Une vidéo dans laquelle une policière relève une battle de danse contre une ado est devenue virale la semaine dernière, jusqu’à être retweetée par Obama. Il faut dire qu’il ne s’agissait pas de modern-jazz ni de lambada mais de « Nae Nae ». Explications.
‘Lundi 26 octobre, dans une rue de Washington, une policière demande à une bande d’ado en train de se quereller de se disperser. En guise de réponse, Aaliyah Taylor, 17 ans, lance Watch Me (Whip/Nae Nae) sur son téléphone et entame une choré endiablée. L’histoire aurait pu s’arrêter là, à cette rebelle décidant de tenir tête à l’autorité par le biais d’une danse. C’était sans compter la personnalité un poil originale de la policière qui, au lieu de lui passer un savon ou les menottes, a préféré relever le défi de la battle de danse en pleine rue. La scène a bien entendu été filmée au smartphone et postée sur les réseaux sociaux.
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https://www.youtube.com/watch?v=ip1wlFLDFQs
Le deal avait été établi au préalable : si l’ado gagnait la battle, son groupe pouvait rester dans la rue. Dans le cas contraire, ils devraient rentrer chez eux. « Au lieu de nous laisser nous battre, elle a décidé de renverser les choses et d’en faire quelque chose de fun, a déclaré Aaliyah Taylor au Washington Post quelques heures plus tard. Je n’ai jamais pensé que les flics pouvaient être aussi cools. Il y en a des bons. » La policière en question a préféré garder l’anonymat, arguant du fait que ce genre de choses « arrivent tous les jours » et qu’elle trouvait « gênant que cela prenne de telles proportions. »
Car en l’espace de quelques heures, la vidéo est devenue virale, jusqu’à être retweetée par Barack Obama : « Qui savait que la police de proximité pouvait inclure le Nae Nae ? Bel exemple d’une police sachant s’amuser tout en assurant la sécurité. »
La viralité de la vidéo s’explique par le fait qu’elle immortalise un moment de complicité entre une ado noire et une représentante des forces de l’ordre blanche au moment où la majorité des vidéos affleurant à la surface du Web et impliquant une personne noire et un(e) policier(e) blanc(he) sont synonymes de violence et d’injustice.
Mais derrière son message politique, c’est la chorégraphie en elle-même qui a fasciné les foules. On y retrouve le stanky leg popularisé par les GS Boyz, mais aussi de multiples références au dance-hall, au hip-hop, voire à Gangnam Style. Loin d’être née dans l’esprit de deux génies de la battle comme on aurait pu le croire, cette choré repose sur un socle bien précis, qui porte même un nom : le Nae Nae.
D’où sort le Nae Nae ?
Si Aaliyah Taylor a enclenché le morceau Watch Me (Whip/Nae Nae) sur son smartphone, c’est tout simplement parce que depuis sa sortie en juin dernier il fait un carton auprès des ados américains. Interprété par Silento, un gamin de 17 ans originaire d’Atlanta, il s’inspire ouvertement de deux tubes : Whip My Hair de Willow Smith, et Drop That Nae Nae de We Are Toonz. Car, si Silento livre dans le clip sa propre version du Nae Nae, ce sont les cinq mecs de We Are Toonz qui ont inventé la choré, dont le mouvement principal consiste à balayer l’air d’un bras tout en bougeant son bassin, les genoux pliés.
En octobre 2013, ils postent sur Youtube une première vidéo récapitulant les pas de danse du Nae Nae, qu’ils disent avoir mis au point dans leur cave :
Ni une ni deux, les gamins américains s’en emparent. Twitter, Facebook, Vine, Instagram se retrouvent inondés de vidéos de kids en train de danser le Nae Nae au son d’un morceau de rap, souvent le Stoner de Young Thug. En janvier 2014, We Are Toonz a la grande idée de composer son propre morceau pour accompagner sa choré, et, surtout, de glisser un hashtag dans son titre : « Drop that #NaeNae ».
http://www.youtube.com/watch?time_continue=232&v=BBi8dlTHPng
Taillé pour la viralité, le tube n’échappe pas à son destin : il se retrouve posté à tour de bras par les utilisateurs principaux des réseaux sociaux, à savoir les (pré-)adolescents, qui font explosé le hashtag. « Les enfants et les ados ne peuvent pas se concentrer longtemps, or un Vine dure six secondes, ce qui est très rapide. C’est donc plus facile de promouvoir une vidéo sur Vine que sur Youtube, où vous devez taper le nom complet de ce que recherchez et regarder toute la vidéo qui dure souvent entre deux et cinq minutes » analyse CalLamar, l’un des membres du groupe, » les célébrités ont des enfants aussi, qui sont sur Vine et qui regardent des vidéos, qu’ils montrent ensuite à leurs parents. A peine le temps de dire ouf, et ces stars se filment en train d’exécuter la danse« . Et c’est effectivement ce qu’il se passe. En février 2014, le joueur de basket John Wall des Wizards de Washington célèbre un dunk en dansant le Nae Nae, suivi par deux de ses coéquipiers.
Car le Nae Nae est depuis le départ une danse de la célébration, de la victoire, de la bonne humeur. Elle est donc largement reprise dans le milieu sportif. En mars 2014, un autre joueur de basket, Kevin Canivari, prouve qu’il maitrise parfaitement le mouvement après la victoire de son équipe, Mercer, contre Duke :
Le Nae Nae déborde bien vite le cadre du basketball pour contaminer la pop culture. L’une de ses grandes représentantes, Miley Cyrus, démontre que la danse est devenue culte en l’exécutant au cours d’un concert en avril 2014 :
Un mois plus tôt, c’est J-Lo qui glissait le fameux mouvement du Nae Nae dans son clip I Luh Ya Papi :
Et vous voyez ce pas de danse que Beyoncé fait sur la plage dans Drunk in Love et que vous cherchez maladroitement à reproduire en soirée après vous être enfilé quatre gins-tonic ? Il s’agit tout bonnement du Nae Nae.
Aux Etats-Unis, politique et industrie culturelle faisant bon ménage, c’est Hillary Clinton qui, avant le retweet d’Obama, tente d’apprendre la choré sur le plateau d’Elen DeGeneres en septembre dernier :
Vous avez dit « ratchet » ?
We Are Toonz n’a pas chopé son pas de danse en classe ni en cours de gym, mais en visionnant Martin, une sitcom nineties dont le personnage principal est une sorte de pétasse afro-américaine interprétée par l’acteur masculin Martin Lawrence. « C’est basé sur une fille ratchet dansant dans un club de façon marrante, et le personnage qui représente le mieux ce type de fille c’est Sheneneh de Martin » raconte CalLamar à Billboard.
Derrière la chorée du Nae Nae se dessine donc une autre esthétique : celle du « ratchet ». Au départ très péjorative, l’expression « ratchet girls » désigne des femmes noires sur-maquillées, sur-apprêtées, perchées sur d’immenses talons et moulées dans de mini-robes, s’éclatant le samedi soir en club entre copines en parlant très fort, et en dansant de façon très suggestive. Bref, un bon condensé de stéréotypes flirtant avec le sexisme et le racisme. Cette esthétique a été popularisée en se faisant parodiée, notamment par le duo Emmanuel et Philip Houston, qui se sont mis en scène dans plusieurs vidéos déguisés en « ratchet girls », avant de créer un morceau de hip-hop parodique baptisé Ratchet Girl Anthem.
http://www.youtube.com/watch?v=V3Da2_NnMaU
« Le ratchet est un manque de savoir-vivre, c’est se comporter en public comme si on était chez-soi. Mettre une perruque au micro-onde pour la faire friser, ça, c’est ratchet » a expliqué Philip Houston à The Cut.
Pour revenir au Nae Nae, il serait donc, à l’origine, une tentative de parodie de la façon dont les filles « ratchet » dansent. Mais, si certains y voient une lecture réductrice voire affligeante de la culture afro-américaine, d’autres soulignent le fait que nombre de rappeurs utilisent le terme « ratchet » en guise de synonyme de « ghetto », histoire de s’acheter une street cred’. « Ce n’est pas nécessairement négatif, a assuré le producteur de Lava House Records, un label du Dirty South à The Cut, vous pouvez dire « Je suis ratchet » pour dire « je suis vrai, je suis ghetto, je suis ce que je suis ». ça peut être léger, aussi. »
Et, en effet, les racines du mot « ratchet » seraient à chercher du côté du quartier populaire et majoritairement afro-américain de Cedar Grove, à Shreveport (Louisiane). C’est là qu’aurait émergé ce terme argotique, déformation de « wretched », qui signifie être pitoyable, être malheureux. Le premier à le propulser dans le rap serait Anthony Mandigo, un rappeur du coin, qui en 1999 sort Do The Ratchet.
Dix ans plus tard, à la fois parodiée et synonyme de « ghetto », le « ratchet » conquiert le coeur des pop stars, de Beyoncé à Lady Gaga en passant par Miley Cyrus. Toutes s’approprient les accessoires typiques de cette culture : gros colliers et boucles en or, de préférence formant les lettres de votre prénom, faux ongles vernis, crop top, etc. Le mot lui-même est devenu synonyme de coolitude absolue. Ainsi, Shamir, kid de Las Végas à la voix aigüe, a baptisé son premier album « Ratchet ». Interrogé par The Cut, Patrick Sandberg, rédacteur en chef à V, analyse :
« Tous les contenus qui se retrouvent dans un morceau de Beyoncé ou Lady Gaga, vous pouvez parier qu’ils ont au préalable touché un vaste public gay. Si vous regardez ce à quoi se réfère ce terme, vous découvrirez qu’il s’agit de ce qu’adorent certains mecs gay : un look complètement fou. »
Dès lors, le ratchet serait une drôle de culture reliant les bas-fonds de Louisiane, la pratique du travestissement, la street cred’, une vision clichée des Afro-américaines, des pop stars et beaucoup de gamins américains, tous milieux confondus :
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