La semaine dernière, un valet servile de l’ordre établi, la structure et le système qui absorbent le sujet, le monde qui revient et merci pour rien.
Mon cher Inrocks, “les moments de glande sont d’une intensité effarante”, jure Jaco du groupe Odezenne qui fait ta couve. Les sérieux, les besogneux, les rigoureux, les méthodiques, les motivés, organisés, appliqués, ne savent pas ce qu’ils perdent. Ils passeront à côté de l’incomparable volupté que connaît celui qui décide de ne plus se lever le matin. Ils ne connaîtront pas l’ennui délicieux, le temps qui s’allonge, les heures passées devant un match de curling dont on découvre les règles, ou à contempler une botte de carottes qu’on se refuse à éplucher, le cerveau engourdi plus puissamment que par n’importe quelle drogue.
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Ils ne seront pas touchés par la grâce d’observer le monde qui s’agite et de ne pas en être tout à fait. Je suis chez moi. Je passe du bureau au canapé, du canapé à mon lit, de mon lit au réfrigérateur, et de mon réfrigérateur à mon Inrocks, bien décidé à laisser filer cette journée, à faire le vide, principe zen appliqué rigoureusement à ma nouvelle vie d’inemployé. Une méthode imparable. “Tourner en rond est vraiment une condition pour écrire”, dit Odezenne. Ma chronique viendra.
Tout vient à point à qui sait glander. Mais voici que les tentations m’assaillent : “Fais quelque chose de ta journée, Gamelin ! Bouge-toi ! Dresse une liste de tâches ! Bosse, ducon !” Je me mords les doigts et résiste. Penser à Michel Foucault. Ne pas laisser la structure et le système “absorb(er) le sujet” que je suis. Le flic en moi, “valet servile de l’ordre établi”, insiste : “Le travail, c’est la santé. La vie appartient à ceux qui se lèvent tôt. Ressaisis-toi.”
Mon bras, mécaniquement, se saisit d’un balai. Mon esprit louche sur ma chronique, ma mauvaise conscience songe aux factures en retard. Arrière ! Il faut s’accrocher, tenir quoi qu’il en coûte sa “démission par rapport à la vraie vie”. Je suis un démissionnaire militant. “Il faut travailler dur pour mériter sa démission”, explique Alix d’Odezenne. Renoncer à ces activités qui structurent nos vies et les étouffent est une entreprise colossale. “Ça demande une certaine forme de résistance de continuer à tout remettre en question après 25 ans.” J’ai 37 ans, et je regarde passer mes impératifs du jour. Je suis le Jean Moulin de la glande.
Mais ma paresse vient s’opposer à ma glande. Immense flemme d’affronter les comptes que le monde me réclamera obligatoirement si je me soustrais à mes impératifs : “C’est le bordel chez toi !”, “Vous n’avez pas actualisé votre situation mensuelle !”, “Et où est-ce qu’elle est ma chronique ? On boucle le journal, là…” Le monde revient à moi et me sort de ma douce léthargie. Par paresse, je me mets à la tâche. C’est aussi bien comme ça. Merci le monde. “Merci, merci, merci, merci (…) thank you, grazie, merci beaucoup… Merci pour rien…” (John Giorno)
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