Lors de la 6e Biennale de Moscou, Yanis Varoufakis s’en est pris violemment à l’expansionnisme du gouvernement russe. Censuré par le Kremlin, son discours met aussi en lumière son engagement au long cours en faveur de la culture comme contre-pouvoir.
La programmation de la sixième Biennale de Moscou avait été annoncée par un euphémisme : celui de « circonstances difficiles », responsables d’un changement de format. Réduite à 10 jours, la manifestation annonçait néanmoins vouloir jouer le rôle d’un think tank autour de la problématique lui donnant son titre. A savoir : « Comment rassembler ? Agir au centre d’une ville située au cœur de l’île eurasienne ». Du 22 septembre au 1er octobre, sous le triple commissariat de Bart de Baere, directeur du MUHKA (Anvers), de Defne Ayas, directrice du Witte de With (Rotterdam) et de Nicolaus Schafhausen, directeur de la Kunsthalle (Vienne), la biennale rassemblait une série d’expositions et d’événements. L’accent était mis sur les formes discursives, avec des workshops, tables rondes et conférences organisées tous les jours, rassemblant sociologues, artistes, théoriciens et économistes.
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Rétrospectivement, en guise de circonstances difficiles, on en retiendra surtout une : la censure exercée par le Kremlin. Le 1er octobre, lors de la journée de clôture de la biennale, Yánis Varoufákis, l’ancien ministre grec des finances du gouvernement Tsípras, était invité à donner une conférence. Retransmise en direct sur Russia Today, la chaîne de télévision en langue anglaise du Kremlin, son allocution s’est vue brutalement interrompue. La raison ? Sa mise en en garde contre les velléités expansionnistes des élites politiques russes, et le parallèle établi entre la situation actuelle de l’Europe de celle de l’Empire Romain, précipité dans sa chute pour trop avoir voulu s’agrandir à l’est.
La culture comme contre-pouvoir
Avant d’être censuré, Varoufákis a eu le temps de se prononcer en faveur d’un art engagé, déclarant que la culture doit jouer le rôle d’un contre-pouvoir. « L’art ne doit pas être anodin, la culture ne peut pas être décorative. Les artistes devraient être craints par les puissants. Si ce n’est pas le cas, c’est qu’ils ne font pas les choses correctement ». Provocateur, il n’hésitait pas à fustiger les « forums où ce sont les curateurs post-modernes qui invitent des économistes à faire des discours aux artistes qui sont les stars ». Avant d’enchaîner sur la faillite esthétique de l’Euro, selon lui symptôme de ses contradictions internes, en brandissant un billet pour illustrer ses propos : « Regardez ce billet, regardez ce qui est dessiné dessus. Il ne s’agit même pas de ponts et de voûtes véritables. » Et d’expliquer que ces représentations d’un « artiste de seconde zone » révélaient l’incompétence de l’Europe à se mettre d’accord autour d’un héritage patrimonial commun.
Quelques jours plus tard, c’est entre les colonnes virtuelles de la revue d’art contemporain Spike qu’il s’exprimait, dans une conversasion avec l’artiste est-allemand Leon Kahane, également parmi les artistes de la Biennale de Moscou. Réaffirmant le rôle politique de l’art, il en profitait pour dénoncer l’organisation de la prochaine dOCUMENTA 14 en Grèce, une manifestation artistique qui se tient habituellement tous les 5 ans à Kassel. Un « tourisme de crise » selon lui, prétexte à soulager les consciences des organisateurs, comparant l’initiative aux « riches américains se rendant en safari humanitaire en Afrique ». Précisons cependant qu’Adam Szymczyk, le curateur allemand de la prochaine dOCUMENTA, qui aura lieu en 2017 (en avril en Grèce et en juin à Kassel) propose précisément de déplacer le regard sur la Grèce. Avec comme titre provisoire » Apprendre de la Grèce « , le curateur expliquait, lors d’un entretien accordé à Die Zeit, vouloir contrer l’infantilisation de la Grèce par les médias – sans pour l’instant dévoiler son programme artistique pour ce faire.
Comme au temps des avant-gardes, l’art pour changer le monde
Symptomatique de l’engouement général pour la personne de Varoufakis, ses récentes incursions dans le monde de l’art, plus médiatisées qu’auparavant, s’inscrivent pourtant continuité de son engagement de longue date en faveur des arts plastiques. Notamment par le biais de la plateforme Vital Space dont il l’un des co-fondateurs, aux côtés de sa femme, l’artiste Danae Stratou, qui a notamment représenté la Grèce à la 48e Biennale de Venise en 1999. Destinée à faire prendre conscience des bouleversements économiques et environnementaux imminents, la plateforme organise depuis 2010 des rencontres, des workshops et des concours en vue de faire émerger un réseau d’acteurs connnoctés et de mettre en lumière de projets artistiques accessibles sur le site de la plateforme, autour de la globalisation et du climat.
Lors de la 56e et actuelle Biennale de Venise déjà, le curateur Okwui Enwezor déclarait vouloir mettre l’art « en contact avec l’état actuel des choses » et « saisir la tourmente actuelle de notre époque ». Or cette remise en contact de l’art et du réel, cet horizon polémique d’un art appelé à jouer un rôle critique, le philosophe Boris Groys, dans son ouvrage En Public (2015), la faisait remonter à l’ambition des artistes du début du siècle dernier, et plus précisément aux avant-gardes… russes.
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