[Partie 2/12] Obsédée par son chef, la journaliste Olympe Naularris a dû l’admettre : elle a un problème. Son choix ? Se désintoxiquer grâce aux Dépendants affectifs et sexuels anonymes (DASA). Cette sex-addict va suivre scrupuleusement les douze étapes d’un programme drastique calqué sur celui des Alcooliques anonymes. Entourée de ses camarades anonymes, elle va démêler les mécanismes de la dépendance. Comment sortir des affres d’une libido déglinguée ? Pour le savoir, suivez le compte rendu intime, drôle et caustique de son sevrage. Deuxième épisode.
Suite aux réactions suscitées par le premier article, je suis devenue un peu tricarde aux DASA ; j’ai squeezé pas mal de réunions et je n’ai toujours pas trouvé de parrain. C’est chiant parce que pour suivre le programme il faut un parrain qui a déjà passé les étapes et qui peut nous les expliquer. Là par exemple, j’entrave rien à l’étape 2, celle où on doit se trouver un dieu.
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Je vous dresse le tableau. Contrairement aux Alcooliques anonymes, l’objectif du programme des DASA (Dépendants affectifs et sexuels anonymes) n’est pas d’arriver à l’abstinence -– sans quoi on tomberait sur un autre problème : l’anorexie affective et sexuelle – mais à la sobriété. Il ne s’agit pas d’éviter d’avoir des relations ; il s’agit de repérer et d’éviter celles qui sont toxiques et qui mènent dans le mur. Ce n’est pas tout noir ou tout blanc ; notre définition de la sobriété est plus floue. D’ailleurs on n’a pas de jetons (c’est bête, je pensais que j’en aurais plein et que je pourrais les miser à la belote – parce que je suis aussi accro au jeu).
Et puis un dépendant ne peut pas se fier à son jugement, il ne distingue pas une relation saine d’une relation pathologique. Un peu comme un enfant victime d’alcoolisme fœtal à qui on ferait téter du whisky : il ne saurait même pas ce que c’est de ne pas être bourré. Même quand il fait une vraie rencontre, le dépendant fout tout en l’air parce que l’autre devient une came dont il ne peut se passer. Son cerveau est ballotté de Charybde en Scylla, entre la dépendance et l’anorexie. Parfois, on a Jiminy Cricket qui s’époumone dans notre tête qu’on est en train de vriller. Mais parfois on est extraordinairement convaincu que oui, c’est une merveilleuse idée d’inviter encore une fois son chef ; peut-être qu’il n’a pas compris où on voulait en venir les cinq premières fois (c’est possible, tant qu’on lui a pas demandé “tu veux faire l’amour avec moi ?”).
5 ressources pour se sortir de la dépendance
Voilà pourquoi il faut un parrain. A la différence des amis, dont la fonction est de traiter le chef d’abruti pour vous remonter le moral (et pour justifier leurs compétences en sms-ologie franchement merdiques vu qu’ils ont tout interprété de travers eux aussi), le parrain vous aide à identifier vos “comportements limite” et les risques de replonger, à l’aune de sa propre expérience. En général, on le choisit dans les réunions ; c’est quelqu’un avec qui on sympathise. Mais là, autre écueil : comment être sûre du type qui vous propose son aide quand vous savez très bien que son problème c’est justement qu’il fantasme sur les meufs qu’il aperçoit en réunion ?
Heureusement, il n’y a pas que le parrain, il y a aussi la “littérature”. Pour m’aider dans mon sevrage, on m’a remis cinq documents : un kit de poche du DASA, un cahier sur les 12 étapes du programme, une fiche sur les “comportements limites”, une brochure sur le parrainage et un cahier de réunion.
Commençons par le kit. Il définit les 5 ressources pour se sortir de la dépendance : 1/la sobriété, 2/le parrainage et les réunions, 3/les 12 étapes, 4/la volonté de rendre service aux autres dépendants, 5/la spiritualité.
Dès la première réunion, j’ai su que le cinquième point poserait problème. Chaque séance est réglée comme du papier à musique : une fois que chacun s’est présenté, on lit le texte de la semaine (l’une des 12 étapes, le témoignage sur cette étape, l’une des 12 caractéristiques de la dépendance et l’un des 12 signes de rétablissement, ou l’une des 12 traditions de la fraternité DASA). Puis on partage son problème, et enfin on évoque ses “dangers” et ses “espoirs”. A la fin, on récite l’ultra-célèbre Prière de la Sérénité :
“Mon Dieu, donnez-moi la sérénité d’accepter les choses que je ne peux pas changer, le courage de changer celles que je peux, et la sagesse d’en connaître la différence.”
Sauf que je ne crois en aucun dieu
Même à 10 ans, la peur de l’enfer ne m’empêchait pas de me caresser en lisant la Bible (le Cantique des cantiques : “J’ai ôté ma tunique… mon bien-aimé a passé la main par la fente de la porte et mes entrailles ont frémi”), avant de découvrir où mon père rangeait ses SAS. Le problème, c’est que le programme repose sur la spiritualité. L’étape 2 par exemple, dont je vous parle actuellement : “Nous en sommes venus à croire qu’une Puissance supérieure à nous-mêmes pouvait nous rendre la raison.” Absolument pas. D’ailleurs si j’y croyais, j’irais pas en réunion, j’attendrais que ça me tombe tout cuit dans le bec.
Il va pourtant falloir trouver un substitut, rapport au fait qu’un dépendant ne PEUT PAS retrouver la raison tout seul. “T’es pas obligé de croire en Dieu”, précise P., l’ami qui m’a entraîné là-dedans. “Tu définis comme tu veux cette Puissance supérieure. Pour certains ce sont les réunions elles-mêmes.”
Pour moi c’est peut-être le Boulot. Je crois au dieu Boulot. Pas seulement parce qu’Il me procure du bel argent, mais parce qu’Il m’empêche de faire des conneries, comme me jeter sur mon chef, vu que je pourrais perdre mon boulot – mon Dieu. Et puis il donne du grain à moudre à mon cerveau. En m’obligeant à me concentrer sur autre chose il me permet d’échapper à l’une des 12 caractéristiques : “Nous nous enlisons dans l’intrigue romantique ou les activités sexuelles compulsives”. Quand je bosse comme un âne, je n’ai plus le temps pour les “intrigues romantiques”. Et le boulot m’ancre dans le réel.
Grand prêtre du dieu Boulot
J’ai donc misé dessus et modifié mon répertoire pour enregistrer son numéro à “Monsieur Le Chef”. Ca a fonctionné : une vraie douche froide dès que je voulais m’approcher. Mais au bout de deux semaines, le problème s’est renversé. Affublé de la majesté des majuscules, je l’avais transformé en grand prêtre du dieu Boulot ; plus j’aimais mon job, plus j’aimais mon chef. Au secours. J’étais tombée dans une autre des 12 caractéristiques du dépendant :
“Nous prêtons aux autres des pouvoirs magiques. Nous les idéalisons et les harcelons pour ensuite les blâmer de ne pas avoir été à la hauteur de nos attentes et de nos fantasmes.”
J’ai remis son numéro et son nom à l’endroit. Et j’ai arrêté de le googler trois fois par jour (en écumant les pages web/actu/photos/vidéos). Je suis un peu en manque, mais ça va. Un jour à la fois, je tiens bon. Et j’ai trouvé dans le cahier de réunion une suggestion intéressante : “Si vous n’en êtes pas encore arrivés à croire en une Puissance Supérieure à vous-même, alors FAITES COMME SI.”
Prochaine étape : “Nous en sommes venus à croire qu’une Puissance supérieure à nous-mêmes pouvait nous rendre la raison” (autrement dit, il faut se faire aider parce que seul, on n’y arrivera pas)
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