John Fogerty, légende aux apparitions rares, fouille dans les souvenirs de ses Creedence Clearwater Revival : des lambeaux desséchés de grandeur. Au paradis hippie, Creedence Clearwater a toujours fait tache. Prolos d’El Cerrito, banlieue délabrée de San Francisco, objets de condescendance pour les fils à papa de Berkeley, John Fogerty et ses acolytes transpirèrent dix […]
John Fogerty, légende aux apparitions rares, fouille dans les souvenirs de ses Creedence Clearwater Revival : des lambeaux desséchés de grandeur.
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Au paradis hippie, Creedence Clearwater a toujours fait tache. Prolos d’El Cerrito, banlieue délabrée de San Francisco, objets de condescendance pour les fils à papa de Berkeley, John Fogerty et ses acolytes transpirèrent dix ans durant dans tous les bals, de Sacramento à San Jose. Leur (inique) premier contrat d’enregistrement, ils l’obtiennent par hasard, parce qu’ils bossent à l’occasion dans les entrepôts d’un label de jazz, Fantasy. Vilain canard plébéien perdu parmi les cygnes snobinards et fleuris, John Fogerty a la tête ailleurs. Comme plus tard Nick Cave, les Cramps ou le Gun Club, il succombe aux envoûtants mystères du Sud. Il a pour idole un camionneur au hoquet sensuel, Elvis Presley, un ineffable hurleur permanenté, Little Richard, un saltimbanque banni des ondes pour incitation au cannibalisme, Screamin’ Jay Hawkins. Prolifique (cinq albums explosifs en 1969 et 1970) et colérique, Creedence part en croisade autant qu’un retour au son du rockabilly, le mot revival, terme cher aux évangélistes de la Bible Belt, évoque le réveil de la foi. Pendant que l’Amérique agonise dans la fondrière du Vietnam, Creedence lâche une mirifique rafale de hits carnassiers. Guitare aux griffes trempées dans des philtres vaudou, chant acrimonieux, régulièrement menacé par la sortie de route, Creedence brandit la bannière de l’insurrection populiste à des hauteurs hors d’atteinte des révolutionnaires consciencieux de Detroit, fait danser les foules du samedi soir tandis que les Stooges et le MC5 se contentent de faire cogiter les éditorialistes de la presse underground. Le croc acéré et l’œil mauvais, Fortunate son rabat le caquet des freluquets nantis, Proud Mary salue sur le Mississippi les personnages en cavale de Mark Twain, Tombstone shadow et Graveyard train sont suffisamment imprégnés de gothique rural pour alimenter plusieurs saisons des X-files. Avec sa coupe de cheveux à la Du Guesclin, Fogerty frappe d’estoc et de taille sous l’œil interloqué des esthètes aux languissants solos non violents, boute la frime et les fanfreluches hors du rock et prend d’assaut les hit-parades. Puis Creedence tombe en langueur. Tom Fogerty, le frère brimé, prend la tangente, John accepte de partager l’écriture avec la section rythmique, la démocratie affadit les derniers albums. Suivent (à intervalles hautement irréguliers) quatre albums solo en vingt-cinq ans. Sur l’appliqué Blue ridge rangers (1973), John Fogerty reprend (trop) respectueusement Hank Williams, Merle Haggard et Jimmie Rodgers ; deux ans plus tard, John Fogerty pétille d’une vitalité incendiaire. Aurait dû suivre un album suintant de noirs tourments (Hoodoo, 1976), sorti (clandestinement) lorsque Centerfield (1985) touche le jackpot en offrant une version light (manque la batterie) de Creedence, juste avant que l’atterrant Eye of the zombie se perde quelque part entre Chic et Alice Cooper. Arrive aujourd’hui Blue moon swamp, réjouissante invitation au blind-test. Southern streamline amadoue Bad moon rising (autrefois explosion de rage angoissée hurlée en réponse à l’élection de Richard Nixon), l’irrésistible Blueboy chausse les vieilles cuissardes en caoutchouc de Born on the bayou et barbote les paroles de Johnny B Goode tandis que Swamp river days, allégrement nostalgique, chipe celles de Green river. Double ration de tambouille à la sauce Memphis, puis virée à Nashville et plaisirs canailles dans les boxons de La Nouvelle-Orléans : la saveur soul de Stax Records (A Hundred and ten in the shade) est relevée par les délices printaniers de Sun Records (Blue moon nights), Rambunctious boy prend en stop le Steve Earle crâneur de Hillbilly highway, Bring it down to jelly roll rend son ardeur (hardeur ?) à un mot d’argot dont les sens (volontiers ivres) suffiraient à récrire le Kama Sutra à la sauce redneck. Nettement moins heureuse, la tentative pour aller chercher des poux dans la barbe de ZZ Top (Walking in a hurricane) ; insipide, la laborieuse première vraie chanson d’amour (Joy of my life) de Fogerty depuis qu’on a découvert Townes Van Zandt, on a acquis en la matière des goûts de luxe et de volupté. De surprises, point. Dès le titre, Blue moon swamp s’avoue condamné au (luxueux) remake Blue moon comme un des premiers titres d’Elvis, swamp pour le marécage originel où le rock’n’roll couturé puise encore une inimitable vigueur. Réchappé des maléfices de sa jungle intime, John Fogerty jongle avec les bénéfices d’une robuste expérience mise au service d’un vieux cœur de rocker. En forme de gros juke-box rutilant, le cœur.
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