Œuvre à entrées multiples, Shadows, immense peinture d’Andy Warhol, est présentée à Paris pour la première fois dans son dispositif original : 102 toiles collées bord à bord.
Dans un autre monde, moins préoccupé de communication, de médiatisation et d’Audimat, dans un monde parallèle moins soucieux de pédagogie, mais du même coup beaucoup trop élitiste et insensible à la diversité des publics, dans un autre monde de l’art où les institutions publiques ne seraient pas tenues de faire des blockbusters, de vendre des catalogues et de privatiser le lieu tous les soirs, dans cet autre monde donc, nous serions entrés directement dans la grande salle courbe du musée d’Art moderne de la Ville de Paris pour y contempler une seule et immense peinture d’Andy Warhol, Shadows, constituée de 102 toiles collées bord à bord.
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Prêt exceptionnel
Car en réalité peu importe les quelques salles qui servent d’introduction, c’est essentiellement autour de cette œuvre rarissime, de ce prêt exceptionnel d’une grande institution américaine, la Dia:Beacon, que se construit toute l’exposition Warhol Unlimited – drôle de titre d’ailleurs, quand il s’agit au contraire d’une one-piece exhibition, comme disent les Américains.
Une seule, mais ô combien exceptionnelle. Pourquoi ? D’abord parce qu’on n’avait jamais vu les 102 toiles de Shadows ainsi réunies, ni en France, ni en Europe (la chose ira ensuite au Guggenheim de Bilbao), ni même aux Etats-Unis, puisque le Dia:Beacon qui détient aujourd’hui ce chef-d’œuvre ne l’exposait pas non plus dans son intégralité.
Œuvre pleinement spatiale
Enfin, Warhol lui-même n’a jamais vu son œuvre présentée ainsi, puisque lors de l’exposition de 1979 à la Heiner Friedrich Gallery de New York, pour des raisons d’espace, seules 68 toiles avaient été montrées d’un seul coup. Leur motif est unique : une mystérieuse ombre portée. Pour certains, c’est l’ombre d’une flamme, d’un sapin, pour d’autres un hommage au peintre métaphysique Giorgio De Chirico, mort peu de temps avant.
Shadows est à entrées multiples. C’est d’abord une œuvre pleinement spatiale, et elle vient s’ajouter à une longue liste d’espaces artistiquement conçus par Warhol : il y a la première Factory et ses murs argentés, il y a les expositions dont l’artiste fut l’ingénieux curateur-scénographe, il y a les murs recouverts du sol au plafond de papier peint (motifs vache, ou Mao, ou Flowers…) sur lesquels le sphinx péroxydé du pop art superposait ses propres toiles. Il y a aussi la salle de cinéma, où il se passe forcément des choses, des va-et-vient quand on y diffuse un film comme Empire ou Sleep, plans fixes de plusieurs heures sur un building de Manhattan ou un homme endormi.
Peinture immersive et acide
Et puis il y a Shadows, cette peinture immersive et acide, qui est aussi une sorte de film underground, tant la répétition du motif unique et sa variation colorée créent un rythme visuel syncopé, un effet stroboscopique – Warhol déclara d’ailleurs que Shadows était un “décor disco”, comme si une boule à facettes projetait sur les murs cette image à la fois sombre et scintillante, transformant l’espace du musée en une boîte de nuit spectrale.
Certains, enfin, ont vu dans cette peinture un vaste autoportrait de Warhol – on peut dire ça de toute œuvre, à ce compte. Mais une parenté secrète relie en effet cette ombre portée aux effets de masquages, de camouflages, de travestissements, d’apparitions et de dissimulations qui caractérisent les autoportraits de Warhol – on complétera la visite par ceux exposés actuellement à la Fondation Vuitton.
Crypte noire du pop art
Il faut résolument placer Shadows dans une crypte noire du pop art où seraient exposées les peintures de crânes, les toiles sérigraphiées de chaises électriques qu’on retrouve dans les premières salles de l’exposition, les toiles ponctuées de poussière de diamant. Shadows est en somme un testament, outre-noir et outre-tombe.
Shadows est montrée dans l’exposition Warhol Unlimited au musée d’Art moderne de la Ville de Paris, jusqu’au 7 février, mam.paris.fr
Warhol Underground jusqu’au 23 novembre au Centre Pompidou-Metz, centrepompidou-metz.fr
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