Le millésime 2015 d’ »Assassin’s Creed » nous emmène visiter Londres à l’époque victorienne. Après les critiques subies par l’épisode précédent, le jeu ne renouvelle pas profondément la formule et semble presque faire profil bas. Et si c’était ce qui pouvait arriver de mieux à la saga ?
Assassin’s Creed ne fera peut-être plus jamais l’événement comme au temps de son premier épisode qui, à l’automne 2007, emmenait les joueurs faire les foufous (que de chevauchées ébouriffantes, d’escalades enivrantes de tours géantes…) en Terre Sainte à l’époque des Croisades. Ou de l’épisode 2, paru deux ans plus tard et situé entre Venise et Florence dans l’Italie de la Renaissance. Depuis, Assassin’s Creed est devenu une « franchise » aux sorties annuelles. Les jeux et les époques se sont succédés, on a traversé l’Atlantique, entamé une carrière de pirate ou, l’an dernier, arpenté les rues de Paris en pleine Révolution française. Et puis, peu à peu, quelque chose s’est cassé et, là où les grandes séries vidéoludiques (Final Fantasy, GTA, Uncharted, Zelda…) ont appris à s’absenter quelques années pour se renouveler, Assassin’s Creed s’est banalisé. Et les bugs de l’épisode 2014, Unity, n’ont rien arrangé à sa réputation. L’excitation est retombée, on n’attend plus grand-chose de la série. C’est sans doute ce qui pouvait lui arriver de mieux – et, du coup, à nous aussi.
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Situé cette fois dans le Londres de l’époque victorienne qui semble follement inspirer le jeu vidéo ces temps-ci (cf Dishonored, Bloodborne, The Order 1886, Sherlock Holmes : Crimes et Châtiments…), Assassin’s Creed Syndicate est sans doute, hors spin-offs, l’épisode le plus modeste de la saga. Celui qui se prend le moins pour ce qu’il n’est pas (une révolution ludique, un récit d’anticipation fulgurant de pertinence visionnaire, un truc qui va changer nos vies), celui qui est le moins à prendre ou à laisser. Il ne s’en révèle que plus sympathique, que plus aimable même. Ce n’est pas un monde (ouvert, et plus proche que jamais de son modèle historique GTA avec ses surprenantes poursuites en calèche) qui va nous engloutir mais un univers de compagnie dans lequel on entre et sort selon nos désirs. Rien de grave si l’on ne suit pas l’intrigue (incompréhensible, de toute façon, mais cette fois presque en sourdine) de très près, si l’on ne s’y implique pas trop émotionnellement. C’est un prétexte à faire des choses : sauter, se cacher ou se bagarrer comme dans la cour de récré – les flots de sang en plus. A éprouver à volonté et dans toute leur dimension primitive et sensuelle les plaisirs ordinaires du jeu vidéo.
Toujours très riche en contenu et très documenté
Pas de malentendu : Assassin’s Creed Syndicate est, comme ses prédécesseurs, riche en contenu et très documenté. On y croise Dickens, Darwin et Thomas Bell (comme, autrefois, Leonard De Vinci ou Benjamin Franklin). On y parle révolution industrielle, exploitation des enfants et même, dans une certaine mesure, place des femmes dans la société (ce qui, avec le fait que l’un de nos deux personnages est de sexe féminin, pourrait bien être une réponse d’Ubisoft à de justes polémiques du passé), mais tout ceci est comme une surcouche appliquée sur l’univers du jeu. Les environnements, rues étroites, barques sur la Tamise, cheminées d’usine et soir qui tombe sur Big Ben, sont somptueux mais c’est un univers qui ne se fait pas vraiment passer pour vrai. A l’écran, les indications abondent. Notre objectif est à 127 mètres. Nous en sommes à 75 assassinats sur 120, indication d’un but sans justification particulière mais qui se suffit à lui-même – nous promettre une récompense serait presque vulgaire, les joueurs ne sont pas si « intéressés ». C’est un monde chiffré, un monde aux coutures apparentes, à l’artificialité assumée. Un monde de jeu vidéo honnête, en somme. Le grand intérêt d’Assassin’s Creed Syndicate est là : c’est un jeu qui ne triche pas.
Le cocktail de redites – d’un Assassin’s Creed à l’autre, certaines choses ne changent pas et le sentiment de familiarité fait aussi partie de l’expérience – et de nouveautés (courses en calèche, utilisation d’un grappin batmanien…) participe du même esprit. Voilà à quoi on a pensé, semblent nous dire les développeurs. Ça vous plaît un peu, beaucoup, pas du tout ? Dans tous les cas, ce n’est pas grave : il y a plein d’autres choses à faire et aucune obligation de s’acharner sur ce qu’on jugerait éventuellement raté. Après tout, ce n’est que du jeu vidéo.
Sauf que ce « que », justement, est déjà beaucoup. C’est même la raison pour laquelle on aime Assassin’s Creed Syndicate – non pas malgré mais avec, voire pour, ses limites. Le jeu est là, qui se donne sans s’imposer, se propose de nous accompagner et mise tout sur les détails, les petites choses. Une course pour presque rien, un saut un peu risqué, une lumière si douce sur un mur si faux. Tout cela n’est pas bien riche, pas bien immersif, dites-vous ? Pas bien révolutionnaire, pas bien mémorable. En un mot : pas bien profond. Précisément : c’est une surface, sur laquelle le joueur rebondit et se reflète, se reconnaît (ou pas, ou de temps en temps seulement) et se projette. Un grand miroir (déformant), un majestueux tableau. La surface, c’est parfois ce qu’il y a de plus beau.
Assassin’s Creed Syndicate (Ubisoft), sur PS4 et Xbox One, environ 50 €. A paraître sur PC.
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