Plus vieille boutique de disques d’Angleterre et spécialiste nationale de la BO, The Record Album de Brighton stocke cinq mille musiques de films. Un paradis pour les collectionneurs maniaques comme pour les DJ, où l’on pleure de joie en découvrant une BO oubliée des Kinks et où l’on s’est battu pour le score de Délivrance.
C’est une maison bleue/Adossée à la colline/On y vient à pied »… On y vient à pied et du monde entier. Surtout que la maison bleue est située seulement à quelques dizaines de mètres de la gare de Brighton. Et si on se rend avec religiosité dans cette boutique bleue (comme dans L’Amour est bleu d’André Popp), c’est tout simplement parce que The Record Album est l’un des spécialistes mondiaux de la BO. La maison tenue par le vieux George Ginn peut également s’enorgueillir d’un autre titre de gloire : elle est la plus vieille boutique de disques d’Angleterre, ouverte depuis les années 40. On soupçonne George d’avoir fait l’ouverture et d’être resté depuis, tant il connaît son impressionnant stock plus de 5 000 BO en stock sur le bout des doigts. Une passion attrapée très jeune, alors que George oubliait la guerre et son austère pensionnat en se réfugiant dans le cinéma local où un film et sa musique, littéralement, le soulevèrent de son siège : l’emphatique Kings Row de Korngold. « C’est la première fois que j’ai plus écouté que regardé un film, dit-il en brandissant la pochette. Une manie qui ne m’a jamais plus quitté. Même si je n’arrive plus aujourd’hui à retrouver la magie de l’âge d’or de la BO, les années 40 et 50. Car pour moi, les seules BO qui comptent, ce sont celles instruites au classique, de Bernstein, Miklós Rózsa, Max Steiner, Herrmann, Barry, Morricone, Poledouris ou de mon préféré d’entre tous, John Williams. Celles d’aujourd’hui, ces compilations de tubes, ne m’intéressent pas. Surtout qu’elles ne sortent qu’en CD. »
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On a oublié de le préciser : ne surtout pas venir chez George avec des appétits de CD. Le très pointilleux gentleman ne stocke que des vinyles, ne parlant de « ces petits bouts de plastique qu’on fait passer pour un disque » qu’avec le plus grand mépris et la plus noble condescendance. « Un vinyle, surtout un beau japonais (il sort une magnifique édition nippone de Star Wars), ça se touche, ça se caresse. »
A 71 ans, le malicieux George Ginn reste lui-même un collectionneur transi et disquaire uniquement par passion, malgré quarante ans de service derrière le comptoir. Car farouche défenseur du genre, l’homme est en croisade et n’hésite pas à considérer la BO comme la dimension faisant passer le cinéma de la 2D à la 3D. « Un film sans son, c’est comme une statue en photo : on ne peut pas lui tourner autour, l’observer sous toutes les coutures… Rien ne m’irrite plus que l’appellation de « fond sonore » qu’on prête parfois aux BO. »
Sa connaissance encyclopédique et ses pièces rares font de lui le fournisseur attitré de nombreux DJ et de la vénérable BBC, qui lui fait confiance pour dénicher les pièces les plus incongrues. De Fatboy Slim à Amon Tobin, la crème des électroniciens locaux hante son antre. « Fatboy Slim, ça fait des années qu’il m’achète des disques, à l’époque où il s’appelait encore Norman. Tous les grands DJ viennent me consulter. Ensuite, ils me donnent leurs disques. Ils samplent ce qu’ils ont trouvé ici. C’est ignoble. » George part d’un rire léger : sa boutique, promise à la transformation en musée poussiéreux à la fin des années 80, est devenue un lieu de recherches et de rencontres pour la génération électronique et ses samplers gourmands. « Des mômes de même pas 20 ans viennent et me demandent des albums très précis d’illustration sonore, de musique de film ou de discours. Ils savent exactement ce dont leurs samplers ont besoin. Ils friment un peu, mais leur culture m’estomaque. »
Exigeants, voire maniaques, ses clients, qui lui écrivent du monde entier, savent ainsi précisément ce qu’ils veulent et paient le prix. Plus de 4 000 f pour quelques pièces accrochées au mur, dont les musiques de Decline & Fall of A Birdwatcher de Ron Goodwin, Alfred the Great de Raymond Leppard ou The Wrong Box, la BO la plus rare de John Barry. Pièce la plus demandée : la BO du classique anglais The Italian Job, dont les poursuites foudroyantes de Mini Cooper ont fait de cette musique signée Quincy Jones l’incontournable hymne de tout propriétaire digne de cette voiture délicieusement Swinging London. Pour une poignée de dollars en plus, George peut même vous en fournir une version tchèque, avec pochette inédite. Pour moins de 800 f, il peut également vous fournir la rarissime BO de Bullitt ou d’incroyables raretés d’Ennio Morricone, parfois enregistrées sous un faux nom. Qu’importe le prix quand on vient de passer vingt ans à traquer une BO quitte à se fixer des Graal impossibles, comme ce Southern Comfort signé Ry Cooder, l’eldorado du collectionneur de BO, dont la version vinyle n’existerait que dans les fantasmes de quelques mordus. « Un Japonais est un jour entré et est allé directement à la lettre R car mes disques sont parfaitement rangés par ordre alphabétique. Et là, je l’ai vu éclater en sanglots : il venait de dénicher Return to Waterloo, une BO assez rare et mauvaise composée par les Kinks. Ce genre de joie justifie que je reste derrière le comptoir. »
On faillit d’ailleurs faire les frais de la boulimie de ses collectionneurs de clients : on eut le malheur de dénicher dans un bac la BO intacte de Délivrance, au désespoir d’un DJ présent, lui-même à la recherche de ce disque. Malgré son offre généreuse (le double du prix payé), Délivrance est désormais encadré, au mur. Non mais !
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The Record Album, 8 Terminus Road, Brighton, BN1 3PD.
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