Après les Assises des écoles d’art et la décision de ces dernières d’ouvrir leurs établissements aux réfugiés, Emmanuel Tibloux, Président de l’ANdEA, l’Association nationale des écoles supérieures d’art, nous répond.
Vous venez d’annoncer au nom de l’ANdEA la mise en place d’un dispositif d’accueil au sein du réseau des écoles d’art françaises pour les réfugiés qui souhaiteraient poursuivre leur études d’art. Une façon d’affirmer votre rôle hospitalier. Or cette idée de l’école d’art comme refuge, au-delà du cas précis de l’accueil des migrants, a traversé les débats lors des Assises des écoles d’art qui se sont tenues la semaine passée à l’Ensba Lyon. Un refuge pour des pratiques, des enseignements et positionnement sans équivalent dans l’enseignement supérieur. Dans le même temps, les écoles d’art ont conjointement réaffirmer leur désir d’ouverture sur le monde et un certain nombre de questions politiques. Comment tenir ce grand écart entre l’idée d’une école comme lieu-refuge, un lieu préservé, à l’abri, et d’autre part l’idée d’une école d’art ouverte, en prise directe avec le réel ?
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Emmanuel Tibloux – L’hospitalité est une valeur fondamentale des écoles d’art : aussi bien à l’égard des individus qu’à l’égard des pratiques. Et ces individus et ces pratiques que les écoles d’art accueillent sont ceux-là mêmes que d’autres lieux – institutions, champs, disciplines – ont tendance à rejeter: parcours atypiques, pratiques non disciplinaires, savoirs non institués.
C’est pourquoi par exemple nous sommes si attachés à ce que les non-bacheliers puissent, sur dérogation du directeur, se présenter au concours d’entrée dans nos écoles. De ce point de vue, le petit geste qui est le nôtre à l’égard des migrants est bien le minimum que l’on puisse faire, sans quoi l’hospitalité n’est qu’un vain mot.
L’hospitalité telle que nous l’entendons a pour corollaire l’hétérogénéité, une hétérogénéité qui concerne là encore les pratiques comme les individus. De là vient que nous soyons si vigilants sur les risques de normalisation: la création et ses écoles ont partie liée avec la singularité, le non-standard, le divers, l’altérité, et plus largement avec l’exercice d’un principe fondamental: la liberté. C’est pourquoi le premier article de la nouvelle loi sur la création, l’architecture et le patrimoine, sur lequel Fleur Pellerin insiste tant, est si important : la création artistique est libre.
Associer les étudiants aux réflexions
Mais il faut être conséquent et aller jusqu’au bout : son enseignement – de même du reste que sa diffusion – doit être libre aussi. Ce qui veut dire ne pas aller trop loin dans la normalisation académique des études : il faut que la forme du mémoire reste libre, de même que les durées de stage ou de séjour à l’étranger, que le doctorat ne soit ni un critère ni un enjeu imposés, etc.
Il suffit de discuter avec des étudiants en écoles d’art pour voir que leur cerveau n’est pas compartimenté en disciplines ou en matières, que la question des grades et des diplômes n’est pas si importante pour eux, que la façon dont ils conçoivent leur existence est loin des standards de carrière et de réussite auxquels le système scolaire dans son ensemble s’emploie à répondre.
A cet égard, je voudrais d’ailleurs pointer un paradoxe : toutes ces réformes sont censées se faire pour le bien des étudiants, mais en fait ils sont très peu consultés. C’est la raison pour laquelle nous les associons de plus en plus à nos réflexions au sein de l’ANdEA, et que nous intégrerons prochainement un représentant étudiant au sein de notre conseil d’administration.
Tout cela ne veut pas dire que l’on cultive la marginalité ou la séparation. Ce à quoi nous sommes attachés, non pas comme des petits propriétaires mais comme une communauté consciente de ce qui la constitue en propre, c’est notre identité singulière d’écoles de création, ainsi que les valeurs et les principes qui vont avec.
Contre la discrimination
Parmi ces valeurs et ces principes, il y a aussi une certaine conception du fonctionnement des institutions, et en particulier des institutions artistiques. Parce que les questions de représentation, de forme et de symbolisation sont au cœur de la pratique artistique, il nous semble essentiel d’être fortement engagés sur ces questions de forme et de représentation telles qu’elles se posent dans les institutions.
C’est la raison pour laquelle nous avons publié récemment une charte contre les discriminations sexuelles et une autre de bonnes pratiques en matière de recrutement des directeurs ou directrices. L’idée n’est pas de verser dans un formalisme excessif, mais de promouvoir les meilleures formes de vie et d’organisation de nos structures au regard des principes et des valeurs qui sont les nôtres.
En ce sens, il n’y a pas d’opposition entre l’école d’art comme refuge et l’école d’art ouverte sur le monde: c’est toujours d’une même position éthique, sociale et politique qu’il s’agit, fondée sur notre identité singulière. L’hospitalité n’est-elle pas du reste la plus belle forme d’ouverture au monde? Il faut enfin avoir à l’esprit que, comme la plupart des écoles aujourd’hui, comme elles devraient l’être du moins, l’école d’art est dans une relation dialectique entre la fermeture et l’ouverture: l’école d’art d’aujourd’hui est à la fois un lieu d’étude et de projection, un monastère et un hub, un pli et une synapse.
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