Le Conservatoire National Supérieur de musique et danse de Lyon s’ouvre à la pop de la plus belle des manières : en revisitant l’intégralité de l’oeuvre dense et ambitieuse d’Emilie Simon lors d’une soirée spéciale. L’occasion de prendre des nouvelles d’une chanteuse qui occupe une place singulière dans le paysage musical hexagonal…
Le Conservatoire National Supérieur de musique et danse de Lyon propose une relecture totale de votre œuvre lors d’une soirée spéciale le 12 novembre. Comment est né cet audacieux projet ?
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C’est Henri-Charles Caget qui travaille avec moi depuis plusieurs années, et qui est par ailleurs collaborateur du CNSMD, qui leur a proposé de mettre en place ce projet-là. L’idée était de faire travailler les élèves du Conservatoire autour d’un répertoire plus pop, plus actuel. C’est intéressant car le musicien au sens traditionnel est celui qui s’adapte, c’est donc très stimulant de voir les élèves dans cette situation, de les voir réagir aux morceaux et aux nouveaux arrangements. C’est aussi très touchant bien évidemment.
Au printemps dernier vous avez vous-même dû revisiter votre œuvre de manière impromptue lors d’un concert épique en Chine. Les intempéries avaient alors empêché l’avion qui contenait vos instruments d’atterrir à Wuhan…
Oui sauf que je n’avais que deux heures pour improviser quelque chose ! On a composé avec ce qu’on avait. Il y avait quand même sur place un kit de batterie, deux guitares et un piano électrique de location. Heureusement aussi que j’avais acheté la veille une flûte chinoise ! Je me suis donc entrainée dans les loges avant le concert. C’était la première fois qu’on jouait dans cette ville et au final ça a été une expérience formidable. Le public chinois est hyper spontané, hyper frais, direct. C’est très agréable. Il y a une connivence qui se met en place et qui va logiquement au-delà de la culture et du langage. C’est toujours dans les moments inattendus que les concerts sont les plus électriques, les plus vibrants. Il y avait aussi une présence plus intense, du fait de l’accident initial.
Souvent de belles choses peuvent naitre de l’inattendu. Est-ce que vous laissez les accidents venir à vous en studio également ?
Ca peut arriver en composition et en arrangements mais je ne compte pas dessus. Toutefois, il est effectivement bon de rester ouvert à l’inattendu et d’accepter de voir la beauté dans quelque chose qu’on n’avait pas prévu, c’est une ouverture qui peut faire beaucoup de bien aux morceaux.
Il y a toujours eu l’idée de réinvention dans votre carrière, est-ce pour éviter les systématismes liés à une formation très académique de la musique ?
Je crois que c’est parce que je m’ennuie vite et que je ne veux pas faire deux fois la même chose. J’ai beaucoup d’enthousiasme quand je trouve un axe qui me plait et j’aime aller creuser au bout de cet axe-là. Et quand j’en ai fait une œuvre, un projet, un album construit et que je l’ai porté et joué pendant plusieurs mois sur scène, j’ai naturellement envie de développer une envie autour d’un pôle différent. Il faut prendre en considération que tout n’est que mouvement, que nous changeons à chaque minute, et donc la musique aussi. C’est la chose la plus organique qui soit, c’est intimement liée à notre état émotionnel, physique et moral. Il faut être à l’écoute de soi et creuser la poétique de l’instant.
Ces envies de changements permanents, aussi bien dans le fond que dans la forme laissent penser que vous pourriez être une bonne actrice. Avez-vous déjà été sollicitée par le cinéma ? Avez-vous envie de vous diriger vers cette voie-là ?
Oui j’ai été sollicitée. J’avais joué dans trois courts-métrages pour mon ami Stéphane Foenkinos et ça m’a convaincu. J’aime le cinéma, j’aime l’idée de développer la magie, la beauté. Mon média primaire à moi c’est la musique mais ça serait super de faire du cinéma. On m’a proposé des rôles, mais je n’ai pas creusé, ce n’était peut-être pas le bon moment. Mais ça pourrait arriver, je laisse beaucoup les choses arriver par elles-mêmes et quand c’est le bon moment et que ça a du sens, on le sait tout de suite.
Ca ne vous dérangerait pas d’être au service de quelqu’un, alors qu’avec votre musique vous êtes totalement « in charge » ?
Parfois ça fait du bien d’être au service de quelqu’un ! Encore faut-il adhérer à la cause. J’ai beaucoup aimé écrire des musiques de films, c’est très plaisant d’être au service de la vision du réalisateur. Quand le cadre est déjà défini, c’est plus facile, ça peut être libérateur d’être créatif à l’intérieur d’un cadre.
Vous vous êtes d’ailleurs confrontée à l’image en réalisant le clip de Menteur sur votre dernier album, Mue. Comment cela s’est-il passé ?
J’avais envie de réaliser depuis longtemps mais je ne pensais pas que ça se passerait sur ce titre-là. Mais lorsque je suis partie en vacances à Los Angeles voir une amie, l’idée du clip m’est venue dans l’avion. Une fois arrivée, j’ai mis en place tout ça, j’ai rencontré une productrice, j’ai trouvé une équipe et j’ai pu tourner le clip. S’il y a bien une ville où l’on peut trouver des techniciens et des acteurs rapidement c’est là-bas !
Quels sont les réalisateurs qui vous ont marqué ?
De manière générale, j’aime l’idée de construire un univers sur-mesure, très personnel, donc j’aime les réalisateurs et les films avec une identité forte. Je pense à Blade Runner par exemple, sinon j’aime beaucoup Tim Burton, il a une dimension poétique très forte et très personnelle.
Lors de vos débuts en 2003, il y avait peu de chanteurs qui optaient pour le français. Depuis quelques années on a pu observer un retour de la langue française chez toute une nouvelle scène de jeunes artistes. Que pensez-vous de ce « retour aux sources » ?
Oui lorsque j’ai débuté ça ne se faisait presque pas. Ce n’est pas évident d’écrire et de chanter en français, c’est peut-être pour cela que ça n’était pas trop prisé. Le français ne supporte pas la médiocrité, ça ne marche que si c’est bien écrit et très cohérent. Mais de manière générale je suis pour que les gens fassent ce qu’ils veulent faire. S’ils veulent chanter en français, en anglais, en espagnol ou en russe, qu’ils le fassent.
Personnellement j’ai toujours écrit en anglais et en français. L’anglais est pour moi une langue très ouverte, elle a un pendant littéraire et poétique magnifique et en même temps elle a un pendant de communication pure et directe. J’aime les deux. D’ailleurs, je relis mes classiques en ce moment.
http://www.youtube.com/watch?v=50mrrswgdL0
Est-ce qu’il est nécessaire de revenir à des classiques, des fondamentaux pour se régénérer ?
Oui, c’est comme la nourriture en fait. Absorber de bonnes choses fait beaucoup de bien. Plus on se nourrit de belles choses plus on a de chances d’accoucher de choses qui sont belles aussi. C’est ma croyance.
Quelles sont les belles choses que vous avez vues récemment ?
La vue de Manhattan depuis Brooklyn au moment du coucher de soleil, c’est franchement pas mal.
Vous travaillez sur un nouvel album à New York ?
Je travaille actuellement sur un nouveau projet, assez différent de ce que j’ai pu faire auparavant. Mais c’est encore un peu tôt pour en parler. En tous cas je suis très heureuse de ce qui est en train de se mettre en place.
Vous avez un statut un peu à part dans le paysage musical en France, votre œuvre est très variée, vous avez la reconnaissance internationale. Y-a-t-il des artistes français dont vous vous sentez proches d’une manière ou d’une autre ?
Parfois j’aurais bien aimé avoir une famille, faire partie d’une scène. Mais ma carrière et ma vie en ont décidé autrement. J’ai toujours fait un peu mon truc de mon côté. Comme j’écris, je compose et je réalise toute seule, il y a sûrement moins d’interactions à la base sur la création. J’ai joué avec The Dø en Australie en janvier, j’ai pu constater que ça se passait très bien pour eux et que ça s’ouvrait à l’international et ça me fait très plaisir pour eux.
Il y a quelques mois on a vu apparaître la notion de « féminisme pop » où de grandes figures de la pop culture ont ressenti le besoin d’affirmer leur féminisme. Où vous situez-vous par rapport à cela et avez-vous connu des embuches dans votre carrière professionnelle simplement le fait que vous êtes une femme ?
Ca s’est toujours bien passé pour moi car j’avais décidé que ça se passerait bien ! Comme j’écris et produis seule depuis toujours, je n’avais pas non plus à subir des réflexions négatives, condescendantes ou paternalistes de la part d’un producteur. Je me souviens tout de même qu’à mes débuts ça étonnait les gens de me voir avec des câbles en train de tenter des choses en studio, ils étaient surpris qu’une jeune fille puisse faire ça. Et puis je me souviens également qu’à mes débuts, j’avais fait écouter des maquettes à une certaine maison de disque qui ne croyait tout simplement pas que j’étais derrière le projet ! Je ne vous dirai pas laquelle car ça ne serait pas sympa,
L’équipe ne pouvait pas croire que je puisse faire les arrangements, la programmation, la production. Tout ça sont des idées reçues un peu lourdes, du coup j’ai fait mes choses de mon côté et ça a permis de montrer aux sceptiques que je savais ce que je faisais. Le principal est d’aboutir ses projets. C’est le fait qu’il y ait plus de femmes qui fassent de la musique, électronique ou autre, qui fait changer les mentalités. Je suis plus dans l’action que dans le discours. Si des petites filles voient plus de femmes faire de la musique, elles peuvent se projeter et des vocations peuvent naitre.
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