L’enfant de Don Quichotte joue dans « J’enrage de son absence », premier film de fiction de Sandrine Bonnaire, mais n’a pas lâché ses habits de super citoyen pour autant. Il prépare une action en faveur des Roms, en parallèle de son mandat de conseiller régional. Portrait en trois casquettes.
C’est au bar Le Carillon, son repaire situé près du Canal Saint-Martin dans le Xe arrondissement de Paris, que l’on retrouve Augustin Legrand, géant en jean et gros pull, le visage barré d’un immense sourire et le regard malicieux. Ou plutôt Augustin Legrand et tout son quartier, ou presque. Durant notre entretien, on rencontre Yves, un SDF qui s’est retrouvé à la rue après un accident de voiture dans lequel il a perdu toute sa famille, deux vieux messieurs qui discutent en langue des signes, un habitué qui parle de sexe, Madame Costa qui ne nous embrasse pas parce qu’elle est enrhumée, une équipe d’éboueurs qui travaillent sous la pluie, et, bien entendu, un des gérants du bar qui laisse Augustin se servir comme bon lui semble. Pas de doute, ici, l’acteur est chez lui.
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Ce n’est pas sa carrière au cinéma qui l’a fait connaître dans son quartier, et dans la France entière, mais son engagement auprès des SDF dans le collectif Les Enfants de Don Quichotte, qu’il a créé avec son frère en 2006 pour lutter contre le mal logement. Rappelez-vous l’éclosion des tentes sur les bords du Canal Saint-Martin, ce grand type aux allures d’abbé Pierre qui criait au scandale devant les caméras de télévision, et les rumeurs qui circulaient sur la famille Legrand et son opportunisme. Augustin a traversé une tempête médiatique, politique, et humaine de 2006 à 2008, dont il a mis trois ans à se remettre. Trois années à vide, désillusionné, sans aucune offre d’emploi au cinéma, parce qu’aucun réalisateur ne voulait prendre le risque de faire tourner un militant aussi médiatisé.
« M’exposer aux médias aussi fortement, ça a impacté mon image. Les mecs avaient peur de perdre les spectateurs et de noyer leur personnage » explique-t-il.
Sandrine Bonnaire, elle, a foncé, contre l’avis de la production qui n’était pas vraiment pro-Augustin Legrand. « Je crois qu’elle a eu un coup de coeur physique« , estime l’acteur, qui avoue avoir eu du mal à jouer, à nouveau, devant une caméra. Mais la confiance que lui a accordé la réalisatrice, certaine de son choix (il n’a passé aucun essai), l’a rassuré. Et puis, Augustin est plutôt du genre fonceur. C’est ce trait de caractère qui l’a poussé vers le cinéma après une maîtrise en droit fiscal à l’université d’Assas, mais, aussi, vers le militantisme.
Entre cinéma et engagement
Au départ, Augustin tirait des plans sur la comète. Il avait eu l’idée de prendre volontairement deux mois de prison fermes, avec d’autres militants, pour faire la révolution depuis le milieu carcéral (« comme le cheval de Troie« ). Mais son rêve était surtout de sillonner l’Afrique en caravane, aux côtés de blogueurs, journalistes, militants et Africains, et de monter des campements dans différentes capitales pour attirer l’attention sur l’exploitation du continent par les puissances mondiales. « J’en avais marre de Bono qui chantait pour les Africains« , raconte-t-il dans un éclat de rire. Mais un soir, un ami qui tient un bar sur le canal Saint-Martin lui remet les pieds sur terre :
« Il m’a dit que j’étais un petit con, que la misère était devant moi. C’est cette conversation qui est à l’origine des Enfants de Don Quichotte. »
Augustin, son frère Jean-Baptiste et des amis décident alors d’aller camper avec les sans-abris sur les quais du Canal Saint-Martin, et d’inviter les « bien-logés » à faire de même. « Si on devait être des ostéopathes de notre société, le nœud ça serait l’ignorance des gens« , assène-t-il. C’est avec cette volonté de montrer la réalité, dans toute sa cruauté, pour faire réagir la population française, que la bande réalise un documentaire sur son action, qui sera produit par Mathieu Kassovitz et présenté à la Semaine de la critique à Cannes en 2008. Car avec Augustin, la caméra n’est jamais très loin. L’acteur associe étroitement cinéma et engagement, citant immédiatement Sweet Sixteen de Ken Loach, plongée violente dans le quotidien d’un ado dealer dans l’Angleterre pauvre, et Affreux, sales et méchants d’Ettore Scola, qui raconte l’histoire d’une famille vivant dans un bidonville de Rome. Des cinémas réalistes, engagés, qui appuient là où ça fait mal. Soudain remonté, il lance :
« Je déteste le cinéma divertissant. Je me souviens d’avoir été effaré devant Astérix et Obélix [mission Cléôpatre]. J’entendais les gens hurler de rire dans la salle et ça m’agaçait. C’est comme les émissions débiles à la télé. Ce sont des armes de destruction massive contre l’intelligence des gens. On les transforme en cochons en leur donnant de la bouffe pour cochons. »
L’acteur ne mâche pas ses mots, comme pour mieux prouver qu’il ne manie aucune langue de bois, ou par simple trait de caractère. Car Augustin est du genre à se faire voir (un géant on vous dit), et à se faire entendre. Assis sur sa chaise, il ne tient pas en place, remontant ses manches de pull avant de les rabaisser, se passant systématiquement la main dans les cheveux, qu’il a désormais mi-longs, singeant les personnes qu’il mentionne au cours de la conversation, serrant des poignées de main à tout va.
« Je suis un combattant »
Condensé d’énergie, Augustin Legrand n’a pas hésité à ajouter une troisième casquette à ses deux autres. Depuis 2010, il est donc conseiller régional d’Europe écologie les Verts en Ile-de-France, spécialiste, bien entendu, des questions de logement (ou, surtout, de mal logement). Mais il l’avoue : la politique ne l’intéresse pas plus que ça, et il ne se représentera pas en 2014.
L’acteur, qui se définit comme « un combattant », est donc prêt à repartir sur le champ de bataille du militantisme avec pour objectif cette fois-ci de résoudre le problème des Roms. Et encore une fois, il compte jouer la carte de l’inattendu. Au programme : des villages – qu’il appelle volontairement des bidonvilles – montés de toute pièce à base de récup’ en bordure de Paris – puis d’autres grandes villes – pour accueillir les Roms dans de bonnes conditions sanitaires. Deuxième étape : un voyage en caravane jusqu’à Bruxelles pour réclamer des engagements au niveau européen sur le sujet des Roms.
Et les SDF dans tout ça ? Ils seront les bienvenus dans les villages des Enfants de Don Quichotte, qui décidément ne lâchent pas leur idée de campements d’infortune. « Je cherche une arme et ça c’en est une« , rétorque Augustin Legrand, qui veut « être le fil rouge [entre les mal logés] pour leur permettre de prendre la parole collectivement« . Mais le militant a préféré abandonner le Canal Saint-Martin et ses mauvais souvenirs. Il lâche, amer :
« On n’a pas réussi à avoir une prise de parole avec un rapport de force. On a merdé. On n’était pas des milliers de citoyens mobilisés, mais une poignée de potes qui encadraient 400 sans-abris. »
Tout ça ne l’empêche pas de vouloir se relancer dans une grande aventure en recréant des bidonvilles en périphérie parisienne, afin que « ça soit la merde » et que le gouvernement, au pied du mur, ne puisse pas ne pas créer davantage de logements sociaux. Au passage, il rappelle que la non-création de logement sociaux est contre-productive, prenant l’exemple des SDF qui passent leur vie à l’hôpital, ce qui coûte plus cher à l’Etat que de les loger dans des centres d’hébergement, ou des logements sociaux . Il ajoute :
« Les politiques n’agissent que par intérêt électoral. Si la population ne gueule pas, ils vont se demander ce que ça va leur rapporter électoralement parlant de faire des logements sociaux ».
Cette nouvelle tentative a donc aussi pour but d' »avoir une victoire sur l’opinion, [de] sentir que quelque chose bascule, de provoquer les prises de conscience », ou comment attirer l’attention de la population sur les problèmes des mal-logés et la pousser, donc, à faire pression sur le gouvernement. Reste à savoir si ces villages auto-gérés changeront quelque chose ou non. En tout cas la hargne d’Augustin Legrand, elle, n’a pas bougé d’un poil.
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