Tim Roth, Walton Goggins et Kurt Russell font part de leur plaisir d’avoir retrouvé Quentin Tarantino et soulignent la dimension politique de son travail.
Trois des huit acteurs-salopards sont passés par Paris. Kurt Russell, grisonnant mais portant beau, les yeux toujours aussi bleus, la langue aussi bien pendue que les proies de son personnage de chasseur de primes.
Tim Roth, membre ancien de la Tarantino family, aussi britishissime que son double duplice à l’écran, accent et manières délicats de sujet de Sa Majesté Elizabeth. Et le beau brun Walton Goggins, aussi bavard que son shérif raciste mais infiniment plus éduqué et ouvert.
Tous disent avant tout le kif royal de bosser avec Kwentine. Pour Tim, c’était “comme retrouver une famille, avec des têtes connues parmi les acteurs et les techniciens. J’ai connu Quentin quand il n’avait pas d’argent pour faire ses films, et là, je l’ai retrouvé avec un budget confortable, un statut de star… J’aime les deux Quentin, qui ne sont pas si différents.”
“Sur un plateau, Tarantion est un dictateur sympa”
Kurt connaît le cinéaste depuis un moment, il était déjà l’inoubliable Stuntman Mike dans Boulevard de la mort. “J’adore bosser avec Quentin pour son énergie, son humour, sa précision et parce qu’il sait exactement ce qu’il veut. Ce qui différencie Quentin, c’est le plaisir dingue qu’il prend chaque jour à faire du cinéma. Sur un plateau, c’est un dictateur sympa. Il n’y a pas de démocratie sur un plateau, mais si le dictateur est compétent et laisse une marge pour que l’acteur suggère des idées, c’est génial.”
Walton aussi en est à son deuxième Tarantino (il apparaissait dans Django Unchained) et reste émerveillé de travailler avec lui : “Je me pince comme si je rêvais, comme si j’allais chez le meilleur tailleur de Londres pour un costume sur mesure. Pour moi, il y a l’avant-Tarantino et l’après”, raconte cet acteur plus célèbre aux Etats-Unis qu’en Europe pour ses nombreux téléfilms et séries.
On se demande légitimement si huit acteurs sur un plateau n’auraient pas tendance à se comporter un peu comme huit “salopards”, chacun voulant plus de lignes (de dialogue, voire de coke) que l’autre dans une prévisible arène aux ego. Selon ces trois-là, il n’en a rien été. Le plaisir d’échanger des répliques comme des balles de tennis ayant été plus fort que l’individualisme supposé des stars hollywoodiennes, Goggins allant même jusqu’à admettre qu’il a pris son pied et une leçon sur le métier en regardant les autres jouer.
En dehors de leur plaisir de travailler sur un huis clos western version Tarantino, nos trois lascars insistent aussi sur la dimension sérieuse des Huit Salopards. “Quentin a choisi de parler du racisme, précise Tim Roth, comme dans Django. Il parle aussi de l’histoire du système pénal américain et c’est très bien articulé.”
Kurt Russell affine le rapport de Tarantino à l’histoire et à la politique : “Toutes les lectures sont légitimes mais Quentin ne parle jamais de ce type d’intention sur le plateau. Il n’explique pas la politique de ses personnages, il les fait agir. Ce qui compte, c’est comment le personnage parle, bouge, s’habille, etc. Mon John Ruth a une moustache gigantesque, de longs cheveux, un manteau en peau de bison : c’est un bison humain, un taureau dans le magasin de porcelaine qui ne tolère personne en travers de sa route.”
Goggins, de son côté, marque un point en désamorçant le reproche de violence couramment fait à Tarantino qu’il met en perspective face à celle, quotidienne et plus réelle, de la télé américaine mais que personne ne dénonce.
“Tarantino est peut-être le hipster ultime”
La particularité des Huit Salopards est d’être un film d’intérieur tourné en 70 mm. Ce format élargi semble n’avoir eu aucun impact sur le jeu des acteurs, notamment en termes de déplacements, de marques de positionnement. Kurt se lance dans une longue digression sur les cadrages et les champs-contrechamps dont il ressort que le 70 mm n’a rien changé à ses yeux par rapport au 35 ou au Scope. Goggins et Roth confirment mais pointent le frisson d’être filmés en pellicule par la grosse machinerie 70 mm et ses objectifs surdimensionnés.
Outre le plaisir, ce qui a dominé ce tournage aux yeux des comédiens est le goût des retrouvailles avec du cinéma au montage long, laissant toute sa place au déploiement du dialogue et, partant, des comédiens. Une idée du cinéma qui est aussi une idée du monde et du rapport à l’autre selon Goggins : “Quentin nous réapprend la patience. La patience, c’est comme les glaciers, ça disparaît petit à petit, à cause de la technologie, de tous ces écrans, smartphones, etc. On n’est plus capables de converser un moment, d’écouter l’autre, sans que le putain de mobile sonne ou vibre ! Dans les années 1970, non seulement on avait la patience d’écouter ce qu’un auteur avait à dire mais on désirait écouter ça. Tarantino est peut-être le hipster ultime, parce qu’il ne fait pas dix choses à la fois, il n’en fait qu’une, mais avec le plus grand soin.”