Les artistes prennent la main : à Villejuif, une initiative spontanée et ambitieuse menée par Neil Beloufa offre un grand appel d’air.
“Beaucoup de choses s’y seraient passées, un incendie, une course de rollers, un Julie Lescaut, un poulet grillé, des émeutes… il reste maintenant un hôtel.” Avec un sens du storytelling qu’on ne lui connaissait pas, l’artiste Neil Beloufa (nommé au prix Marcel-Duchamp) a fait bouger les lignes. Avec une journée d’avance sur le marathon de la Fiac et son lot d’événements collatéraux, c’est à Villejuif, dans un de ces quartiers hybrides qui n’a pas attendu le Grand Paris pour embrasser une nouvelle réalité économique et géographique, qu’il a inauguré, le 18 octobre, l’exposition Occidental Temporary.
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Le lieu du crime : une friche de 500 mètres carrés et autant d’espaces enchâssés, ex-cristallerie, ex-fabrique de Méhari, aujourd’hui transformée en atelier d’artistes. Les Kolkoz y avaient déjà élu domicile il y a quelques années ; Neil Beloufa, Oscar Tuazon, les peintres Jonathan Binet ou Emile Vappereau ont suivi. Aujourd’hui ce sont eux, et tous les artistes ayant passé quelques mois ou quelques jours dans cet espace autogéré transformé en “centre d’art temporaire”, qui font le show. Et ils ne font pas dans la demi-mesure.
Loin du white cube
D’abord, il y a ce fond d’écran grandeur nature, qui donne une tonalité particulière à l’exposition : les œuvres sont dispersées dans les recoins d’un décor de cinéma, la reconstitution d’un “hôtel occidental” qu’on imaginerait volontiers parachuté en Afrique subsaharienne et qui servit d’écrin au dernier film de Neil Beloufa. Avec son patio exotique, son bar colonial, ses salons fifties et ses coursives en béton ajouré, on est loin du white cube, et même des murs bruts de décoffrage prisés par les nouveaux espaces d’art contemporain. Ici “c’est la vie” – le sous-titre de l’exposition, toutefois agrémenté d’un point d’interrogation – qui semble prendre le dessus.
Les peintures délicieusement désuètes de Julie Beaufils ou d’Emile Vappereau s’alignent sans plus de chichis sur les murs en faux marbre de l’“hôtel occidental”, Camille Blatrix fait état de ses humeurs du jour en gravant directement sur les cimaises et en dessinant à l’aide de faux chewing-gum un “feel my pain” attendrissant, Jonathan Binet fait le mur avec une installation picturale proliférante, Chrystele Nicot tient salon avec une vidéo inspirée par l’écrivain de SF Clifford D. Simak et deux mausolées, tandis que Boris Achour, locataire d’un storage en fond de cour fait deux poids, deux mesures avec un mobile suspendu.
Vidéos augmentées
Beaucoup de peintures, mais aussi des installations précaires, des sculptures “tunées” et des vidéos augmentées, dans ce paysage d’exposition finalement assez homogène qui tient à l’amitié, très palpable, qui unit cette nouvelle génération majoritairement passée par les Beaux-Arts, autant qu’à l’énergie contagieuse dont fait preuve le petit groupe et qui semble avoir atteint des artistes d’une autre génération : Boris Achour donc, mais aussi Elizabeth Lennard, Stéphane Vigny ou Mohamed Bourouissa.
Ici, on ne s’embarrasse ni des restrictions budgétaires qui sévissent un peu partout – on produit beaucoup et avec les moyens du bord –, ni des codes de l’exposition et du sacro-saint tandem white cube/curator qui cède la place à une émulation collective débridée et visiblement très amusée. “Il souffle sur Paris un vent nouveau”, se réjouit Boris Achour, artisan au début des années 2000 d’une renaissance de la scène artistique, “mais là où nous inventions à l’époque Public ou Glassbox qui jouaient avec les codes de l’institution, aujourd’hui ces artistes prennent la main depuis leur espace de travail, en banlieue parisienne”.
Nouvelle génération en marche
“C’est sans conteste ce qu’on verra de mieux cette semaine à Paris”, renchérissait dès le vernissage Adrien Missika, de retour de la très active Mexico pour présenter aux Tuileries un jardin suspendu fait de mauvaises herbes ainsi qu’une série de pièces, sur l’invitation de la galerie Proyectos Monclova, au sein de Paris Internationale, la nouvelle petite foire pointue.
En marge de la grosse mécanique du marché et des efforts presque désespérés de certains centres d’art et Frac qui doivent faire face à des difficultés budgétaires ou à des manœuvres politiques, cette initiative spontanée et ambitieuse offre un grand bol d’air frais dans le paysage français. Qui prouve qu’une nouvelle génération est en marche et que les artistes, si l’on en croit le nombre grandissant d’ateliers partagés transformés en lieux d’exposition passagers, sont souvent les mieux placés pour rebattre les cartes du jeu.
Occidental Temporary – C’est la vie ? jusqu’au 8 novembre au 64, rue Pasteur à Villejuif (94)
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