Dans un contexte géopolitique instable et dangereux, l’ouverture de la Fondation Aïshti à Beyrouth symbolise la résistance artistique.
Fastueuse fut l’ouverture, par le collectionneur libanais Tony Salamé, de sa Fondation Aïshti à Beyrouth lors de la dernière semaine d’octobre. Aujourd’hui à la tête d’un empire du luxe englobant divers magasins, restaurants, magazines, spas, etc., le magnat libanais a donné à sa fondation le nom de sa première boutique de mode, fondée en 1989. Et c’est son tout dernier shopping mall, Aïshti on the Sea, conçu par l’architecte britannique d’origine ghanéenne David Adjaye en proche banlieue de Beyrouth, qui abrite sa fondation d’art contemporain s’étalant sur plus de 4 000 mètres carrés.
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Juste avant l’ouverture, Tony Salamé conviait ses invités, escortés par des militaires, à visiter son storage situé dans un endroit secret, sécurité oblige, pour découvrir l’œuvre in situ Postscript of the Arabic Translation, conçue par les artistes Suha Traboulsi et Walid Raad. Au passage, le nombre saisissant de caisses (environ 2 500) indexe la rapidité avec laquelle le collectionneur a amassé les œuvres de sa collection en moins de dix ans sur les conseils de Jeffrey Deitch, ex-directeur du Moca de Los Angeles.
L’exposition inaugurale de la fondation a été confiée quant à elle à Massimiliano Gioni, le directeur artistique du New Museum de New York et de la fondation Nicola Trussardi de Milan. Intitulée New Skin, elle regroupe 200 œuvres autour de la notion de l’abstraction. Pour entrer dans le musée à l’architecture white cube, il faut emprunter les ascenseurs attenants au grand magasin. La première salle est constituée d’une suite de tableaux “process” de Ryan Sullivan et d’un gigantesque bouquet du conceptuel Willem de Rooij. Afin d’ancrer le projet dans un continuum historique, la salle suivante est composée de peintures abstraites issues de la scène italienne des années 60.
Plus loin, une ouverture vitrée laisse voir le shopping mall avec vue sur la boutique Saint Laurent. On y retrouve encore des Italiens comme Giuseppe Penone ou Michelangelo Pistoletto et une immense peinture horizontale de Wade Guyton qui sert d’illustration à la couverture du catalogue publié par Skira.
Tout au long des quatre étages se succède une liste étourdissante d’artistes internationaux. Le plus haut espace muséal est constitué d’un groupe d’artistes que certains visiteurs estimèrent sans surprise car trop liés au marché à défaut d’être personnel : Sterling Ruby, Urs Fischer, Dan Colen, Tauba Auerbach, Seth Price…
Par-delà les critiques, il faut replacer cette initiative dans le contexte du Moyen-Orient et plus particulièrement celui du Liban. Ces artistes n’ont jamais eu jusqu’à aujourd’hui la possibilité d’être présentés ici. Même pour les directeurs des institutions locales dont la programmation est radicalement différente, tels le Beirut Art Center ou la plate-forme Home Works, la naissance de cette fondation permet de sensibiliser le pays à l’art contemporain en donnant une visibilité internationale et positive à cette nation ravagée par des années de guerre civile et dont l’élection d’un président est vouée à l’échec depuis deux ans. Et même s’ils sont minoritaires, des artistes libanais sont également présents comme Etel Adnan, Rayyanne Tabet, Akram Zaatari ou Ziad Antar.
Certains analystes pointaient les limites de l’exposition New Portraits constituée d’une vingtaine d’Instagram Paintings de Richard Prince dans les vitrines des magasins Aïshti. A trop se rapprocher de la mode, l’art pourrait lui aussi devenir “the last season collection”.
Le dernier jour, le collectionneur Tony Salamé a choisi d’emmener ceux qui étaient encore présents visiter le site de Baalbek, chef-d’œuvre gréco-romain classé au patrimoine mondial de l’humanité et situé à quelques kilomètres seulement de la frontière syrienne et à moins de 200 kilomètres de Palmyre, désormais détruite. Qui connaît aujourd’hui les conséquences de la guerre actuelle et de son impact sur le Liban ? Dans ce contexte géopolitique instable et dangereux, le geste fastueux de Tony Salamé pourrait bien apparaître aussi comme un effort de résistance. Nicolas Trembley
exposition New Skin jusqu’au 4 janvier à la Fondation Aïshti, Beyrouth, Liban, aishti.com
catalogue New Skin (éditions Skira), 412 p., 60 € (en anglais)
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