Sollicité dans les médias pour son dernier essai « Génération gueule de bois », Raphaël Glucksmann veut afficher une alternative aux discours réactionnaires. Devant l’abandon des idées par la classe politique, le trentenaire veut proposer un nouveau projet pour la France.
Le rendez-vous est pris dans un café du Xe arrondissement parisien. Veste noir sur pull bleu nuit, Raphaël Glucksmann arbore une allure sombre, à l’image du constat amer qu’il décrit dans son livre Génération gueule de bois : manuel de lutte contre les réacs (Allary, février 2015, 171 p).
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Un essai dans lequel il admet la victoire idéologique de l’extrême-droite. La faute à une classe politique ayant abandonné les idées pour la gestion, laissant le champ libre aux discours réactionnaires des Zemmour, Buisson et Le Pen. Résultat, le Front National a attiré plus de 6,8 millions d’électeurs lors des élections régionales, un score historique.
À 36 ans, Raphaël Glucksmann veut croire que la guerre n’est pas perdue, qu’il est encore temps de proposer une alternative, de prôner les valeurs de l’ouverture face au repli identitaire, de la démocratie face à l’autoritarisme.
« J’ai été d’emblée plongé dans un univers avec un axe internationaliste »
Fils d’André Glucksmann, figure avec Bernard-Henri Lévy du courant des nouveaux philosophes des années 1970, Raphaël est initié très tôt aux problématiques des droits de l’Homme. La maison familiale faisant office de lieu de passage pour des réfugiés politiques de toute la planète.
« Il y en avait qui fuyaient des dictatures de droite en Amérique Latine, d’autres qui fuyaient le communisme, des Afghans, des Algériens… J’ai été d’emblée plongé dans un univers avec un axe internationaliste. Être intégré très tôt dans ce type de discussion a été une forme d’éducation incroyable », se réjouit-il.
Une éducation qui forge sa passion pour la politique. « Je le connais depuis la classe de seconde et il passait son temps à parler de la guerre d’Espagne », se remémore David Hazan, un ancien camarade du lycée Lamartine à Paris. Tous deux se suivent en prépa lettres au lycée Henri-IV, puis à Sciences Po.
De la discussion, Raphaël Glucksmann passe à l’action en tant que membre de l’association « Etudes sans frontières ». « L’objectif était de permettre à de jeunes tchétchènes de venir étudier en France, il avait réussi à rassembler du monde autour de lui », détaille David Hazan. En 2003, une dizaine d’étudiants ont débarqué de Grozny pour suivre leurs études à Paris.
« Il ne s’agit pas de géopolitique mais de rapport au monde »
Rue Saint Guillaume, Raphaël Glucksmann ne s’intègre pas à la vie de l’école et préfère interrompre ses études pour partir à l’étranger. D’abord en Algérie, pour un stage au journal Le Soir. Puis au Rwanda, pour réaliser avec David Hazan et Pierre Mézerette – également ancien élève du lycée Lamartine – un documentaire sur le génocide 10 ans après. « Je voulais aller là où la politique est une question de vie ou de mort », confie-t-il. Une façon aussi de ne pas être auteur du « crime d’indifférence » qui révoltait son père.
Ses études terminées, il s’envole pour l’Ukraine et coréalise un film sur la révolution Orange avec David Hazan. Lancée, sa carrière va pourtant s’interrompre un jour d’août 2008. La Géorgie est envahie par la Russie, le documentariste se rend dans la ville de Gori. Lui et Omar Ouahmane, alors journaliste pour France Culture, ont la surprise de se faire renvoyer par un général russe les qualifiants de « pédés » et les invitant à rentrer « baiser [leurs] nègres » car « ici, ce n’est pas l’Europe, c’est la Russie ! ».
« Ces paroles m’avaient choqué, mais Raphaël était bouleversé, pour lui ça a été radical », se souvient Omar Ouahmane, aujourd’hui envoyé spécial permanent de Radio France à Beyrouth. « À cet instant, je me rends compte qu’il ne s’agit pas de géopolitique, mais de rapport au monde », raconte Raphaël Glucksmann.
« Ils prennent la fuite devant tout ce qui est politique »
De témoin, il devient acteur en tant que conseiller du président géorgien Mikheil Saakachvili, rencontré en Ukraine. Une trajectoire qui n’a pas surpris son ami David Hazan : « le statut d’observateur engagé ne lui suffisait pas, il voulait encore plus se confronter à la réalité. »
En Géorgie, Raphaël Glucksmann a l’occasion de concrétiser son combat. Le pays est en affrontement direct avec ce qui représente pour lui le visage de l’extrême-droite : la Russie de Vladimir Poutine. Une lutte qu’il mène avec sa femme Eka Zguladze, ministre de l’Intérieur. Son rôle lui permet de participer aux discussions entre la Géorgie et l’Europe. « Avec les pays européens, il est uniquement question de négocier des règles, ils prennent la fuite devant tout ce qui est politique », retient-il.
En 2013, Saakachvili perd la présidentielle face aux pro-russes, soutenus par l’Eglise Orthodoxe. De retour en France, l’ex-conseiller repart aussitôt pour l’Ukraine et trouve la place Maïdan dans une effervescence révolutionnaire. « Pour la première fois, des gens se sont battu pour le drapeau européen, pour l’idée que représente l’Europe », insiste-t-il.
« La France est une idée »
Les Français, eux, auraient perdu cette culture du combat pour des idées. « Les élites ont vraiment cru à la fin de l’Histoire et ne proposent plus d’idées. On ne fait plus de politique, mais seulement de la gestion et de la com », se désole-t-il. Pourtant un certain 7 janvier, la France se réveille. Face à l’horreur, à l’attaque de nos concitoyens et des symboles de liberté, des millions de Français sortent manifester leur révolte.
« Les citoyens ont montré qu’ils pouvaient se mobiliser. Ce soir-là, ils ont dit : ‘Nous sommes présents’. Le premier ministre a ensuite fait deux beaux discours, puis plus rien. Aucun projet ne s’est formé, tout le monde est passé à autre chose parce que nous sommes des zappeurs », déplore l’essayiste.
Lui, rêve de voir un mouvement citoyen se transformer en aventure politique. L’image de Podemos dans un coin de la tête, qu’il qualifie comme « l’expérience politique la plus innovante dans un pays comparable à la France ». Mais dans l’Hexagone ça ne prend pas. La rigidité des institutions de la Ve République, organisées selon une structure verticale, entretient le blocage.
Dans un portrait pour Le M, Raphaël confiait qu’il considérait ses parents comme des « copains ». À la mort de son père le 10 novembre dernier, il annonce sur France inter avoir perdu son « premier ami ».
« Ces mots ont choqué les réacs, observe-t-il. Pour eux c’est une remise en cause de l’autorité du père, le symbole du patriarcat. Pourtant, la société est déjà entrée dans un fonctionnement horizontal, ce sont les institutions qui ne suivent pas. »
La classe politique, elle, a perdu son père en 1970. Du général de Gaulle, Raphaël Glucksmann préfère en retenir l’image de 1940 : « Celui qui disait que la France est avant tout une idée ». Car c’est sur cette définition que tout se joue. Quelle idée se faire de l’identité nationale ? du vivre ensemble ? de l’Europe ? Le FN a livré son récit, l’ambition de Raphaël est d’en proposer un autre. Sans doute l’objet de ses deux prochains livres.
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