En faisant la navette entre expérimentation et tradition d’écriture, Reservoir continue la post-pop façon Eno. Il existe ainsi, dans l’underground américain, des Alain Decaux. Des types capables de replacer toutes les dates, de réciter toute l’histoire, de perdre même les pédales de leur propre marche ce qui, dans le rock, équivaut souvent à passer […]
En faisant la navette entre expérimentation et tradition d’écriture, Reservoir continue la post-pop façon Eno.
Il existe ainsi, dans l’underground américain, des Alain Decaux. Des types capables de replacer toutes les dates, de réciter toute l’histoire, de perdre même les pédales de leur propre marche ce qui, dans le rock, équivaut souvent à passer sur le petit braquet pour reculer, exercice périlleux en bicyclette. Mais que ce soit avec Varnaline ou, aujourd’hui, Reservoir, les leçons de songwriting à l’ancienne de Jud Ehrbar ne sont que rarement soporifiques, suffisamment vivantes pour ne pas empester le formol. Si, avec Varnaline, où il n’est qu’assistant, l’exposé tourne parfois à la récitation des grands textes anciens on pense souvent à du Crazy Horse enregistré dans un abri de jardin en rondins, l’électricité chancelante, contrariée , on sait aussi que Jud Ehrbar a été derrière Space Needle, groupuscule de recherches chargé de tester pour le rock de nouvelles textures.
Ainsi est donc situé Reservoir : un pied dans la tradition et l’autre dans le vide, chargé des navettes entre le passé et le futur. Souvent, dans une même chanson, la (pink) machine à remonter le temps grille les feux : sur Weight of the world, elle embarque ainsi la voix de Neil Young visiter les déserts jupitériens où compose désormais Labradford. Sur 40, ce sont les frangins pétards, Jesus & Mary Chain, que Jud Ehrbar traîne à la plage où Brian Wilson composait autrefois ses mélodies en pommes d’amour. Parfois, on se rend compte à quel point le voyage est court, quand on connaît les raccourcis : ainsi, Air Coryell part du Canterbury de Soft Machine (la batterie de Jud Ehrbar mérite alors une rente à vie) pour, très vite, débarquer chez Tortoise. Il y a aussi de spectaculaires erreurs d’aiguillage, comme ce Right there qui se retrouve en rade dans la plus infâme musique électronique estampillée eighties, forcé à danser méchamment new-wave (hop, les bras en l’air, hop, les bras sur le côté) alors que le coeur n’y est visiblement pas.
S’il existe un modèle historique à cette curieuse collision entre écriture pop très sage et arrangements serrés, lunaires, il faut encore une fois aller fouiller du côté de Brian Eno avec qui Reservoir semble partager une passion pour le gospel (Weight of the world) et Wyatt (Go back). Car c’est Eno, sur l’album inestimable Before & after science (ce titre, bon sang, ce titre), qui servit de charnière. Une face de chansons, l’autre de son, pour montrer à la pop où elle pouvait aller se réinventer ici est née la post-pop qui, de Broadcast à Reservoir (musicalement, rien à voir), s’amuse à expérimenter dans un format réputé rigide. « Je ne peux pas revenir/A nos vieilles habitudes » bon signe. Hors de question, pourtant, comme le voudrait la facilité la plus élémentaire, de faire de Reservoir une suite logique à Beck : si les deux blondinets iconoclastes partagent effectivement une facilité d’écriture, Jud Ehrbar serait plutôt un habile pilote de ligne, cherchant à tuer la monotonie d’un vol régulier là où Beck restera toujours un pilote d’essai, aux plans de vol indéchiffrables.
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