Conçue par Ugo Rondinone, l’exposition I Love John Giorno est une déclaration d’art et d’amour.
“Je veux remercier tout le monde pour tout… Merci, merci, merci, merci… Merci de tout prendre à votre profit sans rien donner en retour, merci d’exploiter mon ego énorme et de faire de moi une vedette pour votre profit, merci de ne jamais m’avoir payé, merci pour toutes les saloperies… Je suis heureux que vous m’ayez volé, je suis heureux que vous m’ayez menti, je suis heureux que vous m’ayez aidé, thank you, grazie, merci beaucoup… Merci pour rien…”
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En 2006, pour son 70e anniversaire, John Giorno écrivait et prononçait un long et très beau poème, qui inaugure l’exposition que lui consacre le Palais de Tokyo. Son titre, Thanx 4 Nothing (“Merci pour rien”), apparaît comme un slogan sur les T-shirts des jeunes médiateurs du Palais.
Une poésie sortie du livre
C’est ça, la poésie de Giorno : une œuvre qui depuis les années 1960 est sortie du livre pour gagner d’autres espaces (les murs, la rue, les messageries téléphoniques avec Dial-a-Poem, qui reçut en 1968 plus d’un million d’appels et se trouve réactivé au 0 800 106 106, ou encore les galeries d’art avec la série des Poem Paintings, etc.).
On notera d’ailleurs ce paradoxe renversant : quand le champ littéraire, ses critiques et sa rentrée se trouvent dominés par le roman, quand l’industrie du livre ne fait plus aucun cas de la poésie, voilà qu’un poète majeur se trouve exposé au Palais de Tokyo. Mais pour cela, il aura justement fallu faire bien du chemin au cours du XXe siècle, et émanciper la poésie hors du livre…
D’ailleurs, le poème Thanx 4 Nothing ne se donne pas à lire mais à entendre, en quatre grands écrans et une myriade de téléviseurs. On y voit John Giorno sur scène, en maître de cérémonie, tantôt en costume noir sur fond blanc, tantôt en costume blanc sur fond noir, passant ainsi du positif au négatif, psalmodiant ses remerciements comme un moine tibétain qui aurait tout digéré, les bonnes et les mauvaises actions, sans nostalgie ni amertume :
“Que toutes les drogues que j’ai prises puissent revenir et vous défoncer… Merci de me laisser être un poète.”
Un chef-d’œuvre d’exposition
Cela dit, si cette première salle est déjà un chef-d’œuvre d’exposition, ce n’est pas seulement le fait de John, c’est aussi grâce à Ugo. A savoir Ugo Rondinone, immense artiste, intense amant aussi de John Giorno, qui lui déclare publiquement sa flamme dès le titre de l’expo, et sur tous les murs d’entrée du Palais de Tokyo : I love John Giorno. “Mais ce ‘I’, ce n’est pas seulement moi. C’est tout le monde. Tous ceux qui rencontrent John l’aiment aussitôt. Avec moi, c’est un peu le contraire !” (rires)
Sur ce chemin essentiel qui a consisté à émanciper la poésie hors des espaces trop confinés du livre, ceux qui ont rencontré John Giorno et qui l’ont aimé sont bien nombreux : il y a des poètes bien sûr, le beat hurleur Allen Ginsberg, l’acide William S. Burroughs, l’hallucinogène Brion Gysin ou le poète sonore Bernard Heidsieck (“Il était mon ami depuis les années 1970, quand je venais à Paris je venais forcément chez lui, et lui chez moi à New York”), sans doute le poète français le plus important de la seconde moitié du XXe siècle, décédé il y a un an et auquel la Villa Arson de Nice avait déjà consacré, de son vivant, une exposition sonore.
John Giorno joue un dormeur pour Andy Warhol
Il y a des artistes aussi : artistes-amants comme Robert Rauschenberg, Jasper Johns, et aujourd’hui Ugo, artistes-amis comme Jean-Jacques Lebel, artistes-sphinx comme Andy Warhol, qui lui fit jouer le rôle du dormeur dans le long film Sleep en 1963 (“ça a été un tournage facile. J’adorais dormir. Andy tournait trois heures environ, jusqu’au lever du soleil à cinq heures du matin”, confie-t-il dans le précieux petit journal qui accompagne l’exposition).
Et si je n’oublie pas dans la liste de citer la styliste et collectionneuse Agnès b. qui l’a souvent exposé en France, mentionnons enfin les nombreux artistes contemporains convoqués à leur tour dans l’exposition, de Pierre Huyghe, qui fit un remake du film Sleep de Warhol, à la peintre Judith Eisler aux tableaux très beaux et très sombres.
“Le sujet de l’exposition, c’est John, commente Ugo Rondinone. Mais je considère aussi cette exposition comme une de mes œuvres à part entière, comme une œuvre totale. Et puis, c’est aussi une exposition collective car John Giorno a toujours créé dans la collaboration, avec une grande ouverture vers les autres.” Ugo, John et les autres : merci pour tout.
Love, Jmx
Ugo Rondinone : I Love John Giorno jusqu’au 10 janvier au Palais de Tokyo, Paris XVIe, palaisdetokyo.com
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