Des groupes amers et ricains visitent la country nue de Nebraska un jour de blizzard. Entre leurs mains tremblantes, elle devient une musique aussi organique qu’orgasmique.Ça évoque ces mauvaises terres chantées naguère en noir et blanc granuleux, par un Springsteen tout seul, tout nu, sous influence Terence Malick. Depuis Nebraska, on s’était juré qu’un jour […]
Des groupes amers et ricains visitent la country nue de Nebraska un jour de blizzard. Entre leurs mains tremblantes, elle devient une musique aussi organique qu’orgasmique.
Ça évoque ces mauvaises terres chantées naguère en noir et blanc granuleux, par un Springsteen tout seul, tout nu, sous influence Terence Malick. Depuis Nebraska, on s’était juré qu’un jour on irait faire un tour du côté de Lincoln, tailler la route jusque vers le Wyoming. On avait tout prévu, de l’itinéraire soigneusement pointé sur une carte au choix de la voiture. Maintenant, on sait quel disque on emportera : une bande-son couleur locale, grisâtre, sur fond de neige sale : I never asked for light par Lullaby For The Working Class.
Pas question de rouler la vitre ouverte. Ici, il fait un temps à ne pas coucher dehors, les chemins sont piégeux, l’horizon s’égare dans le brouillard. La country grelotte, les doigts sont gourds et les lèvres gercées. Depuis There is no-one what will take care of you et les Palace Brothers, on connaît par coeur le blizzard affectif qui fait ployer, sans qu’elle rompe, cette musique offerte aux quatre vents. Lullaby For The Working Class (on pense aussi à des Violent Femmes en sabots de bois, sous dose massive de Lexomil) étale les mêmes errances morales, fait sonner le même bourdon, lourd comme ces blés trop mûrs qui couvrent les prairies du Midwest, à l’orée de l’été. Immense solitude, moisson d’exception.
Profondément organique, la country terreuse de Lullaby For The Working Class ne récolte que ce qu’elle a semé : une tempête de chansons au lyrisme mordoré, dans un buisson d’ukulélé, de banjo, de mandoline, d’accordéon, de dulcimer, de contrebasse et de chants d’oiseaux. Au brasier acoustique, on finit toujours par trouver la lumière (Hypnotist (song for Daniel H.)), même quand on ne l’a jamais demandée. A force d’avancer, on finit toujours par rencontrer la mer. Au terme de I never asked for light, la country de Lullaby For The Working Class, soutenue par une section de cordes percées, engage un duel désespéré avec la marée, comme pour ne pas se noyer (The Man vs tide). Peine perdue. La mer gronde, la voix prend eau de toutes parts, la guitare s’éteint dans la rumeur d’un avion qui passe au loin. Comme un ange. Ça évoque un moment d’éternité, suspendu au firmament par un fil de soie. C’en est un.
Depuis l’incommensurable Massachusetts, on s’était juré qu’un jour on irait faire un tour du côté de Boston, voir ce qui se trame dans la tête des Scud Mountain Boys. Avec The Early year, on découvre qu’il s’en passe surtout de bien belles dans la cuisine de Bruce Tull, guitariste opalescent et cuistot d’un genre nouveau, heureux détenteur de recettes sonores apprises dans un recueil aux pages de verre. Si cette cuisine existe vraiment, il faut saisir d’urgence l’Unesco, inscrire d’office l’endroit à l’inventaire des monuments historiques. Car c’est là, sur un coin de l’évier, entre gazinière et lave-vaisselle, que furent concoctés les deux premiers albums des Scud Mountain Boys, Pine box et Dance the night away, deux petites choses merveilleuses, tirées de l’oubli par les braves gens de Sub Pop.
Avec les Scud Mountain Boys, tout se passe comme si la country en avait terminé avec la réalité, le passé comme le futur. Ici, la douleur n’est qu’un vague souvenir, le bonheur, à peine une promesse : musique de l’instant, aux silences assourdissants, qui semble n’exister que pour elle-même entre ciel et terre , à laquelle il suffit de trois ou quatre breloques pour dévider sa pelote de notes ténues, à peine un micro, deux guitares et une basse. Toujours sur la marge étroite qui sépare l’innocence de la niaiserie voir les textes, souvent limite , la voix de Joe Pernice semble un filet de mercure, quelque chose de forcément indicible et d’intensément palpable. On ne qualifie pas la musique des Scud Mountain Boys, pas plus qu’elle ne dessine quoi que ce soit. On la reçoit de plein fouet, et c’est comme une caresse. Ces deux disques Pine box surtout n’inventent rien, ils semblent découvrir toute la country et la pop, Jimmy Webb et la pedal-steel, l’évidence des chansons, la grâce des premières fois. Au concours Lépine de la country, on fera cadeau aux Scud Mountain Boys d’un éventuel dépôt de brevet. Ça nous étonnerait qu’il y ait grand monde sur terre pour leur réclamer des royalties.
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