Sur le splendide Pup tent, Luna ose enfin échapper à la tutelle castratrice du Velvet Underground pour s’aventurer dans les bas-fonds d’une écriture plus personnelle. Au programme : chronique des nuits new-yorkaises, obsessions sulfureuses et confessions masquées.Avec Luna, on fut d’abord sensible à la distribution en 92, sur l’album Luna Park, un ex-Feelies, un […]
Sur le splendide Pup tent, Luna ose enfin échapper à la tutelle castratrice du Velvet Underground pour s’aventurer dans les bas-fonds d’une écriture plus personnelle. Au programme : chronique des nuits new-yorkaises, obsessions sulfureuses et confessions masquées.
Avec Luna, on fut d’abord sensible à la distribution en 92, sur l’album Luna Park, un ex-Feelies, un Chills et l’ancien leader de Galaxie 500 se faisaient donner un coup de main par un Mercury Rev , impeccable partage des rôles propre à ravir les midinettes qui n’aiment rien tant que les familles princières. Puis on s’est mis à éprouver pour le groupe de Dean Wareham un amour confortable où le plaisir pusillanime de la connivence l’emportait sur le frisson de l’aventure. Sur des étagères déjà passablement encombrées par les albums de Dream Syndicate, de Mazzy Star ou des Weather Prophets, Luna se joignait (en beauté) à la grande armée des ombres ayant juré que, mort, le Velvet Underground aurait enfin droit à un trône. Mais chez Dean Wareham, la fascination pour la légende artistique était surtout affaire de volupté, d’épiderme frissonnant. « Je me souviens que quand j’avais une quinzaine d’années, je m’allongeais sur le tapis de ma chambre pour écouter Lisa says et Over you sur le Live 1969, le premier album du Velvet que j’aie acheté. Ensuite, c’est l’album que je passais en faisant l’amour avec ma petite amie. Je ne connais pas de disque plus sensuel, avec ces longues phrases de guitares lancinantes et répétitives. »
A 14 ans, Dean Wareham, né en Nouvelle-Zélande, découvre en même temps New York et les émois de l’adolescence. Lycéen studieux dans une école privée de l’Upper East Side, quartier rupin où les portiers en uniforme baguenaudent à l’entrée des immeubles, il s’évade vers Greenwich Village, où les premiers T-shirts déchirés annoncent la grande jacquerie punk de 1977. « A New York, j’ai passé une adolescence agréable c’est une chouette ville où grandir quand vos parents ont de l’argent. Les miens écoutaient les Beatles, les Bee Gees, José Feliciano et dans mon école, la mode était à Cheap Trick, Kiss ou Foreigner. Mais un ami m’a fait découvrir la new-wave, et à partir de ce moment-là, la musique a vraiment changé ma vie, comme dans Rock’n’roll, la chanson de Lou Reed. D’abord les Talking Heads, Television et les Ramones, puis Clash, les Sex Pistols, Costello, Pere Ubu. Je me souviens avoir vu les Voidoids de Richard Hell au CBGB’s. Ce genre de choc est inoubliable. Pareil pour les Feelies, que j’ai vus une bonne dizaine de fois. »
Passionné d’histoire rock, Dean Wareham l’est aussi de littérature ses chansons Great Jones Street et Moon Palace sont également des titres de romans de Don DeLillo et Paul Auster. « J’ai lu tout ce qu’ils ont écrit. Des histoires de conspiration, de réseaux souterrains. Great Jones Street est un livre mystérieux qui raconte l’histoire de Buddy Wunderlick, une rock-star qui est une sorte de croisement entre Syd Barrett et Bob Dylan ; il y est question de drogues et de la double nature du rock, qui est à la fois un art et une énorme industrie multinationale. Accessoirement, j’habite aujourd’hui à deux pas de cette rue. » Moon Palace et Great Jones Street traitent également de vies d’ermites, menées à Central Park ou au coeur de l’East Village, et de paranoïa ou de lentes dérives vers les redoutables récifs de l’obsession, thèmes omniprésents dans Pup tent, quatrième album de Luna « Tu peux changer de nom et changer d’adresse, de toute façon, je te retrouverai » (Tracy I love you) ; « J’ouvrirai tous les tiroirs et je chercherai derrière les chaussettes, où es-tu donc cette fois ? » (The Creeps).
Si sur Pup tent Dean Wareham échappe enfin à l’emprise musicale du Velvet Underground affranchissement facilité par le fait que Lou Reed, ravi de se trouver si beau dans le miroir que lui tendait Luna, ait proposé au groupe incrédule d’assurer la première partie lors de la tournée du Velvet reformé , il introduit de nouveaux héros dans ses chansons, où les confidences autobiographiques ne transparaissent qu’au travers d’un savant jeu de masques, comme dans le morceau Bobby Peru où il chante à la première personne. « Nous avons tous des personnalités doubles et il y a peut-être du Bobby Peru en moi. Je ne suis sûrement pas le genre de type que tu aimerais voir sortir avec ta soeur (rires)… Sur Pup tent, certaines chansons parlent de la dichotomie qui existe entre amour et désir, un sentiment et une pulsion qui ne coïncident pas forcément. Il est question de fidélité et de trahison, des thèmes qu’évoque Kundera dans Le livre du rire et de l’oubli, quand il écrit que coexistent chez l’homme le désir de dormir à côté d’une femme et celui de coucher avec d’autres. »
Chez Luna, les sujets graves ont droit à un traitement sensuel et ludique. Sur le premier titre de Pup tent, le morceau Ihop pour « International house of pancakes » , la schizophrénie se retrouve garnie de chantilly « You’ve got a banana split personality » , les réunions hebdomadaires des Alcooliques Anonymes cèdent la place à celles des Roués Anonymes, dont l’idole est Cary Grant. Quand Dean Wareham cède aux sirènes du libertinage, sa voix, autrefois pâlichonne, acquiert une autorité et une épaisseur nouvelles. Pour peindre le désir impatient, il trouve les accents vénéneux d’un Peter Perrett ou d’un Kevin Ayers redorant le blason du rock décadent en chantant des textes à la Bryan Ferry (City kitty). « Nous aimerions que Luna soit un groupe sexy, c’est un élément crucial dans le rock. Un chanteur que je trouve sexy, et dont je collectionne tous les disques, c’est Lee Hazlewood. Une sorte de Gainsbourg américain, à l’égard duquel je nourris une petite obsession. » Prenant avec un extrême sérieux les choses légères, Dean Wareham avait enregistré deux versions du Bonnie & Clyde de Gainsbourg/Bardot, la plus lente et insidieuse cachée sur un maxi étant nettement plus séduisante que celle nichée à la fin de Penthouse ; aujourd’hui Lee Hazlewood est, en compagnie de Bobbie Gentry et Marty Robbins, la vedette d’un adorable album de reprises vacancières, enregistré à la maison par Dean et son épouse. Sous le pseudonyme de Cagney And Lacee, elle chante d’une voix fluette et friponne, louvoyant joliment entre Debbie Harry et Moe Tucker , il bricole des arrangements flottants, proches de ceux inventés il y a deux ans par Stephin Merritt pour le disque de The 6ths. En écoutant parler (ou chanter) Dean Wareham, on entend une vie se raconter au travers de rencontres déterminantes avec des disques, des livres ou des films la pochette du Luna ep parodiait à la nuance chromatique près celle de Kids, expédié en trois mots : « un film merdique, réalisé par un pédophile racoleur ».
Mais c’est sur une scène que Luna sort complètement de sa réserve. L’été dernier, sous la lumière implacable d’un Central Park brûlé par le soleil, on vit Luna s’arracher à sa mythologie underground chérie et défier les plus grands bâtisseurs de cathédrales que le rock ait connus. Constructions vertigineuses, impeccablement charpentées, rivalisant d’orgueil avec les cimes des gratte-ciel avoisinants ; dialogue vibrant d’émotion d’une paire de guitares flamboyantes, familiarisées avec toutes les figures de rhétorique d’un genre trop systématiquement couvert d’opprobre. Sur les terres de Manhattan, Luna partait à la conquête d’un Ouest en Technicolor et Panavision. Dean Wareham : « A Boston, quand j’étais étudiant, j’écoutais les groupes psychédéliques du début des années 80, comme Opal ou The Three O’Clock. » Sean Eden (guitariste) : « J’ai toujours aimé les grands guitaristes, les guitaristes lyriques, ayant un beau son scintillant, de Jimmy Page à Jimi Hendrix et Tom Verlaine. » Il faudra donc saluer chez Luna la rencontre d’une prodigieuse technique et d’une miraculeuse capacité à humaniser la guitare, à rendre certains instrumentaux The Enabler, sur le Luna ep aussi romanesques et palpitants que bien des chansons aux rimes manucurées.
Dans Highball, film indépendant sur le point de sortir, Dean Wareham joue le rôle d’un agrégé de philo de l’East Village. Retour aux sources pour un ancien étudiant d’Harvard trop pudique pour introduire sa culture dans ses chansons autrement que sous forme de contrebande oblique. « J’aime bien lire mais j’adore aussi la pop bubblegum, je crois qu’il y a dans le rock de la place à la fois pour la culture et pour le crétinisme des Ramones. Ce que je ne supporte pas, ce sont les gens qui se gargarisent de noms célèbres comme Lloyd Cole à une époque, ou Patti Smith avec Rimbaud. Elle joue trop sur la dimension spirituelle. Les gens qui se prennent pour des prophètes me tapent sur les nerfs. Ils finissent comme Bono, ils croient qu’ils ont les réponses à tous les problèmes et qu’ils vont sauver la planète. Pareil pour Bruce Springsteen, beaucoup trop emphatique à mon goût. C’est le danger qui guette aussi Billy Corgan. Alors qu’avec Luna, notre rêve c’est d’enregistrer des albums qui survivent à l’épreuve du temps, comme Marquee moon… On a travaillé comme des malades sur notre nouvel album, on y a passé des nuits entières, dans un studio du Minnesota, sous la férule d’un producteur impitoyable. En plus, on a un nouveau batteur. Stanley Demeski, le précédent, était un superbe batteur, mais il restait fidèle au style Ringo Starr/Doug Clifford. Cette fois, nous avons pris davantage de risques. Nous voulions que cet album soit fantastique. Quand on est trop enthousiastes, les gens rigolent et nous taxent de naïfs. Mais j’ai toujours aimé le rock et je l’aimerai toujours. Même après des années passées à gagner ma vie en faisant ce métier où on subit des tas de pressions de la part des maisons de disques, le rock me transporte encore, me donne toujours le vertige. Et ce n’est pas une simple affaire de nostalgie. Des tas d’excellents disques sont sortis ces dernières années, ceux de Spiritualized, de Stereolab, de Mazzy Star ou de Yo La Tengo. Parler de la mort du rock, c’est des foutaises. »
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