Villa Montmorency dans le XVIe arrondissement de Paris. Les nuages gris ne perturbent pas la quiétude de ce “lotissement oligarchique”. Nous retrouvons Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon, sociologues spécialisés dans l’étude des classes dominantes, devant l’entrée de ce “ghetto volontaire” de cinq hectares. Gardiens et barrière filtrent le passage. Pour parcourir les allées bordées d’hôtels […]
Villa Montmorency dans le XVIe arrondissement de Paris. Les nuages gris ne perturbent pas la quiétude de ce « lotissement oligarchique ». Nous retrouvons Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon, sociologues spécialisés dans l’étude des classes dominantes, devant l’entrée de ce « ghetto volontaire » de cinq hectares. Gardiens et barrière filtrent le passage. Pour parcourir les allées bordées d’hôtels particuliers, il faut être invité par l’un des propriétaires. Même l’intrusif Street View n’a pu y promener ses caméras.
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« Tout le Fouquet’s est là », explique la coauteur des Ghettos du gotha (Seuil), l’un de leurs livres sur ces riches à qui profite la ségrégation sociale. Bolloré père et ses deux fils y ont chacun une demeure, Lagardère grillerait des merguez dans son jardin si les barbecues étaient autorisés.
Ici, « l’entre-soi » des riches est « particulièrement perfectionné »
Nous remontons la rue Poussin vers l’ouest. Sur le trottoir d’en face, un hôtel où les Pinçon ont « planqué ». De leur chambre, ils avaient entrepris d’observer les allées et venues mais n’ont vu que des façades. Les deux chercheurs du CNRS, aujourd’hui à la retraite, l’ont démontré : les riches pratiquent « l’entre-soi », et il est ici « particulièrement perfectionné ». À droite, boulevard de Montmorency. Nous longeons des palissades en acier rehaussées de piques dissuasives. Une porte s’entrouvre pour laisser passer… Xavier Niel ? Alain Afflelou ? Céline Dion ? Non, il s’agit d’une « employée de maison ». Elle aurait d’ailleurs pu loger tout près de son lieu de travail si, « dotés d’une éminente conscience de leur classe », les bourgeois du XVIe n’avaient empêché la construction de logements sociaux sur le site de l’ancienne gare d’Auteuil, de l’autre côté de la rue.
Nous suivons la rue Pierre-Guérin, qui s’achève en impasse. Au bout, la villa de Carla Bruni. Un gigantesque portail barre l’accès et l’on n’aperçoit que la cime des arbres. Discrets comme de coutume, deux policiers en civil montent la garde. Nicolas Sarkozy est-il là ? Silence et sourires. Au fait, Monique et Michel se sont-ils enrichis grâce au Président des riches (La Découverte) qui, vendu à 150 000 exemplaires, dénonçait la collusion entre la classe politique et les milieux d’affaires ?
« On a un peu retapé notre maison et on s’est acheté une Kangoo rouge. » « Rouge du sang des ouvriers », ajoute la sociologue en citant le refrain du Drapeau rouge.
Nous redescendons l’impasse, un policier rondouillard sur nos talons (« Non, non, je ne vous suis pas »). Que pensent ces sociologues de l’imposition à 75 % ? Apparemment, elle ne devrait pas écraser les quelques centaines de foyers concernés : « Vous savez, une fois passés par les niches fiscales et les paradis fiscaux, les revenus ont une taille de guêpe. » À lire leur nouveau livre, L’Argent sans foi ni loi, il est clair qu’ils n’attendent pas que le nouveau pouvoir change la donne : « La fausse alternance entre droite et gauche libérale est une construction fictionnelle qui empêche de voir la réalité : ils appartiennent presque tous à la même classe dominante. » Faudra-t-il alors attendre septembre 2013 et leur nouvel ouvrage, « une bombe » ?
Christophe Mollo
L’Argent sans foi ni loi (Textuel), 88 pages, 12 €
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