Touchantes, bouleversantes, déterminantes : la sélection (très subjective) des scènes qui nous ont le plus marqués au cours de cette année sérielle très riche.
[Cet article contient des spoilers sur toutes les séries abordées]
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Mr. Robot (saison 1, épisode 8)
« Mon Dieu Elliott, est-ce que tu as encore oublié? Est-ce que tu as oublié qui j’étais? » La première saison est presque terminée. Elliott le hacker camé et sa petite équipe ont tout mis en place pour que dans 43 heures, les systèmes bancaires s’écroulent et que se déclenche une révolution post-capitaliste. Assis sur le dossier d’un banc public près du port, dans la nuit, Elliott vient célébrer sa victoire avec Darlene, une hackeuse déjà aperçue au début de la série. Alors qu’il tente de l’embrasser, cette dernière se recule avec une expression de dégoût: « Putain qu’est-ce que tu fous? ». Et soudain tout tremble. Autour d’Elliott, autour du spectateur, qui assiste les bras ballants à la destruction du monde que Mr. Robot avait mis huit longs épisodes à construire. Darlene est la soeur d’Elliott et il l’avait oublié. La série n’est qu’un reflet de la perception qu’Elliott se fait de la réalité. Une perception tronquée par la folie de son protagoniste. Elliott s’échappe du champ de la caméra immobile, enfile sa capuche et fuit le cadre avant de s’engouffrer dans le métro.
En positionnant ce twist fight-clubbesque à la fin de la première saison, Sam Esmail, son créateur, dit deux choses. L’une, que les huit épisodes qui l’ont précédé tenaient parfaitement sans ce bouleversement et qu’il ne faut pas le laisser incarner à lui seul sa série. L’autre, qu’il a déjà posé les bases d’une saison 2, où toutes les cartes sont sur la table, et qu’au-delà du choc, il faudra apprécier Mr. Robot comme la vision tordue d’un personnage fou auquel il est impossible de se fier. Et se laisser transporter. M.T.
The Affair (saison 2, épisode 10)
Après avoir raconté la genèse d’une liaison à travers les points de vue de ses deux protagonistes principaux Noah et Alison, The Affair continue son exploration des perspectives dans sa deuxième saison qui élargit son champ aux points de vue des « trompés », Cole et Helen. C’est une des meilleures évolutions de la série, qui connait une saison avec quelques longueurs, mais qui s’enrichit profondément en laissant la place nécessaire à Joshua Jackson et Maura Tierney pour s’épanouir. Le premier répand une tristesse indicible dans chacun de ses gestes tandis que la seconde oscille entre un désespoir contenu et une manière d’être imprévisible. Qu’elle soit l’ex-femme trahie, la mère de famille dépassée, la fille de famille riche dont on attend une certaine attitude, Maura Tierney (Urgences) brille par sa nuance.
Toujours au centre de l’intrigue principale, l’égocentrisme de Noah et la passivité d’Alison (Dominic West et Ruth Wilson, tous deux parfaits) agacent autant qu’ils fascinent. Dans l’épisode 10, toute la première partie consacrée à Noah nous éclaire de manière inédite sur sa façon de penser. Lors d’une consultation de thérapie de couple, Noah comprend dans le cabinet de la psy qu’Alison ne pourra pas venir. Hésitant à rester, il finit par se laisser aller, et se confie sur son divorce, son lien à la paternité, ses envies d’adultère mais surtout sur ses véritables aspirations. La guest Cynthia Nixon (Sex and the City) incarne la thérapeute qui réussit à extirper de Noah une série de considérations sur la vie d’homme, de père, d’artiste (d’égoïste?). L’échange thérapeute-patient qui se met en place entre eux, dans une séquence de presque une demi-heure, est totalement passionnante (et pas sans rappeler bien sûr En analyse, série de Hagai Levi, co-créateur de The Affair). C.P.
The Leftovers (saison 2 épisode 8)
Patti n’est plus la grosse femme aux traits tombants, aux yeux de cockers qui se plissent lorsqu’elle esquisse un sourire en coin. Patti est une fillette, que Kevin Garvey doit éliminer, en la jetant dans un puits. Il fait asseoir la petite fille sur le tas de briques grises et finit par la pousser du rebord, comme une vulgaire poupée de chiffons, dans un silence monstrueux et tétanisant.
Lorsque Kevin se penche, il voit Patti, sa forme adulte retrouvée, à l’agonie au fond du puits. Il descend l’achever, mettant fin à deux saisons d’affrontement, avec un dernier geste empli d’humanité. Car si Kevin a détesté Patti, elle l’a accompagné tout au long de sa descente aux enfers, devenant sa seule constante dans un monde où plus rien n’est vraiment certain. Leur destin ont toujours représenté, dans la série, les deux pôles d’un même aimant ; l’un cherchant à oublier, l’autre voulant forcer ses contemporains à la mémoire .
Mettre un terme à leur relation par un voyage surréaliste, où se mêlent amour et haine dans un tourbillon d’absurde, était le plus beau cadeau que les scénaristes pouvaient nous faire. M.T.
Unbreakable Kimmy Schmidt (saison 1, épisode 6)
La série créée par Tina Fey a débarqué en mars dernier sur Netflix et fait partie des meilleures comédies de l’année. Ellen Kemper (The Office) y campe Kimmy, une jeune femme qui s’installe à New York après avoir été détenue dans un bunker pendant 15 ans par un gourou (Jon Hamm, désopilant) lui faisant croire que l’apocalypse avait eu lieu, et que lui et trois autres femmes étaient les seules survivants. Ingénue et insouciante, elle découvre un monde nouveau, celui des années 2010 mais aussi celui de la grosse pomme et de l’âge « adulte ». Situations rocambolesques et rencontres hasardeuses s’enchainent pour aboutir sur de vrais moments d’absurde illuminés par la fraîcheur d’Ellen Kemper et par des seconds rôles en or.
Parmi eux, l’hilarante Jane Krakowski (déjà vue dans Ally McBeal et la précédente série de Tina Fey 30 Rock), mais surtout la révélation Tituss Burgess qui interprète le coloc’ excentrique de Kimmy. Titus Andromedon, aspirant à devenir comédien à et conquérir Broadway, vit de petits boulots costumés en Iron Man ou Spiderman sur Time Square et est forcément toujours dans les mauvais plans. Dans une de ses scènes phares, Titus se met en tête de concevoir une vidéo qui ferait de lui une star, une « ode aux pénis noirs » qu’il baptise « Peeno noir ». Les rimes absurdes (de « boudoir » à « Roseanne Barr »), le chant de ténor de Tituss Burgess ou ses expressions de diva, tout y est réuni pour que la séquence devienne culte et que la vidéo soit le vrai remonte moral de 2015. A visionner en boucle sans modération. C.P.
Sense 8 (saison 1, épisode 6)
https://www.youtube.com/watch?v=9_MO1cJgNvQ
Demandez à quelqu’un de vous parler d’une scène marquante de Sense8. N’importe laquelle. Neuf fois sur dix, c’est la fameuse « partouze » qui ressortira en tête de liste. Parce qu’elle incarne l’esprit d’une série événement, qui a déchaîné les passions, clivé, provoqué un violent rejet chez certains, un émerveillement sans commune mesure chez d’autres. A la fin du sixième épisode, les bases sont déjà posées ; les huit inconnus savent qu’ils sont reliés entre eux mentalement et surtout émotionnellement. Ainsi lorsque deux d’entre eux s’adonnent aux plaisirs de la chair au même moment avec leur partenaire respectifs, ce sont deux autres qui en ressentent l’excitation, jusqu’à ce que les réalités se superposent et que les personnages se rejoignent dans une orgie cérébrale aux conséquences physiques bien réelles. L’explosion de sentiments et d’érotisme sublime ainsi le message des Wachowski, qui signent une série lyrique, débordante d’amour et violemment cathartique. On s’y noie avec volupté. M.T.
Mad Men (saison 7, épisode 14)
Difficile de dire au revoir à Mad Men, dernière des grandes séries iconiques des années 2000. La seconde partie de la dernière saison s’est achevée en mai dernier, et si les moments marquants n’ont pas manqué, c’est un duo particulier qui hérite de la scène d’adieu la plus inoubliable. Avec Don Draper (Jon Hamm), évidemment, le héros indéchiffrable de la série, mais ceux qui l’entourent n’en forment pas moins l’identité de Mad Men. Roger, Joan, Betty ou encore Sally tous participent au portrait acéré de cet homme qui n’est personne, qui n’est rien, et pourtant tout à la fois, une représentation sublime de l’homme moderne. Et c’est dans sa relation avec Peggy (Elizabeth Moss), son ancienne secrétaire qui s’est fait une place de taille dans le monde masculin de la publicité, que surgissent le plus de ces moments de grâce qui rythment la lenteur particulière de la série.
Le long des sept saisons de Mad Men, plusieurs scènes marquent l’évolution du lien fondamental qu’ils nouent et qui vient briser régulièrement leur solitude extrême : le secret partagé de la grossesse cachée de Peggy, son désir de reconnaissance, leurs retrouvailles au cinéma ou encore une danse poignante sur My Way de Sinatra. Dans leur dernière scène « ensemble », alors que Don est porté disparu et s’est isolé dans un centre de méditation, il appelle Peggy plus déprimé que jamais. Son réconfort à l’autre bout du fil, n’est pas sans rappeler l’épisode clé de la saison 4, The Suitcase, dans laquelle elle lui assurait déjà que non, il n’était pas seul. C.P.
Rick & Morty (saison 2 épisode 2)
Comme toujours dans Rick and Morty, on ne s’attend pas à avoir le souffle coupé par une scène belle et violente avant qu’elle ne surgisse de nulle part, en plein milieu d’un épisode. Alors qu’ils sont embarqués dans une nouvelle aventure intergalactique, Morty et son grand-père font une embardée à « Blips and Chitz », sorte de casino rempli de jeux d’arcade où tous les extraterrestres de la galaxie viennent se détendre. C’est là que Rick fait enfiler un casque à son petit-fils afin qu’il teste le jeu Roy: a life well lived (Roy, une vie bien menée). Il est propulsé dans la peau d’un petit garçon, apeuré dans son lit, que sa mère console après un cauchemar. Une seconde plus tard, on le voit adolescent, puis jeune homme passionné de football américain, puis père de famille blasé, contraint de renoncer à ses rêves sportifs pour nourrir sa famille, puis vieil homme malade d’un cancer. A 55 ans, Roy meurt en tombant, bêtement, d’un escabeau.
Morty retire son casque, sous le choc, persuadé d’avoir vécu un demi-siècle en à peine quelques minutes. « Pas mal Morty! » lui lance Rick d’un air détaché, « Tu as quand même un peu gâché ta trentaine avec cette passion pour l’observation des oiseaux ». Avant de le culpabiliser: « Tu as réussi à battre ton cancer et tu es retourné travailler dans le magasin de tapis? Bouh Morty, bouh ». Le petit garçon, lui, ne s’en remet pas. Le spectateur, à peine. En deux minutes, Dan Harmon, le créateur de la série animée, a réussi à faire transparaître son mal de vivre et à dénoncer la conformité des choix imposés par la société, le tout dans une scène hors de l’intrigue principale et hors du temps. Evidemment, on rit du malheur de Morty, qui ne comprend pas ce qui lui arrive. On rit aussi de la vie de ce pauvre Roy, qui ressemble à celle d’un personnage secondaire d’une série américaine qu’on n’aurait pas assez creusé. On rit aussi lorsque Rick se lance dans une partie, à la fin de la scène, attirant les badauds derrière son écran car il est en train de pousser « son » Roy à disparaître et recommencer une nouvelle vie « sans numéro de sécurité sociale« . Mais on rit jaune, encore sous le choc d’avoir assisté à un tel étalage de noirceur. M.T.
You’re the Worst (saison 2, épisode 6)
La comédie douce-amère de Stephen Falk a trouvé une nouvelle dimension dans cette deuxième saison. Gretchen et Jimmy sont les « pires » (« the worst »), les pires amis, les pires petits-amis, et parmi les plus gros connards qu’on puisse croiser. Et pourtant ils sont humains, trop humains, et réussissent toujours à attendrir. Alors que l’on s’attendait à ce que cette deuxième saison explore leur manière médiocre de vivre en couple, c’est la noirceur et la mélancolie exacerbée qui ont donné le ton à la comédie avec la découverte soudaine de la bipolarité de Gretchen. Dans l’épisode 6, Jimmy est persuadé que cette dernière le trompe. Car elle semble ailleurs, différente, et s’absente de plus en plus. Après avoir travaillé au corps sa BFF, explorer les pistes des ex, Jimmy met une fausse moustache ridicule et file Gretchen en voiture. Il découvre alors que celle-ci s’isole en fait pour pleurer (en même temps qu’elle joue au jeu vidéo Snake).
La réaction de Jimmy lorsqu’il comprend que Gretchen ne le trompe pas mais est « juste » déprimée est terrible : il sourit de soulagement. Sans savoir alors à quoi il va être confronté. La scène marque un tournant dans la série qui revêt une nouvelle lourdeur, le poids d’un malaise qui va outre les inquiétudes générationnelles de ces trentenaires au regard acide sur la vie. La description des troubles maniaco-depressifs de Gretchen est d’une subtilité rare, et la deuxième saison de You’re the Worst serre plus les cœurs qu’elle ne fait rire (ou alors très noir). C.P.
UnReal (saison 1, épisode 6)
Avec cette scène, UnReal prend un virage qui marque son inclinaison tragique pour le reste de la saison. Dans les coulisses d’une émission de télé réalité type « Bachelor », une productrice ambitieuse, prête à tout pour faire de la « bonne télévision », décide de faire venir sur le plateau de tournage l’ex-mari violent d’une des prétendantes, Mary. Bouleversée, celle-ci mettra fin à ses jours quelques heures plus tard.
Pendant trois minutes et sans musique pour adoucir le choc, Mary doit faire face à « son » monstre, complètement seule alors même qu’elle est entourée de tout une équipe de caméramans et régisseurs. Celle qui avait déjà arrêté de prendre ses médicaments se trouve forcée de justifier sa participation à un télé-crochet et, donc, l’existence et l’intérêt même de l’émission. « Il tient à moi. Peut-être qu’on va finir ensemble! », s’époumone-t-elle à propos du célibataire qui, quelques minutes plus tôt, professait hors caméra son amour pour une autre. Les producteurs, eux, sont aux anges…
Jusqu’à cette scène centrale (elle arrive au milieu du sixième épisode, sur les dix que compte la première saison d’UnReal), il n’était pas montré clairement jusqu’où les producteurs étaient prêts à aller. C’est chose faite : la limite se situe aux portes de la mort, et les derniers scrupules ont volé en éclat. Le message aux téléspectateurs est clair, UnReal est sinistre, et ils ne sont pas au bout de leurs surprises. M.T.
BoJack Horseman (saison 2, épisode 1)
La série animée de Netflix sur une ancienne star de sitcom déchue et désillusionnée n’a pas flanché pour son deuxième et superbe volet mis en ligne en juillet dernier sur la plateforme de VOD. Ultra pop et référencée, cette saison 2 de BoJack Horseman oscille toujours entre cynisme et mélancolie, à l’image de son héros qui connaît un retour de succès après la sortie de son autobiographie et qui pourrait avoir tout pour être heureux.
Sur le point de tourner un biopic du sportif adulé de son enfance « Secretariat », Bojack (doublé par le génial Will Arnett d’Arrested Development) se met en tête de changer d’attitude pour changer de vie. Armé d’un livre audio de développement personnel, il se met au running, au kale, aux réactions sur-enjouées face à toute situation, car après tout qu’est-ce qu’être heureux si ce n’est faire comme si on l’est réellement ? Mais à trop feindre le bonheur, Bojack n’est plus capable d’interpréter Secretariat, un personnage sombre et dramatique. Un coup de fil de sa mère qui revient sur ses erreurs d’éducation et lui rappelle pourquoi il sera toujours insatisfait sonne définitivement le glas de ses résolutions et lui permet de pouvoir rejouer la tristesse. Une relative bonne nouvelle. C.P.
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