De Spike Lee à Jim Jarmusch, le hip-hop a séduit le cinéma, donnant naissance à une multitude de BO. De Public Enemy au Wu-Tang, une poignée d’entre elles ont réussi à s’accorder pleinement à l’exercice, revigorant à l’envi la musique et les images.
C’est dans le miroir du cinéma que le rap aime le mieux se mater et s’admirer. Depuis les emprunts cinématographiques avoués du Wu-Tang Clan jusqu’aux fantasmes de Snoop Dogg se rêvant en mafieux de pellicule (la pochette de Tha Doggfather), le cinéma a nourri l’imaginaire du hip-hop. Sans oublier les incursions erratiques de Ice Cube devant l’objectif et les gesticulations vaines d’Akhenaton derrière la caméra.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Inversement, dès le début des années 80, le hip-hop a très vite inspiré le cinéma, les beats urbains partouzant allègrement avec les images, à la manière de certaines rencontres fécondes du funk et de la blaxploitation, dans les années 70.
Dès 1983, le rap se décline à l’écran avec Wildstyle, faux documentaire qui met en scène la naissance de la culture hip-hop, à travers les pérégrinations d’un graffiteur un peu cancre. A l’époque, le film passe relativement inaperçu. Sa bande-son, en revanche, devient très vite un objet de culte parmi les adeptes du hip-hop originel brut, mal coiffé et engoncé dans des survêtements rutilants, signés Adidas ou Tacchini. La BO, produite par Chris Stein, rescapé de Blondie et gourmet du groove, ruisselle d’idées, de rythmes et de rimes. Là, on peut entendre (et voir) l’immense Rammellzee, rappeur inégalé et complice de Jean-Michel Basquiat, lâcher ses mots comme des grappes serrées d’explosifs miniatures. Pillé, samplé, dévoré, ce disque reste l’un des artefacts les plus précieux des premiers balbutiements du hip-hop, alors que le genre était encore confiné aux ghetto-blasters expérimentaux et aux gorges anonymes mais folles.
Toute la sève de Wild Style a dû servir à irriguer le cinéma d’un Spike Lee et notamment Do the Right Thing, en 1989. Dès le générique rugissait, conquérant et fier, le Fight the Power de Public Enemy, alors en pleine période de grâce artistique et de rage dévastatrice. Sur les rimes et les beats implacables de la troupe de Chuck D, Rosie Velez, une des actrices du film, se démenait toute seule, squattant l’écran avec une danse frénétique, réglée sur les mesures parfaites de la musique. Une danse qui ressemblait d’abord à une man’uvre martiale et guerrière, le visage de la jeune fille déformé par des contorsions rugueuses, malmenant ses zygomatiques, distordant ses lèvres et ses yeux en un même mouvement de hargne. Le film de Spike Lee se révélait alors l’exact équivalent d’une scansion hip-hop, le pendant en images des élucubrations, scratches et beats de Public Enemy. A un point tel que, sans le film, sans les images de Spike Lee/Mookie déambulant le regard mi-vaseux mi-énervé, la musique (dont la majorité est due au père de Spike, le musicien Bill Lee) ne semble plus tenir seule, claudicante, aveugle.
Contemporaine de Do the Right Thing, la BO de Colors, film de Dennis Hopper, ressemble, a priori, à une compilation rap quelconque, mais n’a rien d’un exercice artificiel : la musique accompagne le film, le nourrit de sa violence, l’imbibe d’une urbanité féroce, moite, sanglante. Les morceaux d’Ice T ou de Big Daddy Kane, sur fond de déréliction, d’histoires de flics, de gangs et de meurtres, mettent alors en branle et en images les premières fondations du gangsta-rap. A partir de Colors, le hip-hop se rêve en gangster, se visualise en bande organisée, en clan irréductible. En ce sens, la BO de Colors est une des meilleures démonstrations des débordements créatifs et de l’excitation première générés par le gangsta-rap, avant les dévoiements et l’avènement des clichés.
Colors, pourtant, n’est pas qu’une proto-BO gangsta. Pour preuve, on y retrouve l’étonnant Paid in Full d’Eric B & Rakim, dans sa version remixée par Coldcut : une incroyable odyssée sampladélique, qui colle les hymnes world roucoulés par Ofra Haza aux beats du duo hip-hop. En quelque sorte, ce morceau annonce les odyssées à venir des Portishead, David Holmes et autres Avalanches : narration, enchaînements, surprises, fondus ou explosions, tout ici relève du cinéma sans les images. De fait, l’inclusion de ce morceau dans une BO devient une mise en abyme follement anticipée, une pierre blanche pour toutes les copulations à venir entre cinéma et musique.
Dans la foulée de Colors et Do the Right Thing, une pléthore de BO se sont attaquées au rap, compilant à tort et à travers des morceaux, des bouts de tchatche, des semblants de beats, menant rapidement l’exercice vers un essoufflement créatif. Une seule, néanmoins, est parvenue à renouveler le genre, à insuffler de la vie dans la partouze devenue fadasse entre le rap et le cinoche : celle composée par RZA, grand manitou du Wu-Tang Clan, pour le Ghost Dog de Jim Jarmusch. Rappelons qu’on ne parle pas ici des morceaux de hip-hop mineur et tiède, inspirés par le film, mais plutôt du score entièrement réalisé pour le film (et disponible sur un rare et onéreux CD japonais). Dès le générique, qui mêle un vol de pigeon à des breakbeats downtempo, le ton est posé : cette histoire de samouraï black et new-yorkais sera forcément la plus belle déclinaison de la mystique originelle du Wu-Tang Clan, par ailleurs déclinée par RZA à coups de samples cinématographiques, de dialogues empruntés à des séries Z ou à des films de karaté. D’ailleurs, comme pour répondre à l’impasse à laquelle conduisait la perfection de la BO de Ghost Dog, RZA s’est tourné vers d’autres bandes-son, piochant ses samples et boucles dans les images de la télé : Gravel Pit, single jubilatoire du dernier album du Wu-Tang Clan, pillait allègrement la BO du feuilleton de l’ORTF Belphégor, faisant danser les bachi-bouzouks du Queens et du Bronx avec le fantôme de Juliette Gréco.
{"type":"Banniere-Basse"}