Gigantesque, très haute de plafond, la Grande Halle de La Villette qu’investissait le Pitchfork Festival du 29 au 31 octobre, est loin d’être la salle de concert idéale. Fort heureusement, le soin apporté à la scénographie par le festival a largement contribué à compenser les problèmes de sonorisation. Trois soirs de concert, vingt-six groupes, six stands de bouffe, des pintes de bières à 7 euros, un Kurt Vile dans le public et une bonne centaine de costumes d’Halloweens : on fait le bilan sous forme de classement, calmement.
1- Le toujours aussi doué Laurent Garnier
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Revenait à l’un des pères de la techno française la lourde tâche de clôturer le festival dans le cadre d’une soirée en partenariat avec la Redbull Music Academy, et donc de faire danser près de 8500 personnes (la jauge du Pitchfort chaque soir) passablement ivres et pour certaines affublées de capes de vampire ou de masques de zombies parce que bon, halloween oblige. Il est plus de 3h du mat’ lorsqu’il débarque sur scène, mettant un terme à l’interminable b2b de John Talabot et Roman Flügel, trop décousu pour être accrocheur. Il est 3h du mat’ et nos jambes sont lasses. Mais le nom, mythique, de Laurent Garnier, nous décide à tenir quelques minutes de plus, et l’on ne remerciera jamais assez Dieu/l’Univers/le hasard/ la vie de nous avoir poussé à prendre cette très bonne décision : son set est, de loin, le meilleur moment du festival. On y trouve tout ce qu’on aurait pu rêver d’y trouver : une montée en puissance parfaitement maitrisée, alternant violentes fulgurances et joyeusetés house, beats bourrés de sueur et instants suspendus. Bref, de la techno intemporelle, reliant Manchester à Paris, Détroit à Berlin.
2- La furie de Ratatat
Avec Unknown Mortal Orchestra et Deerhunter, Ratatat fait partie des groupes qui ont radicalement divisé le public ce week-end, les uns parlant de « ratatat-ouille »; les autres – c’est-à-dire nous – s’extasiant avec des trémolos dans la voix sur leur prestation ultra-visuelle. Si certains ont donc vu dans les solos de guitare de Mike Stroud et Evan Mast une démonstration hyper ringarde de guitar hero, nous leur avons trouvés une certaine ressemblance avec les envolées des Strokes période Angles. Simple coïncidence ou non : les deux zinzins aux cheveux mi-longs sont de New-York. Sur scène, ils font face au public, les mains plaquées sur les guitares, les têtes légèrement baissées, tous deux vêtus de grands t-shirts. Leurs riffs grandiloquents, toujours à la limite de ce que l’on pourrait qualifier de « bon goût », semblent déclencher les images animées qui encadrent la scène et confèrent au concert une dimension de gigantisme, de grandiose. Sur la géniale Wild Cat, des têtes de lion s’agitent en arrière-plan, parfaite transcription visuelle des miaulements sauvages du refrain. De temps à autres, des lasers traversent la scène et le public pour s’éclater sur la grosse boule suspendue au milieu de la salle et y dessiner d’étranges arabesques. On frôle la performance numérique. Et c’est tant mieux.
Ratatat au Pitchfork Festival 2015
3- Spiritualized et son élégie rock
Jason Pierce nous décevra-t-il un jour ? En 2012, son concert à La Route du Rock nous laissait transi(e)s d’amour, de même qu’en septembre dernier au Liverpool Psych Fest. Suivant l’adage « jamais deux sans trois », sa prestation samedi soir au Pitchfork était plus qu’à la hauteur de sa réputation de génie. Si Pierce est du genre statique et taiseux, ne bougeant pas du coin droit de la scène dans lequel il s’est glissé, sa guitare en main, ses lunettes noires sur les yeux, il n’en parvient pas moins à recréer la poésie symphonique de ses albums, et en particulier de son dernier – et très beau – Sweet Heart Sweet Light (2012). Chez l’ex-Spacemen 3, le rock fusionne avec le gospel et la distorsion, la pop et l’harmonie pour former une élégie d’une beauté sidérante. Ici le texte est aussi important que les mélodies qui le subliment. Il suffit pour s’en convaincre de citer les premières lignes de Little Girl, qui, dans la bouche d’un tel rescapé (prononcé deux fois cliniquement mort) prend une puissance supplémentaire : « Sometimes i wish that i was dead, cause only the living can feel the pain/ sometimes i wish that i could fly, you get so grounded that life will pass you by. »
4- Le math-rock déroutant de Battles
A l’image de Ratatat, Battles fait partie de ces groupes purement instrumentaux dont les lives se rapprochent plus du sachet de MDMA que de la boite de somnifères. On rentre dans le concert comme on plongerait dans une piscine privée chauffée à 28° : avec une aisance bienvenue. Pourtant, rien n’est rond, ni souple, ni lisse chez ce trio américain : tout n’y est que paradoxe. Anguleux, tordu, piquant, touffu, solaire, grinçant, leur math-rock donne à voir une jungle en technicolor peuplée de drôles d’animaux aux pelages colorés, une sorte de pub Sironimo pour adultes, version destroy et azimutée. A l’image de cette cymbale très haut perchée, que le batteur atteint avec peine et plaisir, comme pour bien marquer le côté performance de leur show.
Battles au Pitchfork Festival 2015
5- Le clubbing house de Four Tet
En dressant ce classement, on s’est vite aperçu que l’on retenait principalement des artistes électro ou des groupes instrumentaux. La raison est certainement à chercher du côté du gigantisme de la Grande Halle de La Villette, que le clubbing habille bien mieux que la pop éthérée. Ainsi du Londonien Kieran Hebden, aka Four Tet, dont les albums constituent la b.o idéale de nos week-ends de fêtes – et peuvent, accessoirement, aider à ouvrir les yeux le lundi matin. Four Tet et son électro qui vogue avec grâce entre la minimale et le mainstream, l’expérimentation et le clubbing, tout en roulant des pelles à la house, dans la plus pure tradition de la nuit londonienne. Sur l’échelle de la tentation, son set se situerait à 10 : il est physiquement impossible de lui résister. Four Tet parle aux corps et invite la raison à s’effacer. Mais, à la différence d’un Hudson Mohawke, dont le concert, bien qu’efficace, s’est révélé d’une facilité déconcertante, celui de Four Tet, embrasse la difficulté, la complexité, l’inattendu.
6- Thom Yorke fait du très bon Thom Yorke
On attendait le concert de Thom Yorke – qui remplaçait BjÖrk, désireuse de ne plus jouer son dernier album- avec un mélange de curiosité et d’appréhension, avec la peur d’être déçue, ou profondément mal à l’aise face à un artiste qui avait de grande chance de se prendre les pieds dans le tapis de sa propre musique.
Si ses mouvements de danse en avaient décontenancé plus d’un au moment de la sortie du clip de Lotus Flower, ils s’avèrent absolument jouissif en live. Coiffé d’un bun (mais pourquoi donc ?!), tout de noir vêtu, Thom Yorke évolue sur une scène baignée d’une lumière orange, au rythme de beats électroniques concoctés en collaboration avec son complice de toujours, le génial producteur-arrangeur-bidouilleur Nigel Godrich, qui se tient d’ailleurs à ses côtés. Non loin, l’artiste Tarik Barri est chargé de faire dialoguer les vidéos projetées sur les trois écrans avec les mélodies électroniques du Tomorrow’s Modern Boxes, l’échappée solo du chanteur de Radiohead.
Toujours présente, mais en arrière-plan, en toile de fond, la mélancolie qui semble être devenu un synonyme, un alter ego de Thom Yorke, laisse place à sa transe épileptique.
7- Beach house et la nuit étoilée
Beach house fait partie de ces groupes en passe de devenir des caricatures d’eux-mêmes. Ce qui n’enlève étrangement rien à l’émotion que procurent leurs morceaux douloureusement mélancoliques. Ici, leur pop cotonneuse et d’une noirceur gothique s’épanouit dans le bel écrin que lui a réservé le festival : sur un fond étoilé se découpent les silhouettes, rendues terriblement fragiles, d’Alex Scally et Victoria Legrand. Dit comme ça, ça parait très banal mais c’est en réalité magnifique.
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