La capitale du Mozambique a accueilli la quatrième et dernière plate-forme régionale « Danse l’Afrique danse ! » dans le cadre de la 6e édition du festival Kinani. Reportage.
Dans le Grand Théâtre de Maputo, le Ballet national revisite les années de révolutions et de la guerre d’indépendance de1975, alors que que la paix et la démocratie revenues datent à peine des années 1990. Sur la scène, une quinzaine de danseuses brandissent des kalachnikov en carton. Un ballet façon Orient Rouge du Président Mao qui a ici son avenue tout comme Lénine, Marx, Ho Chi Minh et bien d’autres…
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Paradoxalement, souffle aujourd’hui un air extraordinaire de liberté et de créativité au Mozambique, considéré comme l’un des pays plus pauvres du monde dans les années 1980 et qui fait maintenant figure de success story de l’Afrique noire.
Hommage à Henning Mankell, Mozambicain d’adoption
A Maputo, le Teatro Avenida est en deuil de Henning Mankell, son directeur artistique, “citoyen” du Mozambique depuis une trentaine d’années, l’écrivain suédois mondialement connu pour ses romans policiers, mais dont l’œuvre dramaturgique – une vingtaine de pièces qu’il a écrites et montées – est totalement inconnue en France. Constellé de photos en hommage au romancier qui s’était impliqué dans le travail de la troupe dont il était directeur artistique, le théâtre a fait place du 16 au 20 octobre – avec quatre autres espaces de la capitale et principalement dans le très bel Institut français, un ancien palais rénové – au Festival de danse Kinani (“danses” en langue shangana), dédié à la danse contemporaine et mené avec maestria par le bouillant Quito Tembe depuis dix ans et soutenu par le programme de l’Institut français.
C’est la compagnie mozambicaine du chorégraphe Panaibra Cambra qui procède à l’ouverture du festival avec (Un)Official language, sur la souffrance intime des êtres dans leur relation schizophrénique entre la langue maternelle et la langue officielle du colonisateur (ici le portugais). Une sorte de concert dansé, mené par la chanteuse diva Maria Joao, avec Leila Mabasso, superbe danseuse, et Panaibra lui-même, acteur et danseur, loin des clichés de la danse dite contemporaine. Le spectacle se donnera à La Villette, à Paris, en mars prochain.
La très jeune Tunisienne Nour Mzough donne son premier solo, Mes cheveux, les autres… et moi : victime de sa chevelure devenue objet de manipulation physique et morale par sa mère d’abord, puis qui envahira son corps et son sexe comme une pieuvre jusqu’à ce qu’elle s’en délivre à coup de hachoir.
Contre la colonisation des imaginaires
Et vint l’événement du festival, The Last Attitude, un duo de Mamela Nyamza et Nelisiwe Xaba, découpant au fil du rasoir sans complaisance les dommages que la danse classique fait subir aux corps et aux âmes dans une Afrique du Sud où les deux danseuses tentent elles aussi de s’affranchir de trois siècles de colonisation des imaginaires. Nellisiwe, métamorphosée en danseur androgyne, visage de cire, et Mamela, contenant sa rage, reproduisent les figures classiques comme des poupées mécaniques alors que surgissent sur le plateau une douzaine de petits rats soumis à une discipline militaire de marines américains.
Ni parodie, ni gag, ni jouissance à africaniser le ballet façon Dada Masilo (Afrique du Sud) et son Lac des cygnes… ni performances comme Mamela et Nelysiwe elles-mêmes ont pu en faire. Cette fois, elles sont passées au meurtre. Une exécution publique pour tenter d’en finir avec cette obsession ? Mais la bête risque d’être encore longtemps féconde malgré la jouissance que nous a procurée ce magnifique rituel de mort.
Les femmes sont au centre du festival avec Lady, Lady, my Gender Power, chorégraphié par Gaby Saranouffi (Madagascar) avec Désirée David (Afrique du Sud) et Edna Jaime (Mozambique), un spectacle prometteur qui sera achevé en mars 2016. Puis, un splendide solo de la Malgache Judith Olivia Manantenasoa, Métamorphose, dont le corps apparaît dans la pénombre constellée de pinces à linge comme un totem africain chargé de fétiches.
Awine (femmes, en arabe du Tchad) de Hyacinthe Tobio, venu du Tchad, est son troisième hommage rendu aux femmes africaines avec la Camerounaise Antonia Naoulle, ou encore Kettly Noel proclamant Je ne suis plus une femme noire, sans oublier une dizaine de performances étonnantes dans les quatre étages de la carcasse d’un immeuble en béton jamais achevé, dont celle, remarquable, de la Mozambicaine Janet Mulapha, 5 Sense Organs …
On retrouvera à partir du 8 décembre prochain quelques-unes de ces perles au Festival Souar Souar de Ndjamena.
Jacques Blanc
Institut Français, compte-rendu du festival Kinani du 16 au 20 octobre.
(Un) Official language, de Panaibra Cambra, 28 et 29 mars, La Villette, Paris.
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