Phénomène indé du moment, « Undertale » bouleverse les habitudes des amateurs de jeux de rôle en leur offrant une option un peu folle : ne tuer personne. Mais ce n’est que l’une des audaces de cet étonnant premier jeu d’un jeune développeur américain.
« Si seulement vous aviez la possibilité de parler à ces créatures, alors, peut-être, vous pourriez essayer de vous en faire des amis. » C’est l’une des principales réserves, souvent moquée depuis, que le prestigieux magazine spécialisée britannique Edge avait émis en 1994 lors de la sortie du premier Doom dans lequel, effectivement, le joueur n’a d’autre choix que de combattre les monstres qui se dressent sur sa route. Bonne nouvelle pour les amateurs de jeux de rôle japonais (ou JRPG) qui auraient éventuellement ressenti la même frustration au cours de leurs parties de Final Fantasy ou de Dragon Quest : le grand jour est arrivé.
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Engager la discussion avec les créatures
Dans Undertale, quand s’amorce l’un de ces combats au tour par tour qui ont fait la réputation du genre, la possibilité leur est enfin offerte, plutôt que d’asséner un coup de hache ou de lancer un sort paralysant, d’engager la discussion avec les créatures qui leur font face. Et parfois de les flatter, de les consoler, de les caresser – les chiens, même en armure, adorent –, voire carrément de flirter avec elles. C’est ainsi que l’on est devenu hyper copain avec un fantôme ravi d’avoir « rencontré quelqu’un de gentil ». Et qui, fidèle en amitié, surgira plus tard dans l’aventure pour nous tirer d’une situation mal engagée avec un mannequin possédé (ou quelque chose comme ça) aussi insensible à nos attaques qu’à notre conversation.
S’il en a toutes les apparences, Undertale n’est cependant pas un JRPG (d’inspiration rétro) de plus mais le premier jeu commercial (indépendant) d’un jeune Américain du nom de Toby Fox, financé grâce à un passage triomphal par le site de financement participatif Kickstarter où quelques heures lui avaient suffi pour atteindre le très raisonnable objectif de 5 000 $ – il termina sa campagne à plus de 50 000 $.
Le JRPG, Toby Fox, qui est aussi musicien, connaît bien. L’un de ses premiers coups d’éclat publics avait d’ailleurs été, pendant ses années lycées, le hack (c’est-à-dire la modification, la reprogrammation, pour aller vite) de l’un de ses représentants les plus iconoclastes : EarthBound (aka Mother 2) du génial Shigesato Itoi. Un jeu dont Undertale est un héritier inattendu.
Ici comme chez Itoi, le genre n’est ni sacralisé ni pris de haut : c’est un cadre à questionner autant qu’une base à partir de laquelle inventer des dispositifs interactifs et raconter des histoires – qui, dans les deux cas, ont à voir avec l’enfance, ou sa fin.
Une question de génocide
Dans Undertale, où l’on dirige un jeune personnage sans forcément bien comprendre comment il a débarqué dans ce monde aussi facétieux que charmant mais pas seulement, il est très sérieusement question d’un génocide. Celui des monstres, que les humains ont jadis massacrés, et c’est là que les systèmes de jeu (avec la possibilité offerte au joueur de ne tuer personne) et le récit (dans ses aspects les plus sombres, donc) se répondent parfaitement. Et si, pour une fois, le « méchant », c’était nous, c’est-à-dire l’humanité ? Et si les gentils étaient les créatures certes un peu effrayantes mais surtout opprimées, battues, perdues ?
De la même façon qu’il y a eu à Hollywood des westerns pro-Indiens (La Flèche brisée de Delmer Daves, Bronco Apache de Robert Aldrich…), Undertale est un jeu de rôle pro-monstres, c’est-à-dire pro-altérité. Toutes ses qualités, ses traits d’humour comme ses éclats crève-cœur, ses fulgurances ludiques comme l’étonnante consistance de son univers faussement naïf, découlent de là.
Un jeu qui nous observe
On pourra lui reprocher certaines lourdeurs momentanées, voire un côté petit malin – Toby Fox a tout compris du genre JRPG, le sait et en abuse légèrement –, mais cela ne pèse pas bien lourd à côté du reste. Et d’abord du sentiment à la fois de fraîcheur et d’intelligence qui se dégage d’Undertale. Souvent, on ne voit pas trop où il veut nous emmener – c’est plutôt bien. Mais on ne doute jamais que lui le sache – c’est bien aussi.
Undertale est par ailleurs un jeu qui nous observe. Qui garde la trace de ce que l’on fait, de nos bonnes comme de nos mauvaises actions. Soudain, un monstre en armure nous reproche d’avoir tué plusieurs de ses congénères. On lui dit qu’on ne voulait pas, qu’on le regrette. On ne lui ment pas, on le ressent profondément. Mais il est trop tard : dans Undertale, ce qui est fait est fait, impossible de revenir en arrière. Alors on va faire un tour en ville, on discute avec un pote squelette. La dernière fois, on était aller manger un burger ensemble. C’était bien, tu te souviens ? Des fois, je suis un peu violent, un peu pressé, mais je vais faire un effort, promis. Je m’en veux, tu sais. Je n’ai pas un mauvais fond. Vraiment pas, je crois.
Undertale (Toby Fox), sur PC et Mac, 9,99 €
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