg jusqu’aux bonnes recettes de Monsieur Tricatel, l’histoire de la pop regorge de ces exemples où une coquille sucrée renferme, pour qui ose en craqueler les contours, des surprises à faire passer Kinder pour un rapiat de la pire espèce. Broadcast, c’est donc beaucoup de chocolat (blanc, comme la voix pâle de Trish) autour et plein de plastique à l’intérieur, des petits objets qui vrillent quand on pianote dessus, des bibelots qui font du bruit quand on les secoue. Wurlitzer, Moog ou Jupiter 8 en ont signé le design, Brian Eno et Can ont prêté leur moule pour les fondre. Mais Broadcast n’est pas là non plus pour amuser les galeries d’Art à la mode Bastille et assouvir l’appétit des amateurs du « tellement kitsch, ma chèèère, tellement tendaaaaance ». Non, Trish et ses trois compagnons d’échappée Roj, James et Tim, sans compter un batteur interchangeable ne trichent pas. Ils prennent même leur intervention en ce bas monde très au sérieux. D’ailleurs, si les stratèges obliques du label Warp un des plus remuants stimuli de la techno anglaise ont jeté leur dévolu sur ce groupe qui ne répond à aucun de leurs critères de choix habituels, c’est parce qu’ils ont su aller voir au-delà des apparences ce qui se tramait dans les coulisses de ce décor trop sage.
On a pu longtemps s’interroger sur la pertinence de ce transfert et même s’inquiéter pour Broadcast. Qu’étaient-ils aller faire en terrain si inconnu ? Quelle serait leur réaction lorsqu’ils en viendraient à croiser à la machine à café leurs compagnons d’écurie, l’electronica malade et infantile d’Aphex Twin ou Plaid, les rigueurs glaciales d’Autechre ou de Squarepusher ? N’auraient-ils pas un peu l’air cruche avec leurs manières de puceaux perdus dans un tel lupanar pas net ? Non, au contraire, Broadcast trouve parfaitement sa place dans la galaxie Warp, trait d’union entre l’ombre et la lumière, réchappé de l’obscurantisme electro et ambassadeur analogique de l’enclave terroriste de Sheffield. Ils ressemblent à Stereolab. En bien. Avec une chanteuse, pas une autruche. Ou alors à Saint Etienne qui aurait avalé le catalogue Manufrance et tout rendu sur un tapis orange seventies. Comme tout le monde, Broadcast aime John Barry, Ennio Morricone et Burt Bacharach, Petula Clark période Tony Hatch et Françoise Hardy période douloureuse. Plus érudits quand même que la moyenne, ils réclament aussi l’influence d’un groupe comme United States of America, l’un des premiers à avoir fait descendre l’électronique au garage dans les années 60. « Nous n’avons aucune envie de revivre les sixties, on apprécie juste les gens qui ont des idées, solides et simples », commence Tim. « Mais une fois que tu as apprécié une musique qui repose sur de beaux arrangements, c’est dur d’en revenir, de tout oublier », continue Trish. « Cette décennie a connu une étincelle, il y avait une énergie, une originalité uniques à cette période. Peut-être que maintenant, l’industrie du disque impose aux auditeurs des choses extrêmement pauvres parce qu’elle ne les croit pas assez intelligents pour comprendre autre chose. » Broadcast aimerait bien prendre son nom pour une réalité : se répandre sur les télés et les radios, concilier comme il se doit pop et populaire. On n’en est pas encore là. On n’y sera sans doute jamais. The Noise made by people, premier véritable album qui succède à une compilation de singles il y a deux ans, n’aurait pas pu s’appeler The Noise made for people. Broadcast sait que la partie est perdue d’avance, qu’en dehors de l’enclos protecteur de l’indie-pop ils ne survivraient pas une minute. Lâchés dans la jungle électronique, ils se feraient bouffer en moins de deux. Alors ils ont préféré se laisser glisser dans les marges, abandonner la compétition pour flâner au bord des autoroutes de l’informatique : sur l’album, plusieurs instrumentaux aux sources musicales non identifiées rajoutent une profondeur de champ étrange à ce tableau par ailleurs naïf. Parfois, on croirait du David Hamilton torpillé par David Lynch : les mélodies sont un peu floues et un peu folles, leurs habits un peu froissés, leur goût tourne lentement au vinaigre. Expérimentateurs soft, pas très savants mais pas trop suiveurs non plus, les membres de Broadcast font partie de cette catégorie de musiciens qui préfère la recherche à la trouvaille, leurs disques ressemblent ainsi plus souvent à des chantiers qu’à des chansons. « Beaucoup de musiciens électroniques utilisent les mêmes programmes informatiques ; à part Autechre et quelques autres, ils sont tous à ranger dans la même boîte. Quand on parle d’électronique, on pense plutôt aux pionniers. » Pour expliquer le titre de l’album, The Noise made by people, c’est même la musique concrète qui est conviée. « Les gens en marchant, en vivant, créent des bruits, des bruits que l’on peut parfois écouter comme une vraie partition. » Ils ont beau faire les malins, bredouiller des concepts trop balèzes pour leur cervelle, droper dans la conversation des noms (Gainsbourg, Maestro Ennio) dont ils maîtrisent mal la grandeur, ces gens sont attachants. On pourrait saisir le bâton qu’ils nous tendent pour les battre, leur dire qu’ils ont encore pas mal de chemin à parcourir avant de claquer la bise à Melody Nelson ou à La Donna invisibile, mais on évite.
On préfère louer leurs efforts, compatir sincèrement quand ils expliquent que ce premier album est né dans la douleur : « Tous nos morceaux étaient en germe dans nos têtes. En revanche, la technique nous faisait défaut. » Ce blocage aurait duré plusieurs mois, dû à une certaine inexpérience en la matière et, paradoxalement, à un refus de laisser un producteur s’immiscer dans un monde déjà sûr de lui. « Le son est aussi important que les chansons. Mais nous ne sommes plus à une époque où un producteur comme Phil Spector te bâtissait un son énorme. 80 % des producteurs sont dépourvus d’imagination, ils mènent une carrière. En plus, nous avons un problème de communication avec l’extérieur. Même si nous avons une idée précise de ce que nous voulons, c’est dur de l’exprimer par des mots. On n’avait pas envie de voir quelqu’un d’autre intervenir, en croyant savoir à notre place comment nos chansons devaient sonner ». Finalement, un peu maso, Broadcast remettra son destin entre les mains meurtrières de Tom Jenkinson celles qui sous le nom de Squarepusher ont défiguré la drum’n’bass. Un électrochoc salutaire qui a libéré leurs esprits, radicalisé un peu leur langage, déridé leur musique et débridé leur style. « Squarepusher est juste venu nous voir pendant un week-end à Birmingham. Il ne nous a pas inspirés directement, c’est plus sa manière de travailler qui nous a plu. Il est tellement à l’aise avec la technique, décontracté. » Rasséréné et moins obsédé par la porcelaine délicate dans laquelle ils rêvaient de déposer leurs chansons, Broadcast couchera enfin sur bandes les splendides Unchanging window ou Come on let’s go, toupies sonores lancées à vive allure et dont l’allure, justement, impressionne.