Le week-end dernier, les deux événements musicaux d’Angleterre se ressemblaient : de Fatboy Slim sur la plage de Brighton à Radiohead dans un parc d’Oxford, le retour au pays tourna au triomphe. Jean-Daniel Beauvallet était de la party.
En ce vendredi 6 juillet, la Big Beat Boutique prend ses aises. La Big Beat Boutique, on le rappelle, est cette soirée thématique qui depuis quelques années, chaque vendredi, marie dans une orgie de breakbeats et de pilules le rock, le hip-hop, la techno et tout ce qui lui passe sous la main. On lui doit donc le big beat, genre mineur mais poilant. La célèbre soirée thématique des nightclubbers de Brighton (euphémisme) fut pendant une année, faute de mieux, accueillie dans un club con : The Beach, à même la plage. Mais ce soir là, ce n’est pas The Beach qui accueille la Big Beat Boutique, mais carrément la plage elle même. Plusieurs dizaines de milliers de personne se sont ainsi déplacées, souvent en famille, pour célébrer le régional de l’étape, Fatboy Slim, admirablement secondé par Groove Armada.
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La Big Beat Boutique est dans la rue pour une émission de la télévision anglaise et Fatboy Slim joue le jeu : lève le poing, gribouille des messages au feutre pour les vastes écrans vidéos, fait danser ses dévots les deux bras en l’air, façon stadium-house. Ce soir, son set est entièrement dédié à l’efficacité : on ne monte pas innocemment aux platines en enchaînant, dans un tourbillon jubilatoire, Da Funk de Daft Punk, Music de Madonna et Born slippy d’Underworld. Une partie des fêtards, d’entrée, répondent présent à cet appel à l’euphorie et se jettent, tout habillés, dans la mer. Car ce soir, Brighton se prend pour Benicassim. Mais l’eau est à 16° et la bière nettement plus chaude, coupée à la pisse d’âne. Le set, qui avait métaphoriquement commencé par le feu d’artifice pré-décrit, s’achèvera, après un ventre mou techno obtus et une pause tue-la-joie pour des raisons de sécurité, par une explosion de fusées et de pétards. Aux lèvres et dans le ciel. Oh la belle bleue.
Dans un parc bucolique de la périphérie de cette ville de poupée que ne cessera jamais d’être Oxford, Radiohead a décidé de donner le lendemain, dans sa ville natale, son unique concert anglais de l’année. En quelques heures, les 45 000 tickets se sont vendus, avant même que ne soit réellement annoncée l’affiche de ce mini-festival. Dans la presse du week-end, on compare d’ailleurs ces places, leur rareté et la convoitise qu’elles suscitent, aux célèbres tickets d’or malicieusement glissés par Willy Wonka dans le délicieux livre Charlie et la chocolaterie.
Les Islandais de Sigur Rós ont la lourde responsabilité d’ouvrir les authentiques hostilités en milieu d’après-midi, après un tremplin plutôt passionnant réservé aux futurs stars locales ? on devrait reparler de The Rock Of Travolta, et pas seulement pour leur nom. Sous un ciel noir d’encre d’où s’évadent ici et là des éclairs pâles, le groupe a le culot de lancer son concert avec sa merveille absolue, ce Sven-G-Englar idéal quand le temps est sur le point de s’effondrer, quand la terre est à deux doigts de l’explosion. Pourtant, même à ce point chargée d’électricité, même aussi sombre, la lumière du jour va assez mal à ces chansons de recoins, d’ombre, de bougies. On réalise alors à quel point cette musique en équilibre a besoin de contexte pour s’épanouir ? ou se renfrogner. On se met alors à écouter le concert au lieu de le regarder : les yeux mi-clos, la magie revient en force. On remarque alors qu’on est juste à côté de la tribune réservée aux handicapés : les non-voyants peuvent applaudir, ce sont eux qui, ce soir, ont vu le meilleur concert de Sigur Rós.
Nettement plus bondissant et tout-terrain, le rock amphétaminé de Supergrass se moque bien qu’il fasse jour ou nuit. Ici, c’est énergie, à toute heure du jour (question : comment peut-on maintenir un tel entrain en fumant tant de joints ?). Mais l’énergie légendaire du groupe s’est trouvée, désormais, un étonnant allié : la fermeté. L’emphatique Moving, par exemple, prend ainsi une ampleur insoupçonnable et même le vilain Beautiful people, avec sa mélodie à l’évidence agaçante, véritable piège à mémoire, s’accommode à merveille de ce son vaste et maîtrisé, d’une efficacité et d’une précision étonnantes pour de tels branlotins. Ce soir, Supergrass fait rimer comme jamais vigueur et rigueur : de quoi attendre avec envie un nouvel album qui s’est tramé près de Nice et que la rumeur oxfordienne annonce sacrément ambitieux. Etonnant, pourtant, de voir ce groupe aux joies simples et aux chansons d’un classicisme désarmant partager non seulement son manager mais aussi la scène avec son négatif absolu, Radiohead. Une partie de yin-yang dans un parc d’Oxford, sous un ciel de plus en plus pressant. Dans le public, les gamins profitent des nombreux solos de guitares pour exhiber le gadget à la mode : une guitare gonflable, genre Telecaster rouge criard, histoire d’occuper les mains (on est souvent entre garçons).
Dommage que les revendeurs n’aient pensé à en proposer des modèles acoustiques pour, ce soir, accompagner un Beck en pleine déroute personnelle. Et comme à chaque fois que ce cerveau flanche, c’est à la maison qu’il revient tester sa voix admirable : sur des chansons folk ou blues accompagnées d’une humble guitare sèche. Sèche n’est pas sa guitare : il pleut des cordes quand commence sa courte prestation. Il a beau se lancer, à l’harmonica, dans une frénétique danse de la pluie, rien n’y fait. On le sent, pourtant : ce concert compte pour Beck, qui vient de se faire laminer dans la presse pour la grande revue showbiz qu’il a récemment présentée en Europe. Un proche explique que si Beck vient de faire le grand ménage dans sa vie professionnelle, sa vie musicale est écrasée par un vaste point d’interrogation. A force d’avoir voulu toucher à tous les genres ? voire tous les degrés ?, il serait à la ramasse sur la suite à donner à Mutations (ooops, à Midnite Vultures voulais-je dire). Loin des registres malins et des pastiches, il est pourtant ce soir bouleversant, sa voix d’une pureté et d’un grain résolument à part. On a un pincement au c’ur quand il quitte la scène, sa guitare entre les jambes, visiblement trop prisonnier de son nouveau personnage presque cartoonesque pour revenir sereinement à ses premiers amours. Si le showbiz a tué Beck, on tuera le showbiz.
Ambiance nettement plus potache et sereine lorsque Radiohead monte en ordre dispersé sur la grande scène. Nettement plus détendu que pendant le concert archi-serré et époustouflant récemment vu à Vaison-La-Romaine, le groupe revient au pays avec, déjà, les vacances en ligne de mire. ?Je ne sais pas si vous l’avez remarqué, mais nous sommes morts de trouille?, prévient pourtant Thom Yorke, auquel on a envie de répondre non. Car ce soir, sur scène, il y a des ratages amusés, des sourires, des vannes, des chansons à l’étreinte desserrée. Hôte parfait (l’organisation est exemplaire et l’accueil chaleureux, aussi bien pour le public que pour les VIP), Radiohead ne rechigne pas à donner au jeune public ce qu’il attend de lui : soit un nombre étonnant de chansons de The Bends, toujours les favorites de ces concerts aux écarts fascinants entre hier et aujourd’hui. Ce sont ces hymnes rationnels, avec leur électricité franche et quantifiable, qui emportent le suffrage, loin devant les méandres pourtant fascinants de Dollars & cents ou Idioteque. Histoire d’enfoncer le clou et de réellement jouer la carte du best of, généreux et convivial, le concert s’achève sur une version rare et dédramatisée de Creep, où l’exaltation et la malice jouent à cache-cache.
Dans moins de deux semaines, New Order a lui aussi choisi une date unique pour fêter son retour en Angleterre. Mais toujours aussi cabochards, les Mancuniens délaisseront leur Manchester natale pour offrir l’exclusivité de leur show à l’ennemi historique : Liverpool. On y sera aussi.
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