A l’occasion des 60 ans de l’émission, son animateur Jérôme Garcin consigne dans un livre les rituels du Masque et la Plume. Une institution et un lieu de mémoire du paysage radiophonique.
Chaque dimanche soir, La Fileuse de Mendelssohn annonce la clôture du week-end en même temps que l’ouverture de rideau sur Le Masque et la Plume. Une joie et une souffrance, même si l’ordre des plaisirs (l’écoute de l’émission, la reprise du travail le lendemain) peut se renverser au gré de l’humeur de l’auditeur.
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Chaque dimanche soir, depuis vingt-cinq ans, Jérôme Garcin maîtrise son effet en maintenant un silence d’un quart de seconde entre l’énonciation du “Masque”… (respiration) “et la Plume”. Ouf, la plume est toujours là, elle ne s’est pas envolée. Tout est toujours là d’ailleurs ; le ton, le rythme de l’émission, la lumière du jour qui s’assombrit, les embouteillages qui s’accumulent sur les routes, le jeu rhétorique des chroniqueurs conviés à livrer leurs goûts argumentés se déploient comme au premier jour, depuis que François-Régis Bastide et Michel Polac créèrent l’émission le 13 novembre 1955.
Des auditeurs toujours fidèles
Soixante ans plus tard, la tribune des critiques de l’actualité culturelle fidélise toujours autant d’auditeurs comme si le temps avait à peine imposé sa marque dans le transistor. Son archaïsme fait sa modernité, son esprit poussiéreux conditionne sa vitalité inépuisée. Le miracle de la longévité de l’émission tient d’abord à sa fidélité envers elle-même, à ses rituels.
Si, à force de célébrer ses anniversaires, l’histoire du Masque et la Plume est désormais documentée, un texte inédit de Jérôme Garcin, Nos dimanches soirs, apporte néanmoins un éclairage, plus intime, sur l’émission. “Je pourrais écrire mon histoire personnelle dans le miroir et le sillage de cette émission qui me ressemble, me prolonge, et d’une certaine manière, me définit”, confesse Garcin, qui commença à participer à l’aventure du Masque à la fin des années 70, avant de prendre la place de Pierre Bouteiller à la présentation en octobre 1989.
Jérôme Garcin livre ses souvenirs sous la forme d’un abécédaire
Rappelant combien il fut paniqué à ses débuts devant “cette réunion publique de beaux parleurs, ce concours d’éloquence, ce mariage de l’Actors Studio et du grand oral de l’ENA, où il fallait inventer son texte, son rôle et le tenir”, Jérôme Garcin mobilise ses souvenirs sous la forme d’un abécédaire.
Au fil des anecdotes sur les coulisses des discussions et les moments saillants au micro, l’auteur dévoile la mécanique rodée de l’émission : même les dérapages occasionnels (les sorties de scène des uns affligés par l’agressivité des autres…) ne sont que le visage enjoué d’un mode d’organisation du débat qui pousse parfois à éructer, persifler, cabotiner, à faire mal.
“Le Masque et la Plume”, un “lieu de mémoire” ?
Garcin confie sur ce point que “la liste serait trop longue, si je tentais de l’établir, de tous les artistes qui, après avoir été d’ardents adeptes de l’émission, m’ont claqué la porte au nez, m’ont menacé de représailles, m’ont exprimé leur hostilité à partir du moment où ils étaient étrillés, fût-ce avec des égards”.
Traversant le temps, renouvelant régulièrement son casting de plumes, captant des générations successives, l’émission posséderait, selon Garcin, les caractéristiques de ce que l’historien Pierre Nora appelle un “lieu de mémoire”, dès lors qu’un pays l’investit de ses affects et de ses émotions.
Jérôme Garcin a en effet pu mesurer combien l’émission restait l’objet d’un investissement particulier, tel que l’illustrent quelques lettres d’auditeurs et messages enthousiastes de présidents de la République comme Hollande ou Chirac, qui ne rataient rien des noms d’oiseau qu’échangeaient dans les années 1960-1970 Jean-Louis Bory et Georges Charensol, deux voix dont l’affrontement légendaire a posé la matrice de l’émission.
Critique et controverses
Si elle est un lieu de mémoire, c’est parce qu’elle abrite ce goût de la controverse, qui n’a cessé, depuis, de se déployer dans d’autres sphères audiovisuelles, jusque dans la manière dont les experts du foot commentent l’actualité de leur spécialité, ou dont la bande de Cyril Hanouna s’écharpe sur la télévision populaire.
Les objets se déplacent, les discours s’étiolent ; reste le dispositif d’une parole qui ne fait écho qu’à travers la confrontation. Pour certains, la place prise par la gaudriole, les bons mots, les numéros de charme et de cirque auraient pris le pas sur la place dévolue à la critique pure.
Si l’atrophie du jugement de valeur, propre à notre époque, affecte le Masque lorsqu’il s’amuse à noyer le commentaire critique dans l’eau du divertissement, Jérôme Garcin rappelle que l’émission ne doit sa fortune qu’à l’enchâssement de l’un dans l’autre.
“N’oublie jamais que Le Masque, c’est d’abord du spectacle”, lui confia en 1989 Georges Charensol. Ce que Claude Chabrol confirma plus tard en avouant en studio : “J’aime quand la plume gratte le masque. J’ai toujours pensé, en vous écoutant, que plus on s’engueule, plus on est près de la vérité.”
Nos dimanches soirs (Grasset-France Inter), 298 pages, 19 €
à écouter Les 60 ans du Masque et la Plume, vendredi 20 novembre toute la journée ; dimanche 22, soirée spéciale de 20 h à 22 h
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