Emouvante et mouvante, la musique de Plaid est aussi joueuse que rembrunie, aussi sophistiquée que naïve. Une musique enfantine, en somme, susurrée par leur album Rest proof clockwork qui, à force de gratter les strates de l’underground, est aujourd’hui aux portes des projecteurs. L’histoire du label anglais Warp peut se lire comme un bon résumé […]
Emouvante et mouvante, la musique de Plaid est aussi joueuse que rembrunie, aussi sophistiquée que naïve. Une musique enfantine, en somme, susurrée par leur album Rest proof clockwork qui, à force de gratter les strates de l’underground, est aujourd’hui aux portes des projecteurs.
L’histoire du label anglais Warp peut se lire comme un bon résumé de l’évolution de la musique électronique. Renfermé, au début, sur lui-même, ce repaire de chercheurs sans blouses blanches ni théories mais doté d’une vraie envie de se faire plaisir s’est autorisé de plus en plus d’audaces organiques et acoustiques, risquant avec Nightmares On Wax ou Jimi Tenor une déconcertante fusion des genres, loin du dogme de la pure techno. Pourtant, les débuts de Warp resteront à jamais liés à l’étiquette intelligent-techno, une étiquette très réductrice tombée en désuétude avec le temps mais qui, à l’époque, lançait un avertissement : on ne danserait pas sur AFX (l’un des nombreux pseudonymes de Richard D. James), Autechre ou Black Dog (tous présents sur la compilation fondatrice Artificial intelligence) comme on avait pu succomber aux entraînants charmes des premières gemmes venant de Detroit ou Chicago. Les Anglais inventaient en effet, quoi qu’ils en disent, une techno faite pour le salon et la méditation, forte de rythmes parfois si complexes que seul le cerveau pouvait éprouver le désir de se déhancher. Avant de mener en duo l’aventure Plaid, Ed Handley et Andy Turner ont vécu ces années d’apprentissage qui ont révolutionné un genre alors en pleine (re)construction. Aux côtés de Ken Downie, un troisième membre mystique et illuminé, ils ont posé avec Black Dog un des groupes préférés de James Lavelle, la tête pensante d’UNKLE et du label Mo’Wax des jalons, exploités ensuite par d’autres plus malins, pour cette scène anglaise au devenir si remarquable. Plusieurs maxis devenus des pièces de collection, et surtout deux albums, Bytes et Spanners, sont ainsi restés des tables de la loi de l’électronique qui refuse les formats. Eux n’ont jamais compris cette appellation d’intelligent-techno, cet énorme malentendu qui, par commodité, a perduré. « La dance-music n’a rien à voir avec l’intellect ; au contraire, elle tend à fuir toute pensée, elle vise l’évasion. On vivait cette situation, cet effet de mode comme une sorte de paradoxe. Parce qu’on mettait en avant les mélodies et les harmonies, on nous a attribué cette étiquette. Pourtant, ces choses concernent plus le coeur que le cerveau », assène Ed Handley, qui, peu bavard, préféra pendant longtemps gérer sa communication par écran d’ordinateur interposé. « Il faut dire qu’à cette époque les gens regardaient d’un drôle d’oeil les appareils électroniques, ajoute Andy Turner. Ils trouvaient ça complexe, pensaient qu’il fallait être sacrément intelligent pour saisir leur fonctionnement. Maintenant, tout le monde a compris que ce sont juste des instruments. » Partis dans l’inconnu et dans l’ombre avec d’autres francs-tireurs, Ed et Andy ont eu la surprise de voir la techno et ses alliés être de plus en plus tolérés une acceptation qui leur a permis de mieux s’exprimer et, surtout, d’être mieux écoutés. « Au début, il y avait un front anti-électronique qui ne voyait dans la techno ou la house que des adolescents stupides gobant de l’ecstasy. Maintenant, nous n’avons plus à mener de combat pour faire reconnaître à sa juste valeur ce que nous faisons. » Parallèlement à Black Dog, Ed et Andy commenceront, le temps d’un mini-album, leur projet récréatif Plaid. Mais quand, au milieu des années 90, d’importantes dissensions éclatent avec Ken Downie, c’est tout naturellement que Plaid prend vraiment consistance, Downie gardant pour lui le nom de Black Dog et tout son matériel, laissant seulement à ses anciens associés la lourde tâche de tout recommencer à zéro. « Nos problèmes étaient moins artistiques que personnels. Au bout de sept ans, il était presque naturel de séparer nos chemins, on avait perdu le sens du collectif. » Après plusieurs mois de silence imposé par les circonstances, ils reviendront avec Not for trees, premier véritable album de Plaid, considéré très vite comme un classique sensible et varié, riche de l’apport des voix de Björk et Nicolette. Ceux qui avaient succombé aux charmes de ce disque âpre seront peut-être décontenancés par son récent successeur Rest proof clockwork, apaisé et différent mais pas moins brillant. « Notre nouveau disque est plus amical, aimable. Not for trees avait été enregistré dans une période un peu chaotique. On venait de se séparer de Ken, nos vies personnelles étaient en pleine confusion. On vivait des moments vraiment difficiles, il fallait nous réorganiser. Maintenant, nous sommes plus heureux et ça se sent. Nous avons notre propre studio, par rapport à ce que nous avons vécu précédemment, c’est un luxe sans pareil. » Une situation qui fait également tache avec l’urgence des premiers Black Dog. « Nos motivations ont forcément changé. Quand, à l’adolescence, nous avons commencé à composer, c’était pour tromper notre ennui et nos frustrations. Ensuite, pendant plusieurs années, nous avons dû travailler très vite, avec peu de moyens et surtout peu de temps. » Concentré de splendeur, Rest proof clockwork servira d’étalon à l’electronica pour toute l’année 99 et sans doute plus, poussant encore plus loin la délicatesse mélodique et le raffinement, sans se prendre les pieds dans la préciosité, jouant la diversité des tempos en restant constamment émouvant. Des cordes synthétiques du touchant Dead sea au magnifique titre d’ouverture, ce Schackbu en forme de poupées russes sans oublier le morceau fantôme qui assène le coup de grâce , tout ici mérite l’attention dans cette musique qui semble évidente mais néanmoins prête à des centaines d’écoutes, parvenant à garder intact son pouvoir de séduction. Le temps du choc entre des boîtes à rythmes affranchies de tout contrôle et des mélodies résistantes est presque révolu, les anciens ennemis entament ici une collaboration en douceur, un armistice qui rend Plaid plus accessible. « Nous ne sommes pas un groupe expérimental, notre but n’est pas de dégager du nouveau, l’originalité n’est pas notre priorité, même si ça signifie revenir à des schémas plus traditionnels. Nous ne sommes pas des évangélistes de l’électronique, nous aimons seulement la musique. » On ne s’étonnera donc pas d’entendre de superbes guitares acoustiques tisser une trame des plus poétiques sur Ralome, la meilleure façon de répondre aux pires tenants de l’intégrisme électronique et de leur montrer qu’ils font fausse route. « Cette exigence de n’utiliser que des ordinateurs et des boîtes à rythmes n’a plus lieu d’être. » La seule relative nouveauté de ce disque réside dans les tonalités hip-hop que revêt par moments Rest proof clockwork. « Quand on a été assez âgés pour ne plus se servir dans la discothèque de nos parents et émettre nos propres choix, on s’est mis à écouter du hip-hop, de l’electro, cet ancêtre de la techno. On a rapidement été partie prenante de toute la culture hip-hop, de la danse aux graffitis », explique Ed, ancien breakdancer renommé. « A cette époque, on ne séparait pas encore hip-hop et techno. Dans les premières raves, on pouvait tout entendre, rien n’était encore compartimenté. C’est avec le temps que les courants se sont éloignés. Mais il ne faut tout de même pas oublier que c’est Kraftwerk qui a influencé Afrika Bambaataa. » L’audience de leur musique ayant notamment grossi, le seul défi que peuvent se lancer les deux Ecossais tient à la scène, cet espace où l’électronique doit encore se justifier, affirmer sa présence. Pari réussi en premières parties anglaises d’Orbital récemment, où Plaid séduisit en tendresse. « Nos apparitions se rapprochent de sets de DJ, on vient présenter notre musique. Et on s’efforce d’observer les réactions du public, de voir s’il est stimulé ou ennuyé. Si on joue dans un club où les gens dansent, on essaie de devenir plus dansants. » Enthousiasmé par sa tournée avec Orbital, le duo envisage même de développer un jeu de scène spectaculaire : lever le poing au moment du climax, dodeliner de la tête, peut-être même gigoter des guiboles. Pour un show aussi physique, ridiculisant les efforts de Kiss ou Prodigy, il lui faudra une autorisation médicale.
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