A la faveur des dernières saillies de Donald Trump sur les musulmans, un conseiller politique extrémiste revient sur le devant de la scène.
Tout a été dit sur la proposition de Donald Trump de fermer temporairement l’entrée des Etats-Unis aux musulmans et du tollé mondial qui a suivi. Un effet collatéral de la polémique fut l’apparition dans le radar médiatique d’un conseiller politique de second ordre, qui dénonce depuis plus de vingt ans une « infiltration » islamiste au sein des plus hautes instances politiques américaines. Son nom : Frank Gaffney.
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Décrit comme un conseiller occulte de candidats républicains, particulièrement de Donald Trump, par Foreign Policy, il s’agirait d’une sorte de « Raspoutrump », qui dicterait à l’oreille du milliardaire une stratégie islamophobe. En effet, pour appuyer sa proposition anti-musulmans, Trump s’est servi d’un sondage du Center for Security Policy (CSP), un think tank créé et dirigé par Gaffney.
Trump a ainsi donné un écho inespéré au sondage du CSP, « réalisé sur un échantillon de 600 musulmans américains », qui réclameraient le rétablissement de la charia à 51% (ce n’est pas la première fois que Trump nourrit sa campagne de sources borderlines ou fantaisistes).
Le South Poverty Law Center, une ONG qui recense des individus ou groupuscules affiliés à des mouvements extrêmes, a aussitôt actualisé et mis en valeur sa vieille fiche sur Frank Gaffney. Elle nous apprend qu’il a levé plus de 4 millions de dollars de dons en 2010 pour vulgariser les concepts de la menace rampante de l’islamisme au sommet de l’Etat. Cette année, le CSP s’est focalisé sur les dangers d’accueillir des réfugiés syriens fuyant la guerre.
En septembre, Gaffney organise une manifestation pour s’opposer au deal sur le nucléaire iranien. Deux figures des primaires républicaines, Ted Cruz et Trump, ont répondu présent et discouru. Pour ceux qui ne le connaissent pas encore, Ted Cruz est un candidat républicain en forte progression dans les sondages et grand espoir de la NRA. Dans sa vidéo la plus célèbre, Ted Cruz met au goût du jour sa recette du « machine-gun bacon ». Elle consiste à enrouler du bacon autour du canon d’un fusil d’assaut et de tirer jusqu’à ce qu’il soit cuit :
Ted Cruz est actuellement troisième dans la course aux primaires républicaines et dépasse même Trump dans l’Iowa.
Chasse aux sorcières musulmanes à Washington
Franck Gaffney n’a pas toujours été un théoricien de la menace islamiste aux Etats-Unis. Son heure de gloire remonte aux années Reagan/Gorbatchev, où il était assistant du secrétaire à la défense de Reagan pendant quelques mois.
C’est dans les années 2000 que son obsession actuelle s’est cristallisée et qu’il est devenu infréquentable. Gaffney a organisé avec plus ou moins de succès une chasse aux sorcières à Washington. Sont visés les politiciens de religion musulmane, peu importe leur camp politique, accusés d’être des agents infiltrés des Frères musulmans.
La principale victime de ce nouveau McCarthysme fut républicaine. Faisal Gill, un élu d’origine pakistanaise, conseiller de Bush en 2004. Sa carrière politique a été brisée par Gaffney, qui l’accusait de connivences islamistes et a convaincu un sénateur de lancer une enquête du Sénat sur son cas, suspendant provisoirement Gill de ses fonctions au gouvernement. L’enquête du Sénat n’a rien donné. Faisal Gill a été totalement blanchi. Mais la calomnie l’a poursuivi. Il abandonne son poste en 2005 – avant de claquer la porte du parti républicain.
On retrouve Gaffney beaucoup plus tard comme conseiller en politique étrangère de Michele Bachmann pour sa campagne de 2012, où la chasse aux sorcières est carrément érigée en stratégie de campagne par Bachmann. Sa nouvelle victime : Huma Abedin, dircab’ adjointe d’Hillary Clinton (très proche de Clinton, qui la considère comme « sa seconde fille ») et femme d’Anthony Weiner (oui, l’homme du fameux sexto). Gaffney accusait Huma Abedin d’être, une fois encore, liée à la confrérie des Frères musulmans. Considérées comme calomnieuses même par des caciques républicains comme John McCain, ces accusations ont finalement anéanti la crédibilité de Bachmann, et donc celle de Gaffney.
A noter que dans la vision de Gaffney, même des Tea Party « bon teint » ne sont pas à l’abri d’être des agents islamistes infiltrés : c’est arrivé à un activiste anti-impôts, Grover Norquist, parce que sa femme est d’origine palestinienne.
Des liens avec suprémacistes blancs
Gaffney a son propre talk show radio, à l’audience confidentielle. En septembre, il invite Jared Taylor, un white nationalist à la tête du Council of Conservative Citizens, un groupuscule que le meurtrier de l’église de Charleston a cité comme source d’inspiration dans son manifeste.
En résumé, Gaffney est un conseiller politique qui a son rond de serviette chez les candidats républicains de la ligne la plus dure – ceux qui ont les faveurs des sondages à l’heure actuelle – et qui a déjà invité à son émission de radio des figures du white nationalism (l’expression rassemble les groupes affiliés au Ku Klux Klan, aux nostalgiques de la ségrégation, au néonazisme et à l’Identité Chrétienne).
Peut-on pour autant qualifier Gaffney de conseiller occulte de Donald Trump ? Difficile à dire. Trump a démarré sa campagne en tapant sur les latinos. Il puise aujourd’hui dans le réservoir à idées de Gaffney, parce que l’islamophobie a connu un brutal sursaut dans l’électorat républicain avec les attentats de Paris, avant d’atteint des sommets suite à la tuerie de San Bernardino. Gaffney reste précurseur dans sa croisade contre « l’islamisation rampante » de l’appareil politique américain, entamée dans la solitude il y a deux décennies. Aujourd’hui, les trajectoires de Trump et Gaffney se croisent. Mais Trump roule pour lui-même, c’est sa seule constante. Impossible de dire qui de Trump ou de Gaffney utilise l’autre.
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