Jamais loin des plaines country, Joe Pernice balade son cafard sous la clarté orchestrale de la pop grand format. Sur la pochette, peu de choses. Quatre silhouettes énigmatiques, un ciel saturé d’ocre, une pyramide floue, et puis ce titre, pire qu’une renonciation, un défi au bonheur. Déjà à l’époque où il présidait aux destinées des […]
Jamais loin des plaines country, Joe Pernice balade son cafard sous la clarté orchestrale de la pop grand format.
Sur la pochette, peu de choses. Quatre silhouettes énigmatiques, un ciel saturé d’ocre, une pyramide floue, et puis ce titre, pire qu’une renonciation, un défi au bonheur. Déjà à l’époque où il présidait aux destinées des fabuleux Scud Mountain Boys, Joe Pernice se signalait par une discrétion maladive (on ne sait pour ainsi dire rien de lui), ainsi que par un cafard incurable, lequel lui dictait de drôles d’histoires de folie et de mort, confiées d’une voix virginale sur fond de country translucide, si pure qu’elle semblait sans racines, sans attaches, flottant comme un feu follet sur le cimetière des éléphants du genre. Aujourd’hui, les Scud Mountain Boys ont rejoint ce même cimetière, mais la pérennité dynastique de leur musique est assurée, comme sous l’Ancien Régime, lorsqu’on célébrait le nouveau monarque dans l’instant même qui suivait le trépas de son prédécesseur. De fait, les Pernice Brothers reprennent les choses là où les avaient laissées les Scud Mountain Boys de Massachusetts, perchées sur quelque trône olympien, trempées dans le mercure et dans l’éther. Toujours, il y a la mystérieuse évidence de ces mélodies frappées de fausse candeur, ces mots cruels, jetés comme autant de cailloux sur le front d’une eau à la clarté troublante (« Je me sens bien mieux maintenant que tu es partie »). La différence, c’est que Joe Pernice est désormais seul maître à bord, et qu’il en profite pour faire ce qu’il aime vraiment : de la pop grand format, de la pop de cowboy urbain, épris de luxe et de volupté. Plus tellement Palace, ces Brothers-ci apprécient néanmoins le raffinement d’une instrumentation haut de gamme, l’opulence d’un orchestre de dix musiciens conférant à Overcome by happiness l’éclat d’une symphonie miniature, en douze mouvements d’exception. A la croisée des chemins empruntés jadis par les Byrds, les Beach Boys ou Left Banke, les Pernice Brothers bousculent les hiérarchies, empilent les effets contradictoires, allient le carillon séculaire des guitares 12-cordes au souffle surréaliste de cuivres debussystes (Chicken wire), précipitent des cascades de violons crépusculaires sur des harmonies en canons infinis (Clear spot, Wait to stop), jusqu’à basculer par instant dans une autre dimension, un ailleurs où n’émargent que les très grands (Sick of you). Car le miracle, c’est que cette débauche d’effets n’altère en rien l’essence des compositions, souligne au contraire la voix démunie de Joe Pernice, hissée des profondeurs d’une gorge serrée par la douleur, maîtresse dans l’art de faire peu avec beaucoup. Ce n’est pas demain la veille qu’on risque d’en avoir assez.
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