Depuis quelques années, le Porn Film Festival de Berlin s’attache à défendre des œuvres féministes et subversives, bras d’honneur au porno mainstream centré sur le regard et le plaisir masculin. Près de la moitié des films présentés lors de la dixième édition du festival ont été réalisés par des femmes. Nous avons croisé entre deux projections quelques unes de ces réalisatrices qui renouvellent le genre avec gourmandise et insolence.
« J’ai eu envie de faire des films surtout pour des raisons politiques et féministes », glisse Émilie Jouvet tandis qu’elle allume une cigarette sur le trottoir glacial du Moviemento, le petit cinéma berlinois qui accueille chaque année au mois d’octobre le Porn Film Festival. « Ce n’est pas forcément l’acte sexuel en lui-même qui m’intéressait mais le fait que la sexualité et sa représentation étaient un terrain occupé plutôt par des hommes hétérosexuels. En tant que femme, en tant que lesbienne ou bi, je ne me retrouvais pas du tout là-dedans. C’était donc plutôt un acte d’empowerment. J’avais envie de tourner mes propres images, de ne pas prendre des actrices de porn classiques mais des personnes lambda et de leur demander ce qu’elles avaient envie de montrer à l’écran, de quelle façon elles voulaient être représentées. » Les femmes aux corps siliconés, hululantes à la vue d’un pénis surdimensionné, très peu pour elle.
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Après un cursus aux Beaux Arts qui laissait peu de place à son désir d’explorer la sexualité féminine – ses photographies intimistes ont même une fois été décrochées, au motif qu’elles étaient « pornographiques » – cette artiste française de 39 ans s’est mise à tourner ses propres films au début des années 2000. Émilie Jouvet s’est notamment faite connaître en 2010 avec son road-movie Too Much Pussy ! – un docu dans lequel elle accompagne une troupe d’artistes performeuses en tournée à travers l’Europe –, qui a remporté une flopée de distinctions. L’année suivante, elle rempile avec Much More Pussy !, la version porno du docu, qui compile les innombrables aventures sexuelles des performeuses qui ont jalonné la tournée. Invitée d’honneur du Porn Film Festival de Berlin cette année, au côté d’une autre réalisatrice française, Catherine Corringer, Émilie Jouvet est venue présenter des extraits de ses productions passées et à venir et en discuter avec le public.
https://www.youtube.com/watch?v=mFTHCZGK0fc
« Make better porn »
Comme beaucoup des réalisatrices dont les films sont programmés au festival, elle se réclame du mouvement féministe sex-positif, dont l’une des pionnières est la militante et réalisatrice américaine Annie Sprinkle, qui a fait de l’humour et d’une fantaisie sans bornes ses meilleures armes pour dézinguer les codes de la pornographie mainstream. Force est de constater aujourd’hui qu’avec sa célèbre profession de foi, « the answer to bad porn isn’t no porn, but to make better porn », Sprinkle a fait école.
« Il y a de plus en plus de femmes qui font des films, qui passent de devant à derrière la caméra, qui ont leur mot à dire et n’ont pas à se faire dire par les hommes ce qu’elles ont à faire, mais qui sont elles-mêmes le boss et qui gagnent aussi de l’argent avec », explique Manuela Kay, curatrice du festival et elle-même réalisatrice du premier porno lesbien allemand, Airport, tourné à Berlin en 1994.
Même si faire des films d’autrice dans lesquels le sexe occupe une place centrale permet aujourd’hui rarement aux réalisatrices qui se lancent dans ce genre d’en vivre, la question du financement n’en est pas moins centrale. Émilie Jouvet a ainsi réussi à financer son prochain documentaire, My body, my rules, en faisant à la fois appel au crowdfunding et au soutien de Jürgen Brüning, un des fondateurs du Porn Film Festival de Berlin : « J’aime contrôler ce que je fais, avoir un droit de regard le plus possible, donc je fais souvent des co-prod, en produisant moi-même et en prenant des producteurs qui participent à un petit niveau, car j’ai envie de garder toute liberté« , explique Émilie Jouvet.
« Une sexualité non-phallique »
La réalisatrice française Catherine Corringer se met elle-même en scène dans des performances filmées avec des partenaires bénévoles autour desquels naissent les projets et les fantasmes qu’elle met en scène. Avant de passer derrière la caméra, elle a été comédienne dans une première vie. Initiée au SM à l’âge de 40 ans par deux sommités du milieu parisien que sont Jeanne de Berg et Maîtresse Cathy, Catherine Corringer a trouvé dans cet univers un matériau de création et de recherche inextinguible : « Ces deux femmes m’ont initiée à un monde que je ne connaissais absolument pas. Ça a été vertigineux pour moi et à la suite de ça, j’ai décidé de faire un premier film. Comme si cette expérience du corps, de la sexualité et d’une certaine forme de liberté ne pouvait pas se transmettre au théâtre mais au cinéma, avec mon propre corps et mon propre vécu », explique-t-elle.
Même si elle ne reconnaît pas dans la sexualité joyeuse représentée par les réalisatrices sex-positives, elle se considère comme « profondément féministe » :
« Je pense que le SM m’a intéressée parce que c’est globalement une sexualité non-phallique. J’exclue bien sûr le monde des dominateurs la bite en avant, qui pour moi est insupportable parce qu’il appuie justement sur une domination féminine évidente. Quelque part je milite pour un monde moins phallique, ce qui est tout à fait visible dans Smooth, c’est-à-dire qu’il ne s’agit pas de couper la bite des mecs mais il s’agit parfois de la nouer pour qu’ils puissent [souriante] un peu explorer d’autres façons de voir leur corps. »
Cette sexualité mainstream phallo-centrée, la jeune réalisatrice allemande Francy Fabritz, a choisi de s’en moquer dans son court-métrage Coming Home, qui met en scène un couple de lesbiennes qui envoie valser les rôles genrés de l’hétérosexualité à grands coups de godes-ceintures, avec l’envie de montrer que les hommes n’ont pas le monopole de la pénétration : « Il n’y a presque pas de porno lesbien où les actrices baisent vraiment. C’est soft, sensuel, je n’ai rien contre mais nous avons aussi l’air de ça quand nous baisons. » Camerawoman de formation, elle dénonce « un milieu du cinéma toujours très masculin, ce qui est lié au fait que cela a à voir avec l’argent et la technique, deux domaines dominés par les hommes ». Séduite un temps par la théorie queer, elle revendique aujourd’hui son identité lesbienne : « Queer, c’est la nouvelle hétérosexualité. Même les hétéro s’en réclament et cela nous rend à nouveau invisibles en tant que lesbiennes, parce que ce n’est pas branché d’être lesbienne. C’est ma mission de réalisatrice de rendre les lesbiennes plus visibles. »
Fraîchement installée à Berlin, la réalisatrice australienne Morgana Muses, présentait entre autres son court-métrage Having my cake dans la section « Femancy Porn », un rendez-vous coquin dans une chambre d’hôtel parisienne rose bonbon où les macarons Ladurée et les pâtisseries de chez Angelina ont la vedette. Cette quinqua qui a réalisé après 20 ans de mariage qu’elle était en train de gâcher sa vie et qui dit vivre désormais sa « teenage rebellion » se rue avec délices dans la mise en scène de ses désirs les plus azimutés : « l’humour occupe une grande place dans ma vie, et j’ai réalisé que le sexe n’a pas à être sérieux, il peut aussi contenir une dose d’humour. J’aime montrer que j’ai 50 ans, que j’aime manger des pâtisseries, que je n’ai pas le corps d’un top model, mais que je passe un bon moment et que j’aime rire. »
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