Il faudra une nouvelle fois attendre pour entendre les nouvelles chansons de Bryan Ferry : sur l’émouvant As time goes by, c’est le répertoire des flamboyantes années 30 que sa voix étalon investit. L’occasion de rendre hommage à ce songwriting au culot monstre, garanti en frissons.Un disque de reprises de standards des années 30 par […]
Il faudra une nouvelle fois attendre pour entendre les nouvelles chansons de Bryan Ferry : sur l’émouvant As time goes by, c’est le répertoire des flamboyantes années 30 que sa voix étalon investit. L’occasion de rendre hommage à ce songwriting au culot monstre, garanti en frissons.
Un disque de reprises de standards des années 30 par Bryan Ferry, ça n’a pas a priori l’air très sexe. D’emblée, le cliché vient parasiter l’esprit : on s’imagine l’ancien bellâtre de Roxy Music, la mèche sur l’oeil, un top-model à chaque bras, hantant les soirées de la jet-set. Et quand la pop-star vieillissante, en plus, fait un album de reprises de chansons des années 30, là, tout devient confus : a-t-il vraiment connu les années 30, est-ce un hommage à son enfance, est-il si vieux ? On ne situe plus très bien. Puis on réalise qu’on était en sixième quand on a entendu pour la première fois à la radio More than this, chant du cygne de Roxy Music, et ce n’est finalement pas si loin, ça ne fait même pas vingt ans. Alors, retour passéiste et nostalgique, voire réac’ sur un « bon vieux temps » qu’il n’aurait même pas connu ? On peut même imaginer pire. Pour faire jeune, ces standards, il les aurait réorchestrés à la gluante sauce nineties larguée, dépouillés de la sensualité originelle, agrémentés d’un rythme drum’n’bass. C’est marrant comme on ne fait jamais confiance aux gens. Seulement, c’est oublier que certaines personnes n’ont rien à prouver. Parce qu’elles assument ce qu’elles ont été et ce qu’elles sont, parce qu’elles restent honnêtes, fières d’un passé révolu mais tellement honorable, heureuses à la perspective d’un avenir qui s’offre serein.
As time goes by est un album acoustique et chaleureux, moderne et classique, enregistré avec des instruments d’époque, mettant la voix du crooner Bryan Ferry au service parfait de la pureté des mélodies pas remaniées, pas remodelées, seuls manquent les craquements du 78t. As time goes by est l’album de la tranquillité. L’album d’un homme paisible, la cinquantaine moderne et modeste, ni le roublard genre Bowie ni le faux jeune tendance Jagger. D’ailleurs, il s’en fout d’être dans le coup. C’était déjà le cas avec Roxy Music : « On était différents, je me suis toujours senti extérieur à toute scène, et ça ne me dérangeait pas. » On ne peut même pas reprocher à As time goes by de jouer la facilité en n’offrant aucune nouvelle composition signée Ferry parce que Bryan Ferry est en train d’écrire un nouvel album, depuis cinq ans , ni d’être opportuniste parce que depuis 1973, en pleine aventure Roxy Music, Bryan Ferry tombait déjà régulièrement le masque outrageux pour des albums solo largement composés de reprises (These foolish things, 1973, Another time, another place, 1974). « Reprendre des chansons des années 30, c’est quelque chose que j’ai eu envie de faire depuis These foolish things. Cette chanson était déjà une chanson des années 30. J’aime cette époque, très excitante pour la musique. Les comédies musicales de Broadway ou au cinéma étaient des tribunes parfaites pour les songwriters et, grâce à ça, la chanson populaire s’est beaucoup développée à ce moment-là. En plus, le jazz atteignait une de ses périodes les plus florissantes. Et les gens qui écrivaient des chansons populaires devenaient également plus sophistiqués. Ils prenaient soin des mélodies. Des gens comme Kurt Weill, Cole Porter, étaient très intelligents, spécialisés dans l’écriture de chansons beaucoup plus qu’ils n’étaient des performers. C’est ça qui compte pour moi : les années 30 étaient une époque de songwriters. »
L’amour de la chanson, on y croit. D’abord parce que These foolish things, la première, l’emblématique, possédait la mélodie du bonheur. Et parce que le reste des albums de Ferry, solo ou avec Roxy Music, a toujours été généreux en chansons langoureuses et lacrymales, servies par une voix envoûtante, des couches de synthés sur le fil du sublime et de l’indigne, n’échappant pas toujours aux travers de l’air du temps, mais émouvant constamment. Roxy Music, malgré ses emballages futuristes, n’a jamais sacrifié les mélodies, les traditions, pour la simple joie du bidouillage synthétique et de l’expérimentation. Normal donc que Bryan Ferry rende ainsi hommage à ces compositeurs panoramiques, Cole Porter (Just one of those things, You do something to me…), Jerome Kern (The Way you look tonight), le tandem Rogers & Hart (plus connus pour The Lady is a tramp ou My funny Valentine, ici auteurs du merveilleux Where or when), réussissant à lier, au sein du même morceau, jazz arrangements sophistiqués et rengaines populaires.
As time goes by est également un hommage aux voix, à ces chanteurs et chanteuses, bluesmen et jazz ladies qui bouleversaient le petit Ferry. « Très jeune déjà, je ressentais de l’empathie pour la musique. Il m’arrivait de m’asseoir, d’écouter une musique qui me touchait et de pleurer. J’étais un garçon très sensible (rires)… A 11 ans, je suis devenu fan de jazz et de blues, et tout a commencé là. J’aimais les chanteurs de country-blues, comme Leadbelly. J’écoutais à la BBC des émissions spécialement consacrées au jazz et au blues. Le premier style de jazz que j’ai connu était le Dixieland, le jazz de La Nouvelle-Orléans, Louis Armstrong. Peu à peu, j’en suis venu à une musique plus sophistiquée. Le premier disque que j’ai acheté, c’était Charlie Parker Quintet avec Miles Davis. Je trouvais ce disque hyper cool. Je l’ai toujours d’ailleurs, c’est un des plus beaux trophées de ma jeunesse. J’en ai appris chaque note. Et j’étais très fan de Billie Holiday certaines de ses chansons d’ailleurs ont été à la source de mon inspiration pour ces reprises. La voix humaine me fascinait particulièrement. »
As time goes by est l’album de la tranquillité également parce que les chansons étaient là, prêtes et languides, attendant qu’on les époussette, qu’on enlève la naphtaline. Dans une autre vie, toutes avaient déjà fait leurs preuves chez Marlene Dietrich (Falling in love again), Ella Fitzgerald (Miss Otis regrets), Billie Holiday, Sinatra, Fred Astaire… Bryan Ferry le reconnaît : ça facilite la tâche. « Ces reprises ont eu l’occasion d’être testées pendant de nombreuses années, elles doivent être prêtes maintenant. Je n’ai pas à m’inquiéter de ce qu’elles valent, alors qu’avec ses propres chansons, on n’est jamais sûr. D’habitude, je souffre toujours un peu en sortant un disque, mais là, ça n’a pas été le cas. Et c’est agréable d’échapper à sa propre écriture, d’en prendre un peu congé. » Détendu, n’ayant pas à essayer de faire « aussi bien » « Ces chansons m’intimident, je ne peux m’empêcher de les comparer avec ce que j’écris, ça me paralyse », Bryan Ferry a consacré ses efforts à un travail créatif différent, se livrant corps et âme à la performance. Il a redonné à ces chansons, grâce au travail de sa voix et aux arrangements, une matérialité et une autre vie. « Parfois, on les entend dans les ascenseurs, rejouées façon musak. Elles méritaient bien qu’on leur donne une autre dimension, non ? »
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