On ne sort pas indemnes du monde vicelard et malade de Smog, éclairé à la bougie, sonorisé au silence pesant. En coulisse, soumis à la question, Bill Callahan se fige, lapereau apeuré ébloui par les phares de la bagnole qui menace de l’écrabouiller. Autiste, a-t-on coutume de dire, dans un bel élan pavlovien. Mais cachottier, […]
On ne sort pas indemnes du monde vicelard et malade de Smog, éclairé à la bougie, sonorisé au silence pesant.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
En coulisse, soumis à la question, Bill Callahan se fige, lapereau apeuré ébloui par les phares de la bagnole qui menace de l’écrabouiller. Autiste, a-t-on coutume de dire, dans un bel élan pavlovien. Mais cachottier, sûrement pas. Smog, c’est l’exemple (assez unique) d’un groupe muré dans le silence, dont les disques font ouvertement fonction de journal intime (ou de roman d’initiation, ce qui revient au même). Désarmante candeur, impudeur inouïe. En studio, le solitaire mutique se mue en exhibitionniste patenté : on avait rarement entendu vices secrets aussi crûment confessés sur fond de piano dolent et d’arrangements d’un romantisme brumeux. La clé de ses mélodies majestueuses, de ses solennelles symphonies de poche, Bill Callahan la livre dès la première chanson, You moved in :The Doctor came at dawn capte l’écho du « musical sound of the ever expanding sea » (le son musical de la mer en expansion permanente). Une mer d’huile, sur laquelle le couple, ce Titanic, vogue inexorablement vers un champ d’icebergs, lumineux en surface mais veinés de crépusculaires inquiétudes. Entre voyeurisme et fétichisme, You moved in et All your human things, les deux plus vertigineuses chansons d’un disque passablement tourneboulant, jumellent le petit théâtre cruel de Smog et le motel mortel de Norman Bates dans Psychose. « J’ai enregistré tes conversations téléphoniques, j’ai lu ton courrier » ; « J’ai fait une poupée écartelée de tes dessous froufroutants » ; « J’ai fait main basse sur ta vie privée, je l’ai balancée sur une table et fendue en deux avec un couteau » : textes terribles, énoncés d’une voix éplorée, pâlotte et pétrifiante. On pénètre dans les chansons chavirantes du cinquième album de Smog comme dans le placard d’un Barbe Bleue à peine sorti de l’adolescence, d’un gamin songeur capable d’énumérer une invraisemblable liste de sous-vêtements féminins (All your woman things) avec une ferveur fêlée qui ramène le What’s inside a girl des Cramps à sa juste dimension celle d’une plaisanterie joviale. L’élocution implacablement distincte de Bill Callahan agite sa petite lanterne au-dessus d’abîmes à la gueule tellement béante qu’on lui sait finalement gré d’en épargner aux interviewers une visite guidée. Visite que l’auditeur spéléologue effectuera en solo intégral, en se fiant aux repères malins (le It’s not enough des Heartbreakers rechapé en Somewhere in the night, le Love in vain de Robert Johnson décalqué pour l’exquis Four hearts in a can) semés par Bill Callahan, pour le coup plus filou que lo-fi.
{"type":"Banniere-Basse"}