La pensée de la Révolution française est souvent décriée. Sophie Wahnich interroge les aléas de la transmission d’un évènement au fil du temps.
Evénement fondateur de l’émancipation humaine ou laboratoire des totalitarismes ? Les interprétations contradictoires de la Révolution française qui se sont affrontées au fil du temps révèlent l’effet de confusion que ce soulèvement suscite dans la mémoire collective. Comme si on n’avait jamais fini de faire le tour d’un événement aux visages trop complexes et extrêmes pour que sa compréhension, autant que sa transmission, se fige dans un écrin éternel. Du Second Empire à la Commune de Paris, de la IIIe République à notre époque, les souvenirs de la Révolution n’ont cessé d’évoluer, à la mesure des représentations politiques dominantes.
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C’est ce « sentiment d’un héritage sans testament, difficile à transmettre, à diffuser, à rendre actif » qu’interroge l’historienne Sophie Wahnich dans l’ouvrage collectif qu’elle a dirigé, Histoire d’un trésor perdu, traversant, dans la discontinuité des temps, les souvenirs sans cesse réinventés des avancées révolutionnaires. Si le printemps arabe a réactivé cette référence émancipatrice comme « un point d’appui monumental effectif », « le trésor a-t-il pour autant été retrouvé ? », se demande l’auteur. Nous serions ainsi aujourd’hui au coeur de cette question : quelle actualisation du passé révolutionnaire est-il possible de penser ? Comment redonner toute sa vivacité à une pensée actuelle de la situation révolutionnaire ?
« De lourds soupçons sur l’héritage révolutionnaire français »
A partir de la fin des années 70, la transmission de la Révolution insista sur un « objet de dégoût et de danger ». Le livre clé de François Furet, Penser la Révolution française (1978), travaillait déjà à une dépolitisation de l’événement en remettant en cause le catéchisme révolutionnaire, comme le rappelle, en saluant sa lucidité, la biographie de Christophe Prochasson, François Furet – Les chemins de la mélancolie (Stock). Les institutions civiles sous toutes leurs formes, scolaire, politique, cinématographique (Danton de Wajda, L’Anglaise et le Duc de Rohmer…), « ont jeté de lourds soupçons sur l’héritage révolutionnaire français ».
La figure de Robespierre, légende noire s’il en est, incarne l’ambivalence du trésor, dont on aurait égaré les clés : ses nombreux avatars sont autant de couches interprétatives successives, tributaires d’une époque spécifique, « qui nous révèlent finalement beaucoup plus sur les contemporains grâce au filtre à travers lequel ils font passer le personnage ». Transmettre la Révolution aujourd’hui, c’est saisir la présence des rejets que génèrent ses souvenirs heurtés, avant de saluer les trésors actifs que son histoire recèle encore pour les peuples dominés.
Jean-Marie Durand
Histoire d’un trésor perdu – Transmettre la Révolution (Les Prairies ordinaires), 384 pages, 24 €
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