La ministre de la Santé a annoncé que les homosexuels pourront donner leur sang à partir du printemps 2016, mais seulement ceux qui n’ont « pas eu de relation sexuelle avec un autre homme depuis douze mois ». Derrière l’avancée de principe, soutenue par certaines associations, plane une discrimination toujours bien réelle, dénoncée par d’autres.
« C’est la fin d’un tabou et d’une discrimination », annonce fièrement Marisol Touraine. Dans son entretien au Monde daté du 4 novembre 2015, la ministre de la santé révèle qu’elle mettra un terme à l’interdiction pour les homosexuels de donner leur sang, en vigueur en France depuis une circulaire de 1983, réaffirmée par un arrêté du 12 janvier 2009. A partir de 2016, certains hommes auront le droit de se faire piquer le bras en échange d’une collation sucrée… Mais seulement ceux qui n’ont « pas eu de relation sexuelle avec un autre homme depuis douze mois ». Ce n’est que dans un second temps, après avoir réalisé des études et s’il n’y a « pas de risque« , que « les règles qui s’appliquent aux homosexuels seront rapprochées des règles générales l’année qui suit ».
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Contacté par les Inrockuptibles, le ministère explique sa démarche par la voix de son directeur général de la Santé, Benoît Vallet:
« La prévalence (la fréquence d’apparition d’une maladie à l’intérieur d’une population, ndlr) est 70 fois plus élevée chez les hommes ayant des rapports avec des hommes (HSH) que chez les hétérosexuels. Nous sommes tenus de considérer cette différence de prévalence. »
Le ministère se base sur des chiffres de l’Institut de veille sanitaire (InVS), qui devraient être rendus publics « dans les jours qui viennent« . D’après une étude mondiale de l’établissement public français, le virus du VIH serait ainsi présent chez 14% des HSH, contre 0,2% chez les hétérosexuels.
Une promesse de campagne éclipsée
En mars 2012 alors qu’il était en campagne, François Hollande avait pourtant déclaré, en réponse à un questionnaire de l’association SOS Homophobie, qu’il « mettrai[t] fin à l’exclusion du don de sang, parce que chaque prélèvement est contrôlé d’abord, et parce qu’il est dévastateur à tous les niveaux d’accréditer une forme de présomption de séropositivité des hommes homosexuels. » Et d’insister sur le fait qu’il n’y a « pas de ‘population à risques’, mais des ‘pratiques à risques' ».
Aussi, l’annonce de Marisol Touraine dérange. D’abord parce la ministre parle de la « fin d’une discrimination » alors qu’elle oppose, à peine quelques phrases plus loin, les « règles générales » et « les règles qui s’appliquent aux homosexuels« . Par définition, cette différenciation implique qu’il existe des lois différentes en fonction de l’orientation sexuelles des citoyens.
Jean-Luc Roméro, homme politique et militant pour les droits des LGBT (Lesbiennes, Gays, Bi et Trans), constate le maintien d’une discrimination à l’égard des homosexuels, malgré une « avancée de principe notable » :
« Pourquoi un hétéro qui change de partenaire tous les jours et n’utilise pas de capote a-t-il le droit de donner son sang après 4 mois d’abstinence, alors que c’est un an pour les homos? » déclare-t-il aux Inrocks. « S’ils avaient fixé le délai à un an pour tout le monde — même si ce délai me parait fou — on aurait pu être d’accord… Mais là on continue dans une logique de discrimination »
« On baise ? – Pas cette année, j’ai un don du sang. »
En juillet 2014, Steven Kuzan, un jeune homme de 24 ans, lançait une pétition sur le site Change.org dans le but de faire ouvrir le droit du sang aux homosexuels et bisexuels. À la date du 4 novembre 2015, elle avait été signée plus de 178 000 fois. Dans un communiqué diffusé par la plateforme, il se dit déçu par la réponse du ministère:
“Marisol Touraine décide de continuer et de renforcer l’homophobie d’Etat. Un an d’abstinence sans aucune justification médicale et une étude qui va durer 12 mois à partir du printemps prochain. Donc pas de résultats avant printemps 2017… Ce sera les élections non ? C’est une bonne manière de mettre le dossier à la poubelle en faisant croire qu’ils auront fait avancer les choses…”
Certains internautes inspirés y sont également allés de leurs attaques contre l’annonce de la ministre, comme l’a recensé le site de l’Obs :
– On baise ? – Pas cette année, j’ai un don du sang. https://t.co/HRfykKTW7s
— Olivia_blabla (@Olivia_blabla) 4 Novembre 2015
⭐️ Exclu ⭐️ Si t’es homo, voici les conditions à remplir pour faire un #DonDuSang. pic.twitter.com/ldc6u4Sx6d
— Eric Ratiarison (@EricRatiarison) 4 Novembre 2015
Avec humour, le journaliste Olivier Benis a notamment fait un parallèle avec l’absurde logique de Christine Boutin, présidente du Parti chrétien-démocrate, qui avait annoncé lors des débats sur le Mariage pour tous en 2012 que « les homosexuels peuvent se marier, avec une personne d’un autre sexe« .
« Les homos peuvent donner leur sang s’ils n’ont pas baisé depuis un an » is the new « Ils peuvent se marier avec une personne du sexe opposé ». — Olivier Bénis (@OlivierBenis) 4 Novembre 2015
Le soutien de plusieurs associations au gouvernement
Le docteur en médecine Jean-Yves Nau, également journaliste chez Slate.fr, fait toutefois remarquer que plusieurs associations consultées par le ministère pendant l’élaboration de cette nouvelle disposition se sont prononcées en sa faveur : Aides, association IRIS, le CISS, Inter LGBT et l’association française des hémophiles. Quatre ont en revanche « rejeté l’ensemble des scénarios proposés », ajoute le journaliste, « parmi lesquelles la Fédération des donneurs de sang bénévoles, l’Union nationale des associations de donneurs de sang bénévoles de La Poste et d’Orange, Act Up et SOS homophobie) ».
Merci @assoAIDES, @InterLGBT, #CISS et aux autres associations qui soutiennent ce dispositif par étapes que j’ai annoncé pour le #DonDuSang
— Marisol Touraine (@MarisolTouraine) 4 Novembre 2015
Contacté par les Inrocks, le président de AIDES Aurélien Beaucamp explique le soutien de son association:
« Notre priorité est d’éviter à tout prix la contamination des personnes transfusées. Notre démarche résulte d’une longue consultation avec le gouvernement : on sait que la population HSH concentre 40% des contaminations au VIH chaque année. Notre logique est avant tout de sécuriser les dons. Et je rappelle que le don du sang n’est pas un droit, cela reste avant tout un geste bénévole. »
Benoît Valet du ministère de la Santé justifie cet « adoubement » par la volonté du ministère de parvenir « à avoir, à terme, une égalité parfaite entre homosexuels et hétérosexuels » :
« Nous sommes dans un scénario intermédiaire. Il ne satisfait pas tout le monde, mais il permet d’avoir une démarche d’ouverture et de progrès. »
Pourquoi ne pas avoir, alors, directement aligné les délais d’attente pour les homosexuels sur les 4 mois requis pour les hétérosexuels ayant eu des « comportement à risque« ?
« Les personnes qui prennent des décisions dans ce pays doivent endosser une responsabilité ; il ne s’agit pas de prendre des décisions que l’on nous reprochera ensuite », conclut le directeur général de la Santé.
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