Le 7 janvier paraîtra « Chérie, je vais à Charlie », le livre d’amour et de révolte de Maryse Wolinski. La journaliste et l’épouse du dessinateur revient sur l’attaque qui lui a coûté la vie et s’interroge sur les failles de la protection du journal.
Mardi 5 janvier ont été dévoilées trois plaques commémoratives à la mémoire des victimes des attentats perpétrés les 7 et 9 janvier à Charlie Hebdo, Montrouge et l’Hyper Cacher. Sur l’une d’entre elles, déposée rue Nicolas-Appert, « à la mémoire des victimes de l’attentat terroriste perpétré contre la liberté d’expression dans les locaux de Charlie Hebdo le 7 janvier 2015« , le nom du dessinateur George Wolinski a été mal épelé.
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« Je ne peux guère faire de l’humour là-dessus parce que ma colère est trop grande. Ce matin, je peux vous dire que j’étais furieuse« , a-t-elle confié à RTL. Quelques jours plus tôt, nous la rencontrions dans son nouvel appartement pour parler de son livre d’amour et de révolte en hommage à son mari, Chérie, je vais à Charlie, qui paraîtra le 7 janvier 2016.
Un an après Charlie, la France est plongée dans l’état d’urgence et a connu un deuxième attentat. Selon vous, a-t-on tiré les leçons du 7 janvier ?
Maryse Wolinski – Absolument pas. Cent trente personnes ont été tuées comme ça, assez facilement, alors que nous savions que le Bataclan était considéré comme un site sensible : en août dernier, l’antiterrorisme avait arrêté un djihadiste qui avait dit préparer un attentat dans une salle de concert. On pouvait imaginer qu’il ne s’agissait pas de la Philharmonie de Paris ! Et pourtant, le Bataclan n’était pas surveillé, tout comme Charlie Hebdo n’était plus surveillé (la fourgonnette de police avait été déplacée fin novembre) malgré l’intensification des menaces. On ne peut pas mettre un policier devant chaque porte, mais toute porte n’est pas à surveiller !
Pourtant d’un point de vue législatif, l’Assemblée nationale a adopté un arsenal de lois sécuritaires…
Nous avons décrété l’état d’urgence, oui. Je suppose que ce n’est pas maintenant qu’on aura un attentat. Mais on ne peut pas vivre dans la terreur en permanence : il faut continuer à vivre comme a toujours vécu, selon nos mœurs. Sinon, on fait le jeu de Daech. Le livre La gestion de la Barbarie d’Abu Bakr Naji (édité en France par une maison d’édition catholique, Les Editions de Paris – ndlr) est très clair sur leurs intentions : Daech veut installer la terreur dans nos pays occidentaux, amoindrir les gouvernements et établir un califat. C’est très utopique, mais enfin est-ce que Mein Kampf n’était pas utopique?
Comment la lutte devrait-elle s’organiser selon vous ?
Ça commence par le politique. Il faut que le gouvernement arrête de penser à 2017. Au Président de défendre notre civilisation, de dire que nous n’en changerons pas et que nous continuerons à aller au spectacle. Nous savons qu’il y aura d’autres attentats : outre la protection des sites sensibles et mettre le GIGN dans Paris, il faut créer une cellule de crise qui prenne en charge les familles. Le 7 janvier, c’est mon gendre qui m’a appris l’assassinat de Georges. Pourquoi l’a-t-il su et pas moi ? Les policiers surveillaient le déplacement des politiques venus poser devant le 10 rue Nicolas-Appert. La fille du dessinateur Honoré, Hélène, ne pouvait pas accéder au théâtre où les familles des victimes étaient confinées, elle a eu un cri de colère lorsque Anne Hidalgo est passée : “On laisse passer les politiques et pas les familles !”. Ce sont les survivants, Laurent Léger et Jean-Luc le maquettiste, qui lui ont appris la mort de son père.
Dans “Chérie, je vais à Charlie”, vous retracez minute par minute l’attaque contre Charlie Hebdo, et vous pointez de nombreuses failles…
J’ai écrit ce livre pour essayer de comprendre. Les Kouachi arrivent rue Nicolas-Appert à 11h05, ils sont dans la salle de rédaction à 11h33. A 11h35, ils partent après avoir tué dix personnes. Que s’est-il passé? Il y a eu énormément d’appels au 17, dont certains mentionnent Charlie Hebdo… D’après les témoins, les policiers arrivent à 11h40, mais les Kouachi quittent la rue à 11h38. Par ailleurs, certains affirment avoir vu un troisième homme avec les tueurs. J’ai écouté beaucoup de langue de bois. Surtout, en discutant avec les policiers, j’ai appris qu’ils n’étaient pas du tout en capacité de se retrouver face à des djihadistes armés de kalachnikovs, faute de formation et d’équipement.
Avez-vous revu les survivants?
Oui, j’aime beaucoup Laurent Léger, je lis beaucoup Philippe Lançon… L’ancienne génération du journal est partie, désormais ils font un journal comme ils peuvent, avec leurs moyens et leur talent. Un mois avant l’attentat, je pensais que c’était la situation financière catastrophique du journal qui inquiétait mon mari. Il était très triste. En fait, il sentait la menace, et il ne m’a rien dit. La veille, il était au bistrot en bas de chez nous, il aurait dit qu’il en avait marre et qu’il avait peur d’aller à Charlie… Il n’aurait jamais quitté le journal, il était très loyal. Pourtant, ils ne se conduisent pas très bien vis-à-vis des familles.
C’est-à-dire ?
Il a été dit devant les caméras par Pelloux, Riss, et les autres, que les dons à Charlie Hebdo allaient aller aux familles des victimes. Nous pensions que l’argent était consigné à la Caisse des dépôts : en fait, il était déposé sur un compte à la Société générale, sur le compte des amis de Charlie Hebdo — ce qui n’a rien à voir avec l’association des familles de Charlie Hebdo. L’argent est désormais sous séquestre à la Caisse des dépôts. Cela devrait être réglé au premier trimestre 2016. Quant au fonds de garantie, c’est le mystère. J’ai touché deux provisions de 20 000 et 25 000 euros en janvier et cet été. Depuis, rien. Je ne sais pas quand je vais toucher le reste, d’autant qu’on essaie de défalquer les ventes des livres de mon mari de la somme que je pourrais toucher – comme si ça avait quelque chose à voir avec l’attentat dont il a été victime… Nous les épouses, c’est maintenant que nous en avons besoin, pas dans dix ans.
Un an plus tard, comment vous sentez-vous?
C’est une partie de moi qui s’est envolée. J’avais 21 ans quand j’ai rencontré mon mari, nous avons vécu 47 ans ensemble… J’ai beaucoup vécu sous son regard, je sais que c’est pas très féministe de dire ça… Ce regard soit tendre, soit amoureux, soit séducteur, soit canaille, il me donnait le goût de la vie. Et là maintenant, je dois vivre avec mon propre regard. Il y a un vide dans cette maison. J’essaie de dîner avec des amis le soir, dès que je rentre j’écoute la radio, c’est comme si on me parlait. Je l’ai perdu et pour moi c’est terrible. Rien ne remplacera jamais cet homme merveilleux avec ses post-its, ses petits mots, son talent… En fait, j’ai vécu toute l’année comme si mon mari était parti en voyage. Je n’ai touché à rien dans sa chambre, ni dans sa salle de bain. Et puis il a fallu déménager…
Est-ce là que vous avez eu l’idée de donner son bureau au Centre international de la caricature et du dessin de presse à Saint-Just-le-Martel?
Oui, je suis très contente. On ne pouvait pas disperser sa collection impressionnante de livres et de dessins. Je ne voulais pas qu’on bazarde sa table à dessin. Lorsque j’ai invité le fondateur du Centre chez nous, il avait des larmes dans les yeux (rires). Les équipes du centre ont réaménagé à l’identique le bureau de mon mari. Ça m’a beaucoup ému.
Propos recueillis par Mathilde Carton
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