Dr John emmène quelques jeunes pousses anglaises visiter le bayou et le vaudou : de l’extérieur, mais avec une belle vue. Gris-gris, premier album de Dr John “the night tripper”, fait partie de ces antiquités dont la jeunesse s’échine encore, trente ans après sa sortie, à percer les secrets de fabrication. Une lampe d’Aladin, dont […]
Dr John emmène quelques jeunes pousses anglaises visiter le bayou et le vaudou : de l’extérieur, mais avec une belle vue.
Gris-gris, premier album de Dr John « the night tripper », fait partie de ces antiquités dont la jeunesse s’échine encore, trente ans après sa sortie, à percer les secrets de fabrication. Une lampe d’Aladin, dont l’écoute fait surgir le bon génie du vaudou et libère les esprits. On sait que Moonshake ou Gomez n’auraient jamais existé sans cet invraisemblable gumbo de rock psychédélique et de musique du bayou. On sait que l’usage des samples (chez Tricky ou Portishead, au hasard) conduit toujours dans le swamp. Aujourd’hui, sur une très bonne idée du patron de sa nouvelle maison de disques anglaise, Dr John convie quelques jeunes blancs-becs à prendre des leçons de magie vaudou. Distribution de bons points : fucking A pour Jason Pierce (Spiritualized), Martin Duffy (Felt et Primal Scream) et Clive Deamer (Portishead). Satisfaisant pour Gaz Coombes (Supergrass), quand même à la limite de la figuration. Pouvait moins faire pour Paul Weller, fan dévoué de Dr John, mais dont la guitare incontinente n’avait rien à faire ici. Pas grave : Anutha zone est d’abord un album de Dr John. Et un bon.
Trente ans après Gris-gris, Dr John semble rembobiner le fil de sa longue carrière discographique. Avertissement : Anutha zone n’est pas une zone dangereuse. Parce que l’époque a changé et qu’il n’a plus 20 ans, Dr John reste en lisière du vaudou pour entendre un vrai disque d’envoûté qui fait tourner les tables de mixage, prière d’écouter le dernier album de Kim Fowley. Anutha zone n’est pas un disque de vaudou psychédélique, mais un disque qui se souvient du vaudou et du psychédélisme. Le pèlerinage commence à la source, dans les eaux stagnantes et la moiteur du bayou. Ici, Dr John voyage avec Jason Pierce, qui a fumé tous les nénuphars. Il se poursuit en ville, dans l’anonymat relatif d’un rhythm’n’blues funky balisé, parfait pour donner rendez-vous à Paul Weller. Fausse route. Dr John a compris : il retourne dans le bayou (The Stroke) et termine le voyage à La Nouvelle-Orléans (Sweet home New Orleans, à la hauteur du splendide album Gumbo), pour un ultime hommage au jeu de piano débonnaire et égrillard de feu Professor Longhair. Sur le papier, le projet Anutha zone avait de quoi laisser perplexe. Mais la voix de Dr John celle d’un reptile rampant et repu et la discrétion des intervenants donnent une cohérence à l’ensemble. Maintenant, après ce disque qui relancera la carrière de Dr John et donnera envie de replonger dans sa discographie, on peut rêver d’une suite américaine à Anutha zone, avec G-Love à la guitare, Beck dans les chœurs de crapaud-buffle et Jon Spencer (qui reprend un titre de Dr John sur la BO de Scream 2) derrière la console de producteur.
Stéphane Deschamps