Mal élevés du côté des Ramones ou des B-52’s, les jeunes cancres écossais de Bis remettent au goût du jour les sucreries acides introuvables depuis les beaux jours de la noisy-pop. Gourmands, Manda Rin, Sci-Fi Steven et John Disco ont gavé leur premier album, New transistor heroes, de ces fougueuses guitares adolescentes, de ces manifestes […]
Mal élevés du côté des Ramones ou des B-52’s, les jeunes cancres écossais de Bis remettent au goût du jour les sucreries acides introuvables depuis les beaux jours de la noisy-pop. Gourmands, Manda Rin, Sci-Fi Steven et John Disco ont gavé leur premier album, New transistor heroes, de ces fougueuses guitares adolescentes, de ces manifestes d’extrême gaucherie. Et ont inventé la Teen C. nation qui, comme les fraises Tagada, n’est pas pour les papas.
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Depuis des années, ils nous observent. Ils sont déjà là, partout : derrière nos crèches, nos écoles et jusque dans nos maisons. Aujourd’hui, ils ont décidé d’agir et ils ne nous veulent pas que du bien. « Nous avons écrit Sweet shop avengerz en réaction aux critiques qui, depuis la sortie de notre single Kandy pop, n’envisagent plus la musique de Bis que sous cet aspect de pop sucrée un peu futile, qui nous considèrent souvent comme des gens naïfs, voire débiles. Dans la chanson, il est question de ces enfants qui se déguisent pour aller terroriser les adultes qui les ont privés de sucreries. Ce n’est qu’une façon d’exprimer ce que nous ressentons, mais personne n’a jamais vraiment cherché à savoir qui nous étions… » Imaginez qu’un épais flot de mélasse ou de sirop d’érable ait pris la place de la sévère Tamise. Imaginez Big Ben et la Maison du Parlement assaillis par de gigantesques sangsues marshmallows, pendant que d’énormes créatures de glucose multicolore dévastent la City. Bienvenue dans un monde meilleur pour le moral que pour les dents. Bienvenue dans la Bis dimension : celle des films d’épouvante Hammer, des eighties à peine pubères du Breakfast club et du Ferris Bueller’s day off de John Hugues, des antédiluviens Marvel comics (ou plutôt de leur dernier rechapage, nettement plus tendance, les mangas japonais), des fraises Tagada et des aventures toujours plus emballées qu’emballantes de ce gros malin de Malabar. Un univers parallèle, sorte de négatif rose bonbon de notre réalité, dans lequel se trouve inexplicablement plongée l’Angleterre à chaque passage radio du groupe. Une contrée de deux minutes trente où le port de la barrette en plastique fleurie modèle marguerite ou papillon devient plus chic que le plus rare des visons, où le sourire démoli à grands coups de barre chocolatée se porte plus ostensiblement que la Légion d’honneur chez les artistes de variétés français et les cicatrices de guerre chez les réformés.
Pas étonnant que l’atterrissage de Bis, trio mixte originaire de Glasgow, sur le plateau de l’émission Top of The Pops un soir d’automne 1996 ait blanchi plus d’un scalp chez les clones tristes de la provoc’ permanentée et autres tricards de la rockitude insurrectionnelle. Car au-delà de la dînette, désuète mais reconnaissable entre mille, qui tintinnabule aux basques de ce tout jeune ménage à trois (à peine 20 ans de moyenne d’âge), le moindre des mérites que l’on se doit de reconnaître à Bis est bien cette fabuleuse propension à énerver. A démanger, plutôt, comme un bouton d’acné poussé sur le front d’un rock anglais qui, de luttes fratricides en parricides avortés, commençait à franchement piquer du nez sur ses propres livres d’histoire à la recherche d’une identité, d’un combat à réinventer. Ce sera donc celui des New transistor heroes, capables, d’un coup de pisto-laser vert fluo, de fondre dans le creuset du manifeste adolescent tout ce que le rock (de leurs aînés les plus évidents, X-Ray Spex et Rezillos, aux loafers à damier des Specials, en passant par les choucroutes en pure viscose des B-52’s, par Magazine, Blondie ou encore XTC) a pu enfanter comme géniales loufoqueries ces vingt dernières années. Résolus à user et abuser de leurs petits pouvoirs spéciaux pour faire de la bande hertzienne la voie qui mènera à la victoire de la Teen C. nation sur le corporatisme sclérosant et la tyrannie institutionnalisée de l’économie mondiale. A cœur vaillant, rien d’impossible… « Signer sur un label indépendant n’était pas un but en soi. Nous voulions seulement pouvoir garder un contrôle artistique total sur ce que nous faisons. Tant de jeunes groupes sont tellement pressés de signer leur premier contrat, comme récemment Dweeb ou Kenickie, qu’ils risquent de se retrouver tenus à des obligations incroyables : aucun droit de regard sur le choix des singles, des pochettes ou des producteurs ! Pendant plus de deux ans, Bis a fonctionné comme une véritable PME, avec tous les gens qui s’étaient impliqués dès le début dans le groupe. Pour la sortie de l’album, nous avons choisi Wiiija : nous décidons quelles chansons doivent sortir ou pas et c’est même Manda qui dessine toutes nos pochettes ! A mon avis, le fait que Bis dérange, notamment en ce qui concerne notre volonté d’indépendance, est tout à fait symptomatique d’une société qui a toujours entretenu le malaise adolescent pour garder le contrôle sur toute cette frange de la population. Par exemple, pour nous tenir à l’écart d’un petit cercle d’artistes dits « sérieux », la presse s’est très vite focalisée sur le côté enfantin de certains accessoires, comme mes barrettes à cheveux, alors que c’est juste un truc à la mode en ce moment ! Et que je sache, la révolution n’a jamais été une affaire de boucles d’oreilles ! C’est vrai que nous avons beaucoup insisté sur ce que nous avons appelé la Teen C. nation, mais c’est avant tout un état d’esprit que nous cherchons à communiquer, un enthousiasme et une insouciance que nous essayons de faire partager. Nous aimerions faire comprendre qu’il peut être très constructif d’être adolescent, que la musique est avant tout une question de volonté et d’action, alors que tant de jeunes s’enferment dans la timidité ou même la drogue. Mais nous n’avons jamais cherché à imposer quoi que ce soit, à aliéner une partie de la population pour laquelle la musique de Bis peut être un véritable exutoire. »
Première manche remportée aux points par Manda Rin, Sci-Fi Steven et son frère cadet, John Disco, champions toutes catégories du dérapage musculaire facial et de l’invective de préau, à côté desquels les trois agités du poêlon de Supergrass leurs presque conscrits peuvent bien aller secouer des cocotiers à Bornéo : devant l’effarant flot d’hormones braillardes qui pulse la vie dans tous les circuits de New transistor heroes, rien n’empêchera plus I should coco de glisser vers le rayon des souvenirs. Mais on aurait tort de croire que Bis ne carbure qu’aux sucres rapides et à la poudre de perlimpinpin. Car derrière les velléités rédemptrices et l’inattaquable éthique « faites-le-vous-même » du punk de fête foraine de New transistor heroes se profile un tout autre disque : un miroir honteusement déformant tendu vers les années 80 au milieu desquelles le trio a grandi, où s’impriment en filigrane les dernières volontés d’une enfance qui a appris à ne plus compter sur le monde des adultes pour s’aménager un devenir. Manda : « Paradoxalement, c’est après avoir vu Madonna à la télé, et plus récemment Kenickie ou Huggy Bear, que je me suis dit qu’on n’avait plus besoin d’être squelettique pour oser se montrer, qu’il me serait peut-être enfin possible de monter sur scène et de chanter. Ces filles n’étaient au départ pas des prix de beauté, mais elles avaient à mes yeux quelque chose de plus : elles avaient réussi à s’imposer. J’ai très vite compris que Bis m’offrirait une chance de soigner ma timidité maladive. Ce ne sont pas les sucreries, mais des gens comme Pamela Anderson qui représentent un véritable fléau pour les jeunes filles de ce pays. Je suis convaincue qu’énormément d’adolescentes souffrent d’anorexie à cause d’elle. C’est une des raisons pour lesquelles je tiens tant au succès du groupe : j’aimerais vraiment devenir un modèle pour les adolescentes. Combien de pop-stars connais-tu qui ont quelques kilos en trop ? Il n’y en a pas tant que ça, alors que c’est à cela que ressemblent la plupart des adolescents. J’en suis la preuve vivante ! J’aimerais pouvoir faire comprendre à toutes ces gamines timides qui pensent qu’elles ne sont pas assez belles pour faire partie d’un groupe que les vrais problèmes ne sont plus là. Et si je peux encourager des filles comme moi à gagner un peu de confiance en elles, j’aurais au moins fait quelque chose de bien dans ma vie. »
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